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Sur l’accessibilité des études de droit
L’éditeur a un devoir légal de rendre accessible ses publications aux personnes en situation de handicap (CPI, art. L. 222-5 7e). C’est d’ailleurs une des exceptions aux droits patrimoniaux du droit d’auteur, celui-ci ne percevant pas de rémunération pour cette mise à disposition. La situation des étudiant.e.s est évidemment au cœur de l’accessibilité des contenus. Morgane Lanfranchi, étudiante en droit à l’Université de Bordeaux en L3, est sourde. Elle nous fait le plaisir de répondre à nos questions sur ce sujet.
Pourquoi avoir choisi le droit et quel est votre parcours dans ce cursus ?
Parce que le droit est tout simplement ma passion, ma vocation. Je ne me vois pas faire autre chose.
Et je suis actuellement en L3 Droit, parcours judiciaire.
Pourquoi avoir choisi l’Université de Bordeaux ?
Il y a deux raisons :
L’université de Bordeaux propose une formation parfaitement adaptée à mes projets.
Elle offre également une meilleure accessibilité, avec des aménagements de qualité, notamment une prise en charge complète des interprètes, ainsi qu’un accompagnement assurant une communication fluide et transparente.
Quelles sont les particularités du droit pour la langue des signes ?
Le lexique juridique en langue des signes (LSF) est initialement très précaire car il a été développé par des personnes sourdes non spécialistes du droit. De ce fait, une grande partie des signes existants est imprécise, voire erronée.
Il m’était impossible de suivre les cours magistraux et les séances de travaux dirigés sans un lexique juridique en LSF adapté. J’ai donc dû développer moi-même un vocabulaire spécifique avec des interprètes afin qu’ils puissent traduire fidèlement les propos des professeurs et les miens aussi.
J’ai ainsi été amenée à « inventer » des signes correspondant aux termes juridiques, mais aussi à adapter le raisonnement et la syntaxe en LSF. Par exemple, pour des expressions comme « en l’espèce », « le contrat stipule », ou « la loi dispose ».
Sans ces adaptations, je serais perçue comme une étudiante qui n’a rien appris.
Quelles sont les modalités pour la prise de notes lors des cours ?
Un preneur de notes, c’est-à-dire un étudiant, prend des notes des cours pour moi. C’est un excellent support, mais je préfère le compléter avec des supports fournis par des professeurs ou des chargés de TD, car ils sont souvent plus détaillés et précis. D’habitude, j’utilise les deux, mais uniquement si les professeurs acceptent de me les fournir ou s’ils en ont à disposition.
Comment se passent les examens oraux ou les exposés avec d’autres étudiants ?
Il y a 2 possibilités, qui dépendent de la compétence de l’interprète et de la préparation en amont avec lui/elle.
Sans interprète : je rends mon travail à l’écrit
Avec interprète : une préparation importante est nécessaire en amont, et l’interprète doit être suffisamment compétent pour traduire fidèlement mes propos complexes
NB : les interprètes ne sont pas spécialisés en droit. Ce sont des non-juristes, et la plupart n’ont jamais été formés dans ce domaine.
Qu’est-ce que l’Association L’EGAL dont vous êtes co-présidente ?
L’association L’ÉGAL poursuit 3 objectifs principaux :
- Établir un réseau professionnel : mettre en relation interprètes, intermédiateurs, professionnels du droit et étudiants afin de faciliter l’organisation et la communication (ex : réservation des interprètes pour des audiences ou des rendez-vous).
- Gestion d’une communauté de pratique : favoriser des échanges sur les pratiques professionnelles en justice et enrichir des connaissances dans ce domaine.
- Développer des ressources : réunir des références en français et en LSF sur la justice et le droit, en développant notamment un lexique juridique en LSF et en diffusant des informations juridiques accessibles aux non-spécialistes.
L’objectif général de l’association est d’améliorer l’accès à la justice pour les personnes sourdes, en favorisant la formation continue et la transmission d’informations aux professionnels travaillant ou intervenant régulièrement en justice.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Meilleur ? Difficile à dire...
Mon souvenir le plus marquant, celui dont je me souviendrai à jamais, c’est mon premier jour et premier cours à la fac de droit : un cours magistral d’histoire du droit, un lundi à 8 heures.
Fraîchement sortie du lycée, j’arrive dans l’amphi sans savoir comment cela va se passer. Tout ce que je sais, c’est que j’ai réservé une interprète pour ce cours, à mes frais.
À peine le cours commence, la professeure s’interrompt et demande à l’interprète de partir, expliquant qu’elle ne peut pas continuer ainsi. Pourquoi ? Je l’ignore.
L’interprète refuse de partir, et une dispute éclate entre elles. Puis la professeure se tourne vers moi et me demande de m’installer tout au fond de l’amphi avec l’interprète. Je refuse. Elle me fixe. Un vrai duel de regards.
Finalement, je cède et vais m’asseoir tout au fond, l’interprète à un mètre de moi.
À la fin du cours, je vais voir la professeure pour lui demander pourquoi elle a réagi ainsi. Elle me répond qu’elle ne pouvait pas faire cours si tous les étudiants regardaient l’interprète au lieu d’elle….
Au fil des cours, elle s’est habituée à la présence de l’interprète à ses côtés. En réalité, elle est sympa et a même fini par me demander comment on dit « droit » en LSF, en plein milieu d’un cours, debout devant l’amphi entier.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Naruto (un ninja, personnage principal dans un manga qui porte son nom), il m’a beaucoup inspirée quand j’étais lycéenne (et il continue de m’inspirer aujourd’hui). C’est tout simplement pour son travail acharné : peu importent les obstacles il n’a jamais abandonné. Mais aussi pour son manque de rancune.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La dignité humaine je dirais.
Pour moi c’est un principe indispensable mais trop souvent sous-estimé et piétiné.
S’il est mal interprété et mal appliqué, il risque de faire des dégâts…
Donc, je l’aime pour son potentiel, mais aussi pour sa fragilité.
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