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[ 29 novembre 2018 ] Imprimer

Trois erreurs judiciaires

Selon Monsieur Truche, ancien Premier président de la Cour de cassation « La magistrature est un métier dangereux, surtout pour les autres ». Les Éditions Dalloz font paraître un ouvrage sur trois erreurs judiciaires : les affaires Patrick Dils, Loïc Sécher et le Gang de Roubaix. Son auteur François-Louis Coste, ancien avocat général à la cour d’appel de Lyon, puis à celle de Paris, a bien voulu répondre à nos questions.

Quelles avaient été les condamnations prononcées dans ces trois affaires ?

Patrick Dils, qui avait 16 ans à l'époque du crime, avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité ; il a passé 16 ans de sa vie en prison. Loïc Sécher avait été condamné à 16 ans de réclusion criminelle ; il a été incarcéré pendant près de 8 ans. Quant au Gang de Roubaix dont l'un des membres avait fait feu pour commettre un vol, la mort de la victime ne faisait pas partie des débats. L'accusé que l’on jugeait à Paris, en appel d’un arrêt de Douai, n’avait pas été mis en accusation pour ce crime. Celui-ci avait été qualifié de « meurtre » par l'arrêt de la chambre de l'instruction qui avait prononcé un non-lieu puisque l'auteur du tir avait préféré mourir plutôt que de se faire arrêter. Selon moi, il aurait dû être qualifié de « tentative de vol (une voiture) avec violences ayant entraîné la mort », la violence mortelle étant alors une « circonstance aggravante réelle » faisant encourir à tous les participants à la tentative de vol la réclusion criminelle à perpétuité. Mais puisqu’on l’avait qualifié de meurtre, le crime ne pouvait être reproché qu’à celui qui avait tiré. Ce dernier étant mort, il ne pouvait donc plus en être question lors des débats. C'est à cette question de qualification que j’ai consacré un chapitre de mon livre.

Quelles circonstances ont permis de nouveaux procès dans ces affaires ?

C’est la question du « fait nouveau » qu’apprécie la Cour de cassation statuant comme Cour de révision. Patrick Dils avait été condamné ; il protestait de son innocence et disait que les aveux passés en garde à vue et qu’il avait d’ailleurs répétés au juge d’instruction, ces aveux étaient sortis de son imagination, stimulés par les enquêteurs au cours de longs interrogatoires diurnes et nocturnes. Mais ces aveux étaient tellement terribles que nul n'avait plus jamais voulu les mettre en doute selon le principe : « plus c'est horrible, plus c'est forcément vrai ». Il avait donc été condamné. Le fait nouveau n’était pas du tout évident à trouver. Son avocat avait essayé à deux reprises de saisir la Cour de cassation d’une demande en révision mais il n’y était pas parvenu, les arguments qu’il présentait n’étaient pas jugés suffisants pour étayer sa requête. Jusqu’au jour où, par des contacts entre un gendarme qui enquêtait sur Francis Heaulme, un journaliste et un autre avocat… le rapprochement s’est fait. Le gendarme s’est souvenu, cinq ans plus tard, que Francis Heaulme lui avait parlé d’un jour particulier : deux jeunes garçons lui avaient jeté des cailloux quand il passait en vélo sous le pont d’une voie ferrée à Montigny-Lès-Metz. Repassant par le même itinéraire en fin d'après-midi, il était monté sur le talus et il avait vu ces deux enfants morts. C’était évidemment des propos très étonnants, très troublants. Cinq ans plus tard, le gendarme avait dressé procès-verbal de ses souvenirs et une nouvelle demande de révision était déposée. C'est ainsi que la commission de révision a pu être saisie et a mené sa propre enquête. Francis Heaulme a confirmé ce qu'il avait déclaré au gendarme et la cour de révision en a conclu que de tels propos constituaient un fait nouveau de nature à douter de la culpabilité de Patrick Dils. À présent, Francis Heaulme qui a été condamné à Metz l’année dernière, a fait appel et le 4 décembre son procès en appel s’ouvre à Versailles.

Pour Loïc Sécher, c’est d'abord l’histoire d’une jeune fille qui ne va pas bien et que certains de ses enseignants interrogent pour comprendre les raisons de son mal-être. Vraisemblablement pour s'en débarrasser, elle leur fait la description de quelqu'un d'étranger au collège et de « bizarre », « qui abuse de moi sexuellement ». Elle ne veut évidemment pas parler de la façon dont elle découvre la sexualité avec ses copains de classe. Donc elle décrit l'homme sans donner de nom. Mais ses parents identifient immédiatement Loïc Sécher, ce qu'elle confirme. Et tout le monde la croit sans se poser de questions. Il est condamné. Et puis, longtemps après, cette jeune fille qui, psychologiquement, va de pire en pire tout en restant lucide, va voir une avocate qui ne s’était jamais occupée de l’affaire. Elle lui dit : « j’ai menti, j’ai accusé quelqu’un ; il est en prison ; aidez-moi à le dire à la justice ». Et cette avocate aide cette jeune fille à écrire au procureur de la République et à l’avocat de Loïc Sécher. C'est ainsi que la procédure de révision est enclenchée. Loïc Sécher bénéficie de ce fait nouveau : la reconnaissance par la victime de ce qu’elle avait menti. Ce n'est pas évident car une personne qui en dénonce une autre est interrogée par les juges ; elle est censée avoir été bien interrogée. Alors changer d’avis et dire le contraire de ce que l'on a fait croire à des juges évidemment compétents, n’est-ce pas manipuler la justice, la faire tourner comme une girouette ? C’est pourquoi la Cour de cassation est très méfiante à cet égard. Or, en l'occurrence, il y avait un autre dossier parallèle qui permettait de vérifier que cette jeune fille avait menti. Et cet autre dossier n'avait pas été soumis à la cour d'assises (en première instance comme en appel), si bien qu'il était permis de dire « oui elle a menti ; il faut réviser ».

Comment avez-vous réussi à passer outre à l’émotion populaire suscitée par ces affaires ?

Dans l’affaire Sécher, c’était moins compliqué parce que celle qui se posait en victime disait « j’ai menti ». Néanmoins il est vrai que ses parents, sa famille, ses proches sont arrivés à l’audience en disant « notre fille est vraiment très mal psychologiquement donc elle est prête à dire tout et son contraire ; elle a été assurément maltraitée, violée ; il faut condamner Loïc Sécher, c'est un violeur ». Et puis, au fil des débats, ils se sont rendu compte que c’était plus compliqué ; et finalement ils ont été convaincus de l’innocence de Sécher. C’était assez émouvant de voir comment les regards et les échanges au fil des audiences ont évolué, pour se terminer par un échange de paroles, ce qui n’était pas du tout évident. Ainsi, on a entendu Loïc Sécher dire à cette jeune fille, son accusatrice, combien il espérait qu’elle aille mieux, que de toute façon il ne lui en voulait pas. Là je n’avais qu'à m'incliner. D'ailleurs, j'ai félicité Loïc Sécher pour sa dignité et son courage. 

C’était plus difficile pour Patrick Dils et ça l’est toujours parce que les membres de la famille d’une des deux victimes sont restés très profondément marqués par les aveux initiaux passés en garde à vue. Mais en tant qu’avocat général, quand on parle d’une affaire en justice, il faut être très attentif et respecter la sensibilité des uns et des autres, être délicat ; mais en même temps on parle aux juges, on parle pour les juges, et les jurés sont aussi les juges ; c’est à eux qu’il faut d’abord penser, tout en respectant les parties au procès. C’est prioritairement à eux que l’on s’adresse pour leur dire « ce que l’on croit convenable au bien de la justice », ou plus exactement les paroles permettant de les amener à rendre un verdict correspondant à ce que l'on croit convenable au bien de la justice. Parce qu'en définitive, « le bien de la justice », il ne résulte pas des réquisitions de l’avocat général ; s'il se réalise, c'est par l’arrêt de la cour d’assises.

Ces révisions ont-elles conduit à des réformes des procédures judiciaires ?

La loi du 10 juin 2014 a quelque peu modifié la procédure de révision. Mais, quant aux conditions d'admission, rien n'est fondamentalement modifié. Il faut toujours le « fait nouveau » de nature à mettre en doute la culpabilité du condamné. Le problème consiste à vérifier que le fait invoqué est nouveau, c’est-à-dire que les juges n'en avaient pas connaissance, et qu'il est susceptible de bouleverser l'interprétation des éléments de preuves de la culpabilité. À cet égard, la loi n'a rien changé. En revanche, à l'époque où Dils était accusé on ne pouvait juger l’accusé mineur le jour du crime que par une cour d'assises siégeant à publicité restreinte quel que soit son âge à la date du jugement. C’est d’ailleurs pour Patrick Dils que la loi a été modifiée. Le législateur, inspiré par d'anciens magistrats devenus députés, a modifié la loi en permettant à l’accusé mineur à l’époque du crime, de demander et d’obtenir la publicité des débats lors de son procès. C’est une réforme importante parce qu’il est vrai que l’ambiance n’est pas la même dans un procès à huis clos et dans un procès public. Dans ce dernier, face au regard du public, les jurés ressentent peut-être davantage le poids de leur responsabilité ; ils réalisent que leur verdict va avoir un écho plus important.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Mai 68.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Le Cid de Corneille.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Celui qui n’est pas écrit : le droit d’aimer.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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