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[ 4 juillet 2024 ] Imprimer

Sur le droit du sport

 

Dominique Rémy, magistrat administratif honoraire, docteur en droit, vice-président de la Conférence des conciliateurs, conseiller scientifique du DP Droit du sport, répond à nos questions sur le droit du sport dans un enthousiasme partagé.

Qu’est-ce qui a provoqué la naissance du droit du sport ?

Le sport est peut-être l’activité la plus juridique qui soit : c’est une activité physique réglementée pour pouvoir comparer les performances. Mais on voit bien que ces règles de droit, les règles sportives, n’intéressent a priori pas le juge étatique. C’est un peu comme les règles d’un jeu de société : il est bien évident qu’on ne va pas appliquer la loi du 6 juillet 1989 chaque fois que l’on doit payer un loyer au Monopoly et on ne va pas demander au juge d’interpréter la règle du jeu pour savoir si on prend l’argent qui est au milieu du plateau quand on tombe sur « Parc gratuit ». Ce sont des règles dont les enjeux sont purement symboliques. Mais comme le juge de l’État n’y intervient pas, il se crée un système juridique interne, avec des « lois », des « juges » des « tribunaux » au sein de chaque fédération sportive. Quand le jeu commence à confronter des millions de gens, il prend une importance telle que le juge de l’État doit bien intervenir. Il rentre alors en contact avec tout ce qui s’était créé en dehors de lui et il a une certaine difficulté à le « digérer ». Le droit du sport naît à cet instant. On dira alors qu’il y a un « pluralisme juridique » parce qu’on a un droit dans la naissance duquel l’État n’a pas joué le rôle principal.

Et c’est spécifique ?

Oui et non. Il est sûr qu’il y a d’autres droits qui naissent de pratiques spontanées que l’on va essayer de rendre compatibles avec l’organisation étatique : le droit commercial qui naît largement de pratiques des commerçants en dehors du cadre étatique, par exemple. À la limite, on peut dire que même le droit pénal naît en dehors de l’initiative étatique et que le wergeld était un droit pénal spontané intégré par l’État, mais il y a eu 15 siècles d’évolution qui font que l’on a du mal à le retrouver dans l’action civile qui met en mouvement l’action publique devant les tribunaux répressifs. Dans le droit du sport, c’est moins d’un siècle. Il y a une comparaison, qui est un peu « bateau » entre le droit du sport et le droit canonique, avec deux millénaires de tentatives des États pour soumettre le droit de l’Église catholique à leur volonté. Il y a encore 4 départements (N.B. : les trois d’Alsace-Moselle et la Guyane, que l’on oublie souvent) où l’État intervient encore dans la nomination des évêques parce que le concordat de 1802 y est encore applicable. Étudier le droit du sport, c’est comme étudier un régime concordataire. Je plaisante. Un peu. Cela fait 85 ans que l’État tente de prendre le contrôle du mouvement sportif. Le concept central du droit du sport, la délégation, est une sorte de concordat.

Et à quoi ça sert d’apprendre le droit du sport ?

Il y a 35 ans, j’avais répondu à cette question — pour la Gazette du Palais, dans un numéro spécial « Droit du sport » — que ça ne nourrirait jamais grand monde, mais que c’était bon pour apprendre le droit. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y aurait aujourd’hui autant de cabinets d’avocats qui affichent « droit du sport » dans leurs compétences et dont certains en vivent pour l’essentiel, ni qu’il y aurait un jour où même les petites fédérations sportives auraient un directeur juridique. Ceci dit, je pense que le droit du sport est avant tout un extraordinaire élément pédagogique qui permet à ceux qui ont l’esprit curieux de comprendre que le droit est un, au-delà des frontières artificielles de matières érigées pour des raisons universitaires. S’intéresser au droit du sport suppose que l’on s’intéresse au droit civil, au droit commercial, au droit administratif et évidemment aussi à la philosophie du droit, mais pas seulement. Il n’y a pas de meilleur vaccin contre le positivisme étatique que le droit du sport. J’explique dans une autre de vos publications (DP Sport) que même le droit constitutionnel, dont je pensais qu’il ne serait jamais impliqué dans le droit du sport, a donné lieu à des dizaines de décisions, et pas seulement des refus de transmission de QPC. Il y a eu deux déclarations d’inconstitutionnalité de dispositions du Code du sport. On devrait utiliser le droit du sport pour faire l’introduction au droit, en première année. Ça intéresserait beaucoup plus les étudiants et ça leur donnerait une vraie vision transversale. Voilà un vrai sujet de revendication servi clé en main : « on veut du droit du sport en première année ».

