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[ 23 janvier 2025 ] Imprimer

Sur le procès de l’assassinat de Samuel Paty

Le 16 octobre 2020, le professeur d’histoire géographie Samuel Paty était sauvagement décapité par un terroriste islamiste pour avoir montré en classe des caricatures de Charlie Hebdo représentant le Prophète Mahomet. Revenant à la fin de l’année 2024 sur le terrible engrenage qui a conduit à cet assassinat, la Cour d’assises spéciale de Paris a reconnu coupables les 8 accusés et les a condamnés à des peines allant d’un an à 16 ans de réclusion criminelle. Nathalie Wolff, maître de conférences en droit public, vice-doyen en charge de la culture, UVSQ-Paris-Saclay, nous fait le grand honneur de répondre à nos questions.

Qu’est-ce que la Cour d’assises spéciale de Paris ?

La Cour d’assises spéciale devant laquelle ont comparu les accusés a été créée par la loi du 21 juillet 1982 pour juger les crimes militaires et les atteintes à la sûreté de l’État [v. Code de procédure pénale, Livre IV, Titre XV]. Elle a, par la suite, été étendue au jugement des crimes de trafic de stupéfiants et de prolifération d'armes de destruction massive. Sa compétence en matière de terrorisme est nationale.

Contrairement à une cour d’assises ordinaire, elle siège sans jury de citoyens et se compose uniquement de magistrats professionnels (un président et quatre assesseurs en première instance, six en appel). En effet, depuis la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, il n’y plus de jurés tirés au sort pour éviter les risques d’intimidation pesant sur eux.

Qui étaient les accusés de ce procès ?

L’auteur de l’assassinat de Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov, a été abattu par la police. Huit personnes impliquées dans l’attentat contre le professeur étaient sur le banc des accusés, impliqués à des degrés divers.

On y trouve deux amis d'Anzorov : Azim Epsirkhanov, qui l’a accompagné pour acheter le couteau utilisé pour tuer Samuel Paty, et Naïm Badaoud, présent le matin de l’attentat, lors de l’acquisition de deux pistolets à billes d’acier déposés ensuite devant le collège. Les deux hommes, accusés de complicité d’assassinat, encouraient la réclusion criminelle à perpétuité.

Il y a également le père de la collégienne à l’origine du mensonge sur le cours de Samuel Paty, Brahim Chnina, et un activiste islamiste, Abdelhakim Sefrioui. Tous deux étaient accusés d’avoir, par l’élaboration et la diffusion de vidéos de propagande islamiste ayant suscité un climat de haine à l’égard du professeur, participé à une association de malfaiteurs terroriste, crime passible de 30 ans de réclusion criminelle.

Enfin, reste le dernier groupe d’accusés, quatre individus radicalisés, une femme convertie à l’islam et mariée à homme condamné à 14 ans de prison pour terrorisme, Priscilla Mangel, en lien avec le tueur sur Twitter quelques jours avant l’assassinat. Trois jeunes hommes, Ismail Gamaev, Louqmane Ingar et Yusuf Cinar, étaient également en interaction sur différents groupes Snapchat avec Anzorov. Ils ont tous été accusés d’association de malfaiteurs terroriste pour avoir conforté idéologiquement le tueur dans son projet.

De quoi ont-ils été reconnus coupables ?

Le 20 décembre 2024, tous les accusés ont été déclarés coupables. Écartant toute requalification, la Cour a condamné les deux amis du terroriste qui l’avaient aidé dans la recherche d’armes à 16 ans de réclusion criminelle sans peine de sûreté, coupables de complicité d’assassinat terroriste. S’il n’est pas démontré qu’ils avaient connaissance de l’intention d’assassiner Samuel Paty, la cour a considéré qu’ils avaient « parfaitement conscience de la radicalité » d’Anzorov et de son projet « de s’attaquer à l’intégrité physique d’un tiers ». 

Quant au père de la collégienne et au militant islamiste, ils ont respectivement été condamnés à 13 et 15 ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs terroriste. Rappelant que « l'incrimination d'association de malfaiteurs terroriste permet de réprimer toute participation qu'il s'agisse d'un acte d'action ou de soutien à une entente ou un groupe établi en vue de commettre un acte de terrorisme », les juges ont caractérisé l’entente existant entre Chnina et Sefrioui. Même s’ils n’avaient « pas souhaité l’issue fatale », ces deux hommes qui « ont agi de concert » ont joué un « rôle central dans l'enchaînement causal », parfaitement conscients du risque de violences à l'intégrité physique pouvant s'exercer sur Samuel Paty ». Cette « fatwa numérique », pour reprendre les termes employés lors du procès, a « préparé les conditions de la commission d'une infraction terroriste. ». Ces quatre coupables ont interjeté appel. 

S’agissant des quatre autres accusés, deux d’entre eux ont vu leur infraction requalifiée : Yusuf Cinar condamné pour apologie d’actes de terrorisme à un an de prison, et Priscilla Mangel à 3 ans avec sursis pour provocation directe à des actes de terrorisme. Les deux autres ont été condamnés à des peines allant de 3 à 5 ans de prison avec sursis pour association de malfaiteurs terroriste. 

Que faut-il retenir de ce procès ?

Au-delà de la décision de justice rendue, ce procès nous concerne tous. C’est un procès pour la société, pour la République et pour l’histoire comme l’ont été ceux de l’attentat contre Charlie Hebdo et du Bataclan. L’affirmation des valeurs de la République, de la liberté d’expression et de la laïcité s’est rejouée ici encore, cette fois sur fond de haine en ligne à l’ère où le droit court derrière le numérique. La condamnation des assassins de Samuel Paty nous rappelle le rôle majeur du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales, jamais définitivement acquises. 

Le bras de fer avec l’intégrisme est cependant loin d’être gagné. Deux ans après la mort de Samuel Paty, l’écrivain Salman Rushdie était gravement blessé de 15 coups de couteau et en octobre 2023, le professeur Dominique Bernard assassiné. Ces attaques contre les piliers de la démocratie — la presse, les livres, la police et l’école — nourrissent la peur, et le risque de censure et autocensure. Gageons que nos forces seront suffisamment grandes et unies pour honorer cette culture de la liberté si chèrement conquise ! 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

J’ai beaucoup aimé mon hypokhâgne, cette exceptionnelle ouverture sur la littérature, puis mes années d’études à la faculté de droit d’Assas, les amitiés nouées, l’envie d’apprendre, sans compter la fameuse soirée où nous dansions sur les tables du Grand Amphi ! Mais je garde un souvenir particulièrement ému des cours de master du professeur Yves Jégouzo qui m’a donné envie de poursuivre en thèse de droit de l’environnement à une époque où bien peu de gens s’intéressaient à cette question. 

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ? 

Le cinéma, et plus encore la littérature, sont deux passions qui façonnent mon quotidien. Alors pas facile de retenir deux figures seulement … Mais je mentionnerais Antoine Doinel, personnage central des films de François Truffaut, avec sa voix si particulière. Je voue une profonde tendresse aux anti-héros. Du côté des héroïnes, le personnage d’Alice au pays des Merveilles dans le livre de Lewis Carroll, du fait de son étrangeté. Alice tient la fameuse posture de l’étonnement et de l’émerveillement, et ça m’émerveille ! 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté d’expression ! Les rédacteurs de la Déclaration des droits de 1789 ne se sont pas trompés en se référant à l’« un des droits les plus précieux de l’Homme ».

 

Auteur :MBC


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