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Sur l’inflation législative
Claire Demunck, rédactrice en chef de la revue Actualité juridique Collectivités territoriales, est intervenue lors de la Réunion de sensibilisation relative aux conséquences de l’inflation normative sur le « pouvoir d’agir » des collectivités, ouverte à l’ensemble des membres du Sénat. De retour dans nos locaux de Lefebvre Dalloz, voici ce qu’elle nous en dit !
Quel constat est fait de longue date concernant le volume législatif ?
De nombreux chiffres circulent, sans toutefois pouvoir être tous vérifiés, sur l’augmentation du volume des normes. J’entends par là non seulement les lois, les ordonnances, mais également l’ensemble des mesures réglementaires d’application. C’est pourquoi on parle volontiers « d’inflation législative » mais il est plus correct d’évoquer « l’inflation normative », au sens large. L’exemple frappant est celui de la taille des « codes » qui ne cessent de « grossir » au fil des années.
Mais, pour en revenir à quelques chiffres, le secrétariat général du gouvernement (SGG) relève, dans les indicateurs de suivi de la norme mis en ligne en 2023 (https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/statistiques-de-la-norme) , que le nombre de pages publiées du Journal officiel est passé de 33 997 en 2004 à 71 297 en 2022, soit plus du double, en moins de vingt ans.
Et pourtant, ce constat est ancien : le Conseil d’État, dès 1991, dans son Rapport public exprimait cette formule restée célèbre : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite », reprise en 2016 dans son étude annuelle (Simplification et qualité du droit), pour souligner son actualité…
Mais nous pourrions remonter encore plus tôt dans l’histoire de France puisque Montesquieu s’inquiétait déjà des « lois inutiles [qui] affaiblissent les lois nécessaires ». C’est toujours la même antienne.
Comment l’inflation législative s’explique-t-elle ?
De nombreux facteurs contribuent à cette « addiction à la norme » française (voir, par exemple, pour les collectivités territoriales, Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! Sénat, 26 janv. 2023, https://www.senat.fr/rap/r22-289/r22-289_mono.html).
On peut citer tout d’abord la complexification du monde, qu’il s’agisse de l’accélération des progrès technique (il n’est qu’à voir les potentialités offertes mais également le nécessaire encadrement de l’Intelligence artificielle pour s’en convaincre), de l’ouverture des frontières, de l’émancipation de l’individu par rapport aux conceptions traditionnelles de la famille et de la société. Le droit répond, il n’est que le reflet des évolutions de notre société. La production de normes est également une réponse à des attentes telles que la protection contre des risques économiques, sociaux et, plus récemment encore environnementaux.
Parfois, les normes répondent à une urgence, c’est la « norme magique ». C’est le cas de textes adoptés en réaction à des événements. On pense plus facilement à des textes en droit pénal. Face à un drame, la pente naturelle est de répondre à l’émotion par une nouvelle loi, sans se poser la question des textes préexistants.
Enfin, quand on tente de simplifier, on complexifie. Le Conseil d’État relevait en 2016 que près de 130 textes de simplification avaient été adoptés en dix ans ; sans grand succès…
Beaucoup d’autres raisons expliquent cette inflation normative : la norme reste ainsi le vecteur privilégié de l’action publique, en France. En effet, qui élirait un candidat qui se présenterait à une élection en n’annonçant aucune réforme ?
Quels sont les risques majeurs en découlant ?
Les principaux risques de cette inflation normative sont notamment une instabilité de la règle de droit et un manque de qualité de textes rédigés très (trop) vite. Le droit devient également de plus en plus complexe (ce que certains agriculteurs ont pu dénoncer lors de leurs manifestations en février 2024) et déconnecté de ses conséquences concrètes, son application. Le Conseil d’État, dans son rapport « L’usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique » (2023) prend l’exemple de l’abribus pour illustrer le « maquis » des normes et ses conséquences parfois kafkaïennes (en 6 pages ; Chronique de la complexité des normes à travers un objet de la vie quotidienne : un « Abribus » : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/l-usager-du-premier-au-dernier-kilometre-un-enjeu-d-efficacite-de-l-action-publique-et-une-exigence-democratique).
« Nul n’est censé ignorer la loi » ; cet adage est bien compliqué à appliquer à la lettre aujourd’hui.
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils y remédier ?
Il faut déjà distinguer de façon pragmatique ce que l’on nomme le stock de normes de ce qu’on appelle le flux. Le remède n’est d’ailleurs pas le même ! L’enfer étant pavé de bonnes intentions, de nombreux textes ont vu le jour et dont le but, au moins partiel, a été de simplifier le droit ou d’en améliorer la qualité ou la lisibilité. Sans grandes victoires et contribuant même, pour certains, à l’empilement de normes.
Dans le traitement du stock, on évoquera le travail accompli pour limiter le nombre de circulaires, qui a d’ailleurs porté ses fruits. En effet, depuis 2018, à défaut de publication sur l'un des supports légalement prévus dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, les circulaires sont réputées abrogées. On est ainsi passé de 27 837 circulaires en vigueur en 2018 à 10 069 en 2023 !
Pour le flux, un véritable travail de sensibilisation doit être mené auprès des décideurs politiques : gouvernement, parlement, afin que la « loi nouvelle » n’apparaisse plus comme l’unique réponse à toutes les questions des citoyens.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’ai eu le grand bonheur de suivre mes études de droit dans les locaux de Panthéon-Sorbonne. Mon meilleur souvenir d’étudiante est celui de ma marche matinale, avant les cours, entre la station Châtelet et le Panthéon, en passant par le marché aux fleurs, la traversée de la Seine, l’île de la cité et la montée de la montagne Sainte-Geneviève. Un plaisir totalement parisien !
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Petit mais costaud, mon héros de fiction préféré est Idéfix : adorant les arbres, silencieux mais très communicatif, un des piliers des albums d’Astérix. Il est la preuve qu’on peut parler peu (voire pas du tout) et être indispensable.
Mon héroïne de fiction préférée est Laureline, voyageuse spatio-temporelle : j’ai appris à lire en feuilletant les BD de Christin et Mézières. Femme forte, compagne de Valérian, aimant les animaux de toutes sortes (y compris les grognons de Bluxte), Laureline était un véritable modèle.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Tous ! Mais je préfère la formule de « droits humains ».
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