Comment intervient le Comité national olympique et sportif français dans le contentieux sportif ?

C’est un peu particulier mais on voit bien que les auteurs de cette disposition, en 1992, ont voulu permettre au mouvement sportif de régler ses affaires en interne autant que possible, de manière à ce que le juge de l’État intervienne le moins possible, tout en en admettant sa prééminence, au final. Le conciliateur est obligatoirement saisi avant de saisir un juge, civil ou administratif, et il propose une solution qui n’est pas uniquement juridique, qui peut comporter des éléments qu’un juge ne peut pas intégrer, symboliques, purement sportifs… Si les deux parties tombent d’accord, au moins tacitement en ne s’y opposant pas dans les quinze jours, le litige est éteint et on ne peut plus remettre en cause la solution devant le juge. Un avantage pour les parties, mais qui est un inconvénient pour les étudiants et les praticiens, est que tout ceci se fait à huis clos et est couvert par le secret. Ça permet d’être assez franc, voire assez cru pendant les audiences, mais il n’y a pas de « jurisprudence » à proprement parler puisque normalement on ne sait pas ce qui a été déjà proposé dans des cas similaires. C’est un des sujets de la réforme que la conférence des conciliateurs recommande : pouvoir faire un fichage public pour des affaires anonymisées.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Tout d’abord, mon premier saut en parachute : à Science Po Paris, dans les années 1970, le parachutisme rapportait des points en plus si on faisait 10 ou 15 sauts. C’est à ces quelques points que je dois d’avoir obtenu mon diplôme, avec 10,03 de moyenne, avec moins de 4 en économie, à laquelle j’étais définitivement allergique. Évidemment avec ma silhouette ronde et mon incapacité à courir convenablement, avoir réussi ses études grâce au sport est un paradoxe. Je les ai reprises très tard ; j’ai obtenu mon doctorat à 39 ans. Je le dois au Professeur Karaquillo qui m’a proposé de soutenir sur travaux. Qui dira que l’université, ou du moins les enseignants les plus fidèles à leur éthique, ne savent pas reconnaître ceux qui se sont formés « sur le tas » ? Et c’était avant la VAE ! Ma soutenance à Limoges, en 1995, a été un moment très marquant, au moins pour moi : j’ai eu l’impression d’être obligé de trouver une cohérence entre les différents sujets sur lesquels j’avais écrit, une cohérence qui ne m’était pas évidente.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Fabrice Del Dongo, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal. Je crois que j’en ai la naïveté. Il a fallu que l’on m’explique qu’il n’était pas le fils du marquis mais du lieutenant Robert. Je ne l’avais pas compris tout seul alors que j’ai relu le livre dix fois et que j’en connais des passages par cœur. L’Incipit claque au vent comme un drapeau… le matin d’Arcole ou Rivoli plutôt que celui de Waterloo. Et je n’ai compris que tout récemment comment il obtenait sa liberté de la femme de son geôlier, ce matin-là. Quant à l’héroïne de fiction, sans changer de livre, après avoir hésité avec Clelia, l’autre geôlière qui l’aide à s’évader (c’est une manie !), c’est la Sanseverina qui, quand même, est l’objet de mon admiration : une femme forte, en même temps qu’aimante, manipulatrice et pour autant tellement séduisante. Comment le comte Mosca pourrait-il ne pas être follement amoureux d’elle ?

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Je dirais que le meilleur indicateur de l’état des droits de l’Homme, c’est le droit des femmes : tous les autres droits de l’Homme peuvent être utilisés pour réduire les droits des femmes. La liberté de religion, évidemment, le droit à la vie, ça se passe de démonstration, la liberté d’opinion, on comprend bien comment. Le véritable révélateur des droits de l’homme, c’est dans les droits des femmes qu’il faut le chercher.

 

Auteur :MBC


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