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[ 10 décembre 2024 ] Imprimer

Sur le rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale

Pour mieux comprendre ce qu’il se passe concernant le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), Dalloz actu étudiant a la grande chance d’interviewer Stéphanie Damarey, professeur agrégé de droit public à l’Université de Lille, directrice du Master 2 Finances et fiscalité publiques – FSJPS.

Quelles conséquences majeures entraîne le rejet du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?

Une première précision : en matière de dépenses, le PLFSS contient des objectifs de dépenses (et non des plafonds de dépenses comme c’est le cas dans une loi de finances). La différence est importante et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il n’est pas correct de parler d’un budget pour la sécurité sociale. Objectifs de dépenses : cela signifie que pour la sécurité sociale, dans l’idéal, ces objectifs ne seront pas dépassés ; en pratique, très régulièrement, ces objectifs sont dépassés, ce qui a pour effet de creuser le déficit de la Sécurité sociale.

En l’état, il est donc possible de débuter l’année sans LFSS – sans que cela remette en cause l’exécution de ces dépenses : les prestations peuvent être versées, les remboursements peuvent être réalisés. Contrairement à ce qui a pu être affirmé, la carte vitale ne cessera pas de fonctionner au 1er janvier 2025. 

Mais cette situation ne saurait perdurer. Des difficultés de trésorerie pourraient apparaître alors que l’autorisation pour la Sécurité sociale de s’endetter est donnée par la LFSS.

Relevons que les dispositions prévues pour gérer un retard dans l’adoption du texte ne sont pas comparables à celles qui existent pour les lois de finances. Pour ces dernières, il existe plusieurs possibilités : ordonnance, loi partielle, loi spéciale. Pour les LFSS, l’article 47-1 de la Constitution n’a retenu qu’une hypothèse : elle concerne le cas où le Parlement ne se serait pas prononcé dans un délai de cinquante jours. Dans ce cas, les dispositions du projet de LFSS peuvent être mises en œuvre par ordonnance. Et c’est tout. Il n’y a pas dans le texte organique, d’autres dispositions applicables à un rejet du PLFSS. 

Alors quelles solutions ? Dans l’attente d’une LFSS, on peut faire preuve de pragmatisme comme cela a été fait en décembre 1979 : alors que le PLF pour 1980 avait été censuré dans sa totalité par le Conseil constitutionnel (79-110 DC), le gouvernement avait eu recours à une loi spéciale. De nouveau saisi, le Conseil constitutionnel avait validé cette application particulière des dispositions de l’article 44 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, ceci afin d’« assurer la continuité de la vie nationale » (79-111 DC). 

Pour le projet de LFSS, les sénateurs avaient anticipé cette difficulté et ont imaginé la possibilité d’une « loi ad hoc » (https://www.senat.fr/rap/l24-138-1/l24-138-122.html#toc245) pour prévoir cette autorisation d’emprunt. 

C’est une option. Une autre possibilité serait d’insérer cette disposition dans la loi spéciale concernant le budget de l’État. Dans les deux cas, cela suppose que le Conseil constitutionnel, s’il est saisi, fasse preuve d’un pragmatisme comparable à celui de 1979. 

Que peut prévoir la « loi spéciale » annoncée par le chef de l’État sur le fondement de l’article 45 de la LOLF ?

Les dispositions organiques sont très claires à ce sujet : une loi spéciale autorise le gouvernement « à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année ». Très courte, cette loi reprend l’article 1er de la loi de finances de l’année : c’est l’expression du consentement à l’impôt tel qu’issue de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En principe, il n’est possible de recourir à cette loi que si la loi de finances fixant les ressources et les charges de l’Etat n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice (art. 47, 4ème al.). On comprend d’emblée que le cadre juridique n’est pas respecté…

Indépendamment la question est posée d’ajouter à cette loi, d’autres dispositions. Ce qui avait déjà été envisagé avec le projet de loi de finances spéciale pour 1980. Sauf qu’à l’époque, les amendements n’ont pas été accueillis et la loi de finances spéciale s’est résumée à la seule autorisation de percevoir les impôts et taxes existants. La comparaison n’est donc pas totalement pertinente.

Pour le présent projet de loi de finances spéciale, il a notamment été évoqué d’y ajouter des dispositions permettant l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu et autorisant l’Agence France Trésor à lever de la dette. Bercy a également interrogé la possibilité d’y ajouter un article assurant les prélèvements sur recettes à destination de l’Union européenne et des collectivités locales (Les Échos 6 déc. 2024).Et il convient d'ajouter, en faisant le lien avec la réponse précédente, cette disposition issue du PLFSS concernant l'autorisation d'emprunt accordée à l'Acoss. 

