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Sur le droit pénal et l’environnement
Que peuvent faire les juristes de droit pénal face au changement climatique ? C’est le thème de l’ouvrage collectif paru en 2025 sous la direction de Julien Lagoutte, maître de conférences HDR à l’Université de Bordeaux et Romain Ollard, professeur à l’Université de Poitiers. Les deux directeurs ont accepté de répondre à nos questions et nous leur en sommes très reconnaissantes.
Qu’est-ce que le délit d’écocide du Code de l’environnement ?
Le délit d’écocide est une infraction jeune puisqu’elle a intégré le Code de l’environnement à la faveur de la loi Climat et résilience de 2021. En soi, l’infraction est une avancée remarquable, ne serait-ce que parce que l’écocide est nommé, ce qui n’est pas le cas chez la plupart de nos voisins européens. Pour autant, longtemps attendue, l’incrimination a déçu. D’abord, elle apparaît moins comme une infraction proprement dite que comme une simple circonstance aggravante de divers délits de pollution (pollution atmosphérique, pollution des eaux ou par déchets) dont les peines se trouvent aggravées selon deux critères tenant soit à l’intention de l’agent polluant, soit à la gravité du dommage causé à l’environnement. Surtout, l’écocide reste une infraction de réglementation en ce sens que sa caractérisation suppose le plus souvent la violation préalable de règles de police administrative. Loin d’obéir à une définition autonome, détachée de la réglementation administrative, l’écocide souffre des mêmes tares que l’ensemble du droit pénal de l’environnement : sur la forme, l’infraction multiplie les renvois à des règles de police administrative ; sur le fond, elle n’est qu’une manifestation - supplémentaire – d’un droit pénal auxiliaire, inféodé à l’action administrative. Alors que l’on s’était pris à rêver d’une définition de portée générale, qui aurait été inscrite – symboliquement – dans le Code pénal, la montagne a accouché d’une souris, d’une infraction de gravité délictuelle qui reste sous la coupe de l’action administrative. L’on est bien loin du crime hors du commun tel qu’il avait été imaginé, peut-être fantasmé…
Quelle est la particularité de la norme pénale environnementale, par exemple en matière de déchets ?
Le droit pénal de l’environnement présente un certain nombre de caractéristiques – que l’on peut aussi analyser comme certaines des raisons de son échec permanent – et le domaine des déchets est un point d’observation parfait pour le réaliser. Le droit pénal des déchets trouve son siège principal à l’article L. 541-46 du Code de l’environnement, texte long de 36 alinéas, incriminant 17 séries de comportements pour une vingtaine d’infractions, peu ou prou. La plupart sont incriminées par renvoi. C’est-à-dire que l’élément matériel des infractions ne peut être compris qu’en se référant à d’autres textes, extra-pénaux, lesquelles sont – et cela est révélateur des sources mêmes du droit pénal de l’environnement – tantôt d’origine administrative, donc infra-législatives, voire fondées sur un acte administratif individuel, ce que tout le monde ne considère pas tout à fait comme une règle de droit, tantôt issue du droit de l’Union européenne. Cette technique législative est portée à son paroxysme. Par exemple, le quatrièmement du texte incrimine le fait d’« abandonner, déposer ou faire déposer, dans des conditions contraires aux dispositions du présent chapitre, des déchets ». Le renvoi est fait à un chapitre entier, lequel est composé de six sections ! de dix sous-sections !, et de plus de 130 articles !, et ce, sans même compter les articles abrogés, auxquels l’incrimination renvoie néanmoins… Un art législatif d’un niveau à peine passable. Il ne faut pas s’étonner que certains juges du fond aient déjà refusé d’appliquer certaines de ces incriminations, motifs pris de leur illisibilité (Poitiers, 15 janvier 2015, n° 13/01766 : JCP E 18 juin 2015, note Ch. Blanchard). Évidemment, la chambre criminelle ne l’a pas admis (Crim. 22 mars 2016, n° 15-80.944). Cela aurait porté un germe comme une abrogation de fait de la quasi-totalité des infractions environnementales.
Quel est le constat pour le droit pénal climatique ?
