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Sur les écoutes téléphoniques
L’affaire des enregistrements captés par Patrick Buisson, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, et de leur diffusion dans les médias, ainsi que la mise sur écoute de l’ancien Président dans le cadre d’une information judiciaire, soulèvent quelques questions relatives à l’interception des correspondances. Valérie Malabat, professeure à l’Institut des sciences criminelles et de la justice de l’Université de Bordeaux, a bien voulu répondre à nos questions.
Quel est le droit de l’homme mis en danger dans ces deux affaires ?
C’est le droit à la vie privée qui peut être atteint dans ces hypothèses puisque les propos tenus dans des réunions professionnelles non publiques sont considérés comme relevant du droit à la vie privée. Si, de ce droit, on déduit la protection du secret des correspondances, la protection du secret des correspondances entre un avocat et son client (qui relève du secret professionnel) peut également éventuellement porter atteinte aux droits de la défense.
Quel est le cadre d’une limitation de ce droit, c’est-à-dire d’une interception des correspondances ?
Les écoutes téléphoniques judiciaires sont licites à la condition qu’elles respectent les exigences de légalité, de nécessité et que les droits de la défense soient garantis.
L’exigence de légalité est remplie par le droit français qui fixe aux articles 100 et suivants du Code de procédure pénale les conditions dans lesquelles le juge d’instruction peut ordonner l’interception des correspondances (elles ne peuvent ainsi être ordonnées que par un juge d’instruction par une décision écrite non susceptible de recours et à la condition que les nécessités de l’enquête l’exigent et que les infractions en cause soient suffisamment graves – crime ou délit puni de deux ans ou plus d’emprisonnement). En matière de criminalité organisée (C. pr. pén., art. 706-73), les écoutes peuvent également être ordonnées par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République (C. pr. pén., art. 706-95).
Ces textes prévoient d’ailleurs les conditions particulières dans lesquelles les correspondances d’un avocat peuvent être interceptées. L’article 100-7 dispose ainsi que le juge d’instruction doit informer le bâtonnier de l’interception de la ligne dépendant du cabinet ou du domicile d’un avocat et l’article 100-5, alinéa 3, indique que ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense.
La jurisprudence a précisé ces exigences en posant que la conversation avec un avocat peut être transcrite dès lors qu’elle permet de faire présumer la participation de l’avocat à une infraction pénale (Crim. 8 nov. 2000 ; Crim. 14 nov. 2001 ; Crim. 18 janv. 2006 ; Crim. 17 sept. 2008) même si ces faits sont étrangers à la saisine du juge d’instruction (Crim. 1er oct. 2003).
Le respect des droits de la défense implique de permettre à l’individu en cause de pouvoir contrôler les conditions des écoutes pour vérifier que l’ingérence de l’État dans sa vie privée a été limitée à ce qui est nécessaire dans une société démocratique pour reprendre les mots de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’administration peut-elle procéder à des écoutes téléphoniques ?
L’administration pénitentiaire peut procéder à des écoutes téléphoniques des conversations des détenus sous le contrôle du procureur de la République (C. pr. pén., art 727-1).
Mais plus largement, les écoutes administratives sont prévues par le Code de la sécurité intérieure (art. L 241-1 et suivants). Elles doivent être autorisées par le Premier ministre (ou par l’une des deux personnes qu’il a spécialement désignées) sur proposition des ministres en charge de la Défense, de l’Intérieur ou des Douanes, et seulement pour des affaires intéressant la sécurité nationale (prévention du terrorisme…).
L’autorisation doit être accordée par une décision écrite et motivée. Cette autorisation est évidemment limitée dans le temps (4 mois renouvelables) et surtout les enregistrements doivent être détruits 10 jours au plus tard à compter de la date à laquelle ils ont été effectués, seuls les renseignements en relation avec les affaires intéressant la sécurité nationale étant retranscrits.
Enfin, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité assure le contrôle de la légalité de ces opérations.
Comment la garde des Sceaux est-elle garante de l’indépendance de la Justice ?
L’indépendance de la justice est avant tout garantie par la Constitution. L’article 64 de la Constitution de 1958 déclare ainsi que :
« Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.
Une loi organique porte statut des magistrats.