Finalement, le Gouvernement a fait le choix de limiter le projet de loi de finances spéciale à sa plus simple expression : le texte qui sera examiné en conseil des ministres ce 11 décembre, ne comprendra que l’autorisation de percevoir les impôts existants. Le Gouvernement évite ainsi les discussions que l’ajout de telles dispositions aurait nécessairement entraîné. Ce faisant, il s’offre la garantie que le texte soit adopté : les différents partis politiques ayant, d’ores et déjà indiqué leur volonté de ne pas s’opposer au projet de loi de finances spéciale et de le voter…

Selon quelle procédure sera-t-elle adoptée ?

Le projet de loi de finances spéciale sera soumis aux deux assemblées parlementaires. La procédure est rapide, elle l'est d’autant plus alors que le projet se limite à l’autorisation de percevoir les impôts et taxes. L’ajout de nouvelles dispositions pourrait rallonger la durée d’examen du texte. Mais il reste suffisamment de temps d’ici à la fin du mois de décembre, pour que le processus soit mené à son terme.

Par principe, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un projet de loi que le Parlement est en capacité de rejeter. Si l’on entend les parlementaires et comme cela a été précédemment évoqué, l’adoption de ce texte ne devrait être qu’une formalité.

Dans l’absolu, il ne faut toutefois pas écarter cette possibilité. Se poserait alors la question des outils à disposition du Gouvernement pour obtenir l’adoption de ce texte. Pour l’instant, c’est un gouvernement démissionnaire qui a initié la procédure d’examen de ce projet de loi de finances spéciale… si d’aventure, le nouveau gouvernement tardait à se former, nous nous retrouverions dans une situation totalement inédite : difficile d’imaginer forcer l’adoption du texte au moyen du 49 al. 3 pour un gouvernement déjà renversé. Il serait tout autant délicat pour un gouvernement fraichement nommé de se trouver déjà contraint d’engager sa responsabilité sur le vote d’un texte…Il y a donc de nombreuses inconnues… mais qui ne devraient pas se concrétiser si l’on tient compte de ces intentions de vote préalablement exprimées.

Que faudrait-il faire en 2025 pour revenir à la « normale » ?

Pour revenir à la normale, les projets de LFI et LFSS doivent être adoptés, en leur entier.

L’adoption du projet de loi de finances spéciale permet juste de gagner du temps mais bien évidemment, le Parlement doit être consulté et doit se prononcer sur le reste de la première partie de la loi de finances (partie recettes et équilibre) et sur la deuxième partie (dépenses). Le Parlement doit également se prononcer sur les trois parties qui composent le PLFSS (année en cours, recettes et dépenses).

Dans l’idéal, l’examen et l’adoption de ces textes devront s’effectuer le plus vite possible.

En évitant les erreurs précédemment commises : la constitution du nouveau gouvernement en est une première étape essentielle. Et surtout, le contenu même du texte doit être repensé : alors que les discussions avaient essentiellement concerné le volet recettes du budget de l’État, il faut que le projet de loi de finances se concentre sur les économies budgétaires qu’il est possible de réaliser. La dépense doit être interrogée et des économies doivent être recherchées.

Le cas échéant, on peut imaginer raisonner en deux temps avec un premier projet de loi de finances initiale, relativement consensuel et idem pour le PLFSS, afin d’emporter l’adhésion du Parlement. La France serait alors dotée des textes financiers indispensables à son bon fonctionnement. 

Dans un second temps, déposer un projet de loi de finances rectificative et un projet rectificatif pour la sécurité sociale (PLFSSR) contenant les mesures les plus susceptibles d’être discutées…

Ce serait un bon moyen de ménager les nécessités juridiques et les considérations politiques qui accompagnent l’examen de ces textes. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Mes cours de droit civil de 2e année (pour la publiciste que je suis, ce n’est pas anodin…), dispensés par le professeur Jean-Jacques Taisne. Il faisait cours les mains dans les poches, connaissait tout sur le bout des doigts. Admirative. C’est lui qui m’a donné l’envie d’enseigner à l’Université.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mon héros, totalement d’actualité avec le récent film Monte Cristo : Edmond Dantès. Pour ses qualités : abnégation, courage, résilience, persévérance…

Mon héroïne : Lélia de Georges Sand, dans la version 1833. Ce n’est pas tant l’héroïne du livre que l’histoire en elle-même, telle que l’a imaginée Georges Sand dans sa première version, des rebondissements, le scandale qu’il a provoqué à sa sortie.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté d’expression. Fondamentale. Indispensable.

 

Auteur :MBC


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