Plusieurs leçons ont pu être tirées du travail réalisé par la joyeuse équipe que nous avons réunie autour de la question du droit pénal face au changement climatique. La première est que le droit pénal climatique n’existe pas ! Cela tient, en premier lieu, au caractère accessoire du droit pénal de l’environnement. Dans sa forme principale, il n’y a droit pénal de l’environnement qu’au secours d’une police administrative spéciale de l’environnement. Or il n’existe pas encore, à proprement parler, de « police administrative du climat ». Par conséquent, le droit positif n’en connaît pas davantage de déclinaison pénale. En second lieu, dire que le droit pénal climatique n’existe pas signifie aussi que les dispositions pénales en vigueur ne sont pas en mesure de répondre au défi que constitue la crise climatique. Les contributeurs le mettent en exergue pour ce qui est du droit pénal interne comme européen et international, aussi bien dans leurs dimensions substantielles que processuelles. Non seulement il manque de qualifications, de mécanismes d’imputation et de sanctions adaptées à la répression des auteurs d’infractions climatiques, qui contribuent au changement climatique, mais, en outre, ceux qui réagissent à ce changement – les migrants et les déplacés climatiques, les militants écologistes – sont traitées sans ménagement particulier. Il y a des perspectives heureuses cependant : des propositions doctrinales, l’entrée en vigueur attendue de la directive du 11 avril 2024 sur la protection de l’environnement par le droit pénal, le travail jurisprudentiel sur la liberté d’expression et de réunion pacifique. Il faut garder espoir.
Quel est le défi pour les juristes ?
Le défi, pour les juristes, est de réussir à garder espoir, précisément. Les crises écologiques modernes sont tellement complexes et liées à un tel point à nos manières de voir et de vivre le monde, culturellement et matériellement, que le Droit et son pouvoir ne doivent pas être surestimés. La question est avant tout politique et même, au-delà, sociale et culturelle. Tout est lié. Mais le Droit, dans une démocratie libérale – dans un État de Droit – est indispensable à ce que toute évolution sociale soit à la fois légitime et aboutie. Le juriste doit donc à la fois ne pas prendre ses rêves pour des réalités – il pourra formaliser la proposition la plus aboutie, la plus satisfaisante intellectuellement, la plus efficiente écologiquement, il y a fort peu de chance qu’elle se change en législation positive – mais tenir ferme malgré tout, user de toute la puissance de l’imagination évoquée par Giraudoux. Il doit mettre ses compétences techniques et théoriques au service des changements qu’il souhaite voir advenir – car on ne sait jamais, la crise écologique, spécialement la crise climatique finira peut-être par être prise au sérieux et on aura déjà gagné du temps si ceux qui réfléchissent à ce que pourrait être un droit pénal de l’environnement conséquent n’ont pas attendu que ceux qui sont en mesure de l’adopter et de le mettre en œuvre se réveillent. Autrement dit, le droit pénal climatique n’existe pas ; le défi des juristes est de travailler à sa génération. Comme in vitro.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J. L. : Mon meilleur souvenir, à proprement parler, ce n’est pas un moment mais une période : celle de mes années de doctorat ! J’ai eu beaucoup de chance. J’ai fait ma thèse à une époque moins transparente qu’aujourd’hui : nous étions tous assez naïfs quant au fonctionnement réel du monde universitaire et la complexité d’obtenir un poste dans l’ESR. Cela nous apportait une insouciance importante durant une phase de la vie où il faut croire tout de même un peu que ce que l’on fait n’est pas totalement vain. Je l’ai faite à Bordeaux – où la vie est douce – au sein de l’Institut de sciences criminelles et de la justice, milieu particulièrement stimulant pour un jeune chercheur en droit pénal. Surtout, cette période, ce sont surtout les personnes avec qui je partageais mon quotidien, mes compagnons de doctorat. Rien n’aurait été pareil sans ce plaisir quotidien de les retrouver, sans les journées de rire et les soirs de fêtes. Certains sont restés des amis précieux.
R. O. : Sans conteste, mon meilleur souvenir est l’organisation d’une conférence lorsque, étudiant en deuxième année, la lubie nous avait pris avec quelques camarades d’organiser une demi-journée d’étude consacrée à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse où l’on s’était pris à jouer, le temps d’une après-midi, les « conférenciers ». L’expérience, devant un public plus que clairsemé, m’avait à l’époque conquis ! Ironie du sort, en cette année 2025, plus de 20 ans plus tard, des étudiants de Licence 3 de l’Université de Poitiers m’ont sollicité pour intervenir, lors d’une conférence, sur les 50 ans de la « grande » loi Veil, ce que je me suis empressé d’accepter, en souriant intérieurement. Pour les besoins de la cause, j’ai exhumé, avec nostalgie, mes vieilles notes (papier !) que j’avais précieusement conservées. Que le propos m’a paru, 20 années plus tard, naïf, un brin prétentieux même ! Qu’importe, une vocation était née !
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
J. L. : C’est très générationnel mais je ne peux pas citer un autre personnage que Sangoku, le personnage principal des mangas et animés Dragon ball. C’est tellement lié à l’enfance qu’il n’y a pas vraiment de raison à cela. J’imagine que sa combativité, sa volonté de toujours s’améliorer en même temps que sa bonne humeur et son bon appétit constants expliquent un peu ce choix !
R. O. : Dans un registre plus sérieux (et surtout moins drôle), c’est la figure du commissaire Maigret qui me vient immédiatement à l’esprit, tantôt héros humaniste avec son flegme (peu français) et son « french flair » (bien français lui), tantôt « anti-héros », taiseux, volontiers bougon, parfois désagréable. Au-delà du personnage, la série des Maigret est une magnifique peinture sociale du 20e siècle, tout particulièrement de l’après-guerre (c’est, dans la série des romans et nouvelles, la période que je préfère), brossée par Simenon – injustement qualifié d’auteur de « romans de gare » – qui sait mieux que tout autre décrire la complexité des rapports humains, en dressant tour à tour le portrait d’une France rurale, d’une bourgeoisie de province en décrépitude, celui d’une noblesse vieillissante, décadente, ou là encore le sulfureux quartier Pigalle de l’époque. La série des Maigret est également une belle « peinture pénale » d’une époque, révolue. Si la série est truffée d’approximations juridiques et d’invraisemblances (quel commissaire, même divisionnaire, pourrait se transporter pour enquêter n’importe où en France ou même en Belgique ?), elle met en scène la figure d’un policier de terrain, omniscient, bien éloigné des techniques d’investigation modernes, embarrassé par la présence encombrante d’un juge d’instruction bureaucratique, considéré depuis le 19e siècle comme « l’homme le plus puissant de France », selon le mot de Balzac. Bref, un beau cliché – instantané – de la justice pénale et de l’équilibre des pouvoirs d’une époque !
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
J. L. : La liberté d’expression ! Pour deux raisons au moins. Premièrement, je crois que c’est elle – et non la sécurité comme le prétendent les politiques qui ne savent pas trop de quoi ils parlent – qui est la première de toutes les libertés. Ne serait-ce que parce qu’elles permettent de les défendre toutes ! Secondement – mais c’est lié à ce qui précède – parce qu’elle est aujourd’hui extrêmement menacée. Non pas parce qu’« on ne pourrait plus rien dire » (il est évident que l’on ne peut pas tout dire, la loi de 1881 aussi bien que la Convention européenne des droits de l’Homme posent des limites que l’on peut estimer raisonnable) mais parce qu’aujourd’hui, un certain nombre de ceux qui l’exercent – sous des formes, parfois certes, violentes mais qui demeurent dans les limites de ce que les institutions internationales qualifient de manifestations pacifistes – font l’objet d’un discours politique, de violences policières et de procédures judiciaires qui m’apparaissent proprement disproportionnées ! Il faut changer la rhétorique et les pratiques dont font l’objet ces manifestants et, à cet égard, rappeler qu’ils agissent en vertu d’une liberté reconnue comme fondamentale est un argument précieux.
R. O. : Parce que mon compère Julien Lagoutte m’a « damé le pion » avec la liberté d’expression, c’est la dignité humaine que j’évoquerais ici, d’abord parce que c’est l’un des droits de l’Homme les plus récents qui, quoique bien connu des philosophes, n’a intégré notre ordre juridique que récemment, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en réaction à la barbarie nazie ; il ne s’agissait plus alors seulement de protéger l’Homme contre le despote, mais contre l’Homme, contre ses semblables ; ensuite parce que ce « droit », qui n’en est sans doute pas un, est au fondement même d’autres droits de l’Homme, sinon de tous les autres, qu’il chapeaute en quelque sorte. Et pourtant, ce qui m’interpelle dans le concept de dignité, c’est son ambivalence car s’il est au fondement d’une multitude d’autres droits, il produit, par nature même, des effets liberticides. Sans que l’on sache très bien ce qu’il est dans son contenu, le concept de dignité a pu être invoqué ici pour interdire à une personne de petite taille d’être lancé dans un spectacle de foire ou là, pour interdire le port du voile dans l’espace public. Le concept de dignité interroge les rapports de l’individu et de l’État qui, en son nom, dans une approche volontiers « paternaliste », s’autorise à s’immiscer dans la sphère privée pour protéger l’Homme contre lui-même, contre sa propre volonté, contre ses excès, ses imperfections, ses addictions. De ce point de vue, la dignité apparaît, dans ses effets potentiels, comme l’ennemi juré de la liberté !
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