Les magistrats du siège sont inamovibles. »
Parce que le statut des magistrats relève des lois organiques et non des lois ordinaires le Conseil constitutionnel en est donc systématiquement saisi ce qui lui permet d’exercer son contrôle et de veiller au respect de l’indépendance des magistrats.
L’instauration du Conseil supérieur de la magistrature répond au même objectif et, pour marquer davantage son rôle de garant de l’indépendance des magistrats, depuis la loi du 23 juillet 2008, le président de la République n’en est plus le président et le garde des Sceaux n’en est plus le vice-président.
C’est ainsi le CSM qui propose les magistrats du siège pour les postes les plus importants (Cour de cassation, présidents de cour d’appel et de TGI…) tandis que pour les autres postes il émet un avis conforme ou non conforme sur le projet de nomination qui va lier le garde des Sceaux. Pour les membres du Parquet en revanche le ministre de la Justice n’est pas lié par l’avis donné par le CSM. La garde des Sceaux peut donc garantir l’indépendance de la justice (et en donner également l’apparence) en se conformant aux avis donnés par le CSM sur les nominations des membres du ministère public.
La loi du 25 juillet 2013 est également allée dans le sens d’une amélioration de l’indépendance des membres du Parquet en supprimant la possibilité qui était auparavant offerte au garde des Sceaux d’adresser des instructions dans des affaires individuelles. Cette interdiction avait d’ailleurs été mise en application par l’actuelle garde des Sceaux avant même le vote de cette loi (v. circulaire de politique pénale du 19 sept. 2012).
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir d’étudiant c’est l’ambiance dans les amphis. On peut s’y sentir très isolé et, en même temps, il y a parfois des moments d’unité très forts et souvent très drôles. Plus particulièrement, en cours de droit civil, je me souviens d’un professeur qui nous citait très régulièrement les chroniques de jurisprudence des professeurs Cabrillac et Mouly. À chaque fois, l’amphi (environ 400 personnes) reprenait d’un seul homme Mouuuuuuuuuuuly.
Mon pire souvenir est un oral de finances publiques qui a sans doute un peu déterminé ma vocation de privatiste !
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Félix Rome ?
Quel est votre droit de l'homme préféré ? Pourquoi ?
Peut-être la liberté parce que sans elle rien n’est possible. Mais la liberté, pas en ce qu’elle implique un repli égoïste, en ce qu’elle nous amène à envisager nos rapports aux autres avec tolérance (le respect de leur liberté) et responsabilité (l’obligation d’assumer les conséquences pour autrui de notre liberté).
Références
■ Code de procédure pénale
« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle.
La décision d'interception est écrite. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. »
« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.
Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense.
À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »
« Si les nécessités de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications selon les modalités prévues par les articles 100, deuxième alinéa,100-1 et 100-3 à 100-7, pour une durée maximum d'un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée. Ces opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
Pour l'application des dispositions des articles 100-3 à 100-5, les attributions confiées au juge d'instruction ou à l'officier de police judiciaire commis par lui sont exercées par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire requis par ce magistrat.
Le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l'interception est informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l'alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation, par application des articles 100-4 et 100-5. »
« Aux fins de prévenir les évasions et d'assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé habilités à recevoir des détenus, les communications téléphoniques des personnes détenues peuvent, à l'exception de celles avec leur avocat, être écoutées, enregistrées et interrompues par l'administration pénitentiaire sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent, dans des conditions et selon des modalités qui sont précisées par décret.
Les détenus ainsi que leurs correspondants sont informés du fait que les conversations téléphoniques peuvent être écoutées, enregistrées et interrompues.
Les enregistrements qui ne sont suivis d'aucune transmission à l'autorité judiciaire en application de l'article 40 ne peuvent être conservés au-delà d'un délai de trois mois. »
■ Article L. 241-1 du Code de la sécurité intérieure
« Le secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques est garanti par la loi.
Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l'autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci. »
■ Crim. 8 nov. 2000, Bull. crim. n° 335.
■ Crim. 14 nov. 2001, Bull. crim. n° 238.
■ Crim. 18 janv. 2006, Bull. crim. n° 22.
■ Crim. 17 sept. 2008, Bull. crim. n° 191.
■ Crim. 1er oct. 2003, Bull. crim., n° 177.
■ V. Malabat, Droit pénal spécial, 6e éd. Dalloz, coll. "HyperCours", 2013.
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