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Tweets écrits, twitte et crie ?
La condamnation en diffamation, par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-mer, en septembre 2018, d’un jeune militant des droits des réfugiés à la suite d’un tweet mettant en cause des CRS est l’occasion de revenir sur le droit applicable à ce réseau social. Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences à l'Université de Lorraine, directeur de l'Institut d'Études Judiciaires à Nancy, et animateur du site sinelege répond à nos questions.
Les tweets relèvent-ils de la sphère publique ou privée ?
Tout dépend principalement du paramétrage du compte. Si le compte est accessible à tous, les tweets qui y figurent doivent être considérés comme publics. En revanche, si le compte est d’accès restreint (Twitter permