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Sur Hans Kelsen
À l’occasion de la sortie de l’ouvrage Hans Kelsen – Autobiographie, dans la collection « Les sens du droit », le directeur de l’ouvrage – Éric Millard – propose de nous éclairer sur qui était ce juriste autrichien du xxe siècle et sur le rôle qui a été le sien dans le développement du contrôle de constitutionnalité, ainsi que son influence sur diverses constitutions européennes.
Qui était Hans Kelsen ?
Un juriste autrichien, né en 1881 et mort en 1973. Il a été professeur aux Universités de Vienne, de Cologne, de Prague, de Genève et enfin de Berkeley. Il a été en Autriche associé à la rédaction de la Constitution et ensuite a été juge à la Haute-Cour constitutionnelle. Face à la montée de l’extrême-droite puis du nazisme à partir de 1929, il a dû quitter l’Autriche, puis l’Allemagne et enfin l’Europe pour finir sa vie aux États-Unis. Ses travaux scientifiques sont nombreux et variés : théorie et philosophie du droit, droit constitutionnel, droit international public, sociologie du droit, théorie politique, philosophie morale. Il est le grand théoricien du positivisme juridique au xxe siècle. Son autobiographie permet de mieux approcher l’auteur, souvent négligé derrière ses grands apports théoriques.
Quelles sont les grandes théories qu’il a développées ?
Toute sa vie, Kelsen a élaboré, fait évoluer et défendu une théorie générale du droit, qu’on appelle le normativisme ou Théorie pure du droit (qui désigne aussi un de ses ouvrages les plus connus). Cette théorie est d’abord une théorie scientifique, c’est-à-dire une théorie de la connaissance juridique du droit. Elle est marquée par le souci de la pureté de la méthode, visant à décrire (et non évaluer, justifier ou prescrire), le droit tel qu’il existe, c’est-à-dire le droit positif. Pour cela il élabore divers outils conceptuels, qui sont aussi des théories spécifiques au sein de sa théorie générale, comme la théorie de la hiérarchie des normes et de la validité – qui vise à rendre compte de l’existence des normes comprise comme l'appartenance à un système de normes –, ou la théorie du contrôle de constitutionnalité. Ces théories sont structurelles, c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas du contenu matériel de tel ou tel système juridique, mais ont pour fin la description de n’importe quel système juridique. À côté, mais toujours en lien avec sa méthode générale, il a développé notamment une théorie politique de la démocratie, qui reste actuelle.
Quel a été son impact sur le droit français ?
Il est paradoxal. D’un côté, la structure du système juridique français actuel repose sur une hiérarchie des normes et un contrôle de constitutionnalité sur le modèle que l’on appelle kelsénien, par opposition à la construction mise en place par la Cour suprême américaine. Et tous les étudiants et étudiantes dès leurs premiers cours de droit sont au contact de ce que l’on présente comme la « pyramide de Kelsen » quand on leur enseigne les sources du droit. Mais d’un autre côté, cela reste une vision simplifiée et souvent erronée de la pensée de Kelsen, qui est beaucoup plus riche et cohérente que ce qui en a été reçu. Deux exemples parmi d’autres : le concept de norme fondamentale chez Kelsen ne désigne pas la constitution mais un présupposé nécessaire (donc une fiction utile) à la description du système juridique constitué à partir de la constitution ; et la théorie pure du droit présentée souvent comme défendant l’idée d’un droit pur alors que la pureté vise la méthode théorique, et non le système juridique. Le droit pour Kelsen est le résultat de choix politiques.
Quel est le rôle de la sanction dans la pensée de Kelsen ?
La sanction joue apparemment un rôle essentiel chez Kelsen pour deux raisons, si on assimile l’idée de sanction à celle de contrainte. D’une part, le droit en tant que système juridique est défini comme un ordre normatif de contrainte (quelque chose comme la violence légitime). D’autre part, dans les mots de Kelsen, « le droit commande un certain comportement par le seul fait qu’il attache un acte de contrainte comme sanction à un comportement contraire à la norme ». Dans le livre collectif que nous avons publié, Thomas Hochmann minimise ce rôle essentiel. Que le système juridique soit un ordre de contrainte est d’abord une observation empirique chez Kelsen. De manière plus générale, ce que Kelsen lui-même admet parfois, la sanction peut être aussi positive dans le sens où ce qui importe dans la contrainte est simplement que les conséquences, quelles qu’elles soient, prévues par une norme juridique, soient appuyées par le système auquel la norme appartient.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Il n’y en a pas un en particulier. Sans doute d’abord les rencontres, humaines ou intellectuelles, nombreuses. Et beaucoup de choses que j’ai faites en dehors de l’université, mais qui n’ont été possibles que parce que j’étais à l’université. Il est vrai que celle-ci n’avait pas encore été redessinée par les nombreuses réformes qui se sont succédé depuis. Nous avions beaucoup plus de temps libre, d’autonomie, et nous percevions sans doute davantage la rupture avec le secondaire qu’aujourd’hui. Cela avait peut-être des inconvénients, mais j’y ai trouvé quelques avantages.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Je n’ai pas de héros ou d’héroïne, même en fiction. Je suis bon public, je peux avoir de l’empathie pour des personnages. Mais dans la fiction, je suis d’abord sensible à une forme narrative, et l’auteur ou l’autrice au sens large me donne à voir ce qu’il ou elle veut. Il y a un biais dans toute fiction, qui en fait d’ailleurs pour moi l’intérêt. Si je dois quand même mentionner un personnage : Gaston Lagaffe. Justement parce que Franquin maîtrise complètement la forme, et en fait un anti-héros.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Si on parle de philosophie des droits humains, l’égal respect de l’autonomie de chacun et chacune. Le reste pour moi n’est soit qu’une déclinaison de ce droit (le droit de ...), soit un moyen au service de ce droit (le droit à...), auquel cas il faut justifier en quoi il le décline ou en permet la réalisation, et non pas simplement prétendre concilier la fin avec ce qui n’est qu’un moyen. Il y a une hiérarchie nécessaire dans toute revendication des « droits » humains, une valeur fondatrice qui évidemment est politiquement en débat. Si on parle en revanche de droit positif, la question est parfaitement différente et je ne peux qu’observer que le droit positif français procède d’une autre approche. La sécurité est placée au même niveau que la liberté pour la réduire de manière discutable, et la liberté est opposée à certains des moyens de la garantir, comme certains droits sociaux par exemple. Paradoxalement, les droits humains sont une philosophie, non une catégorie du droit positif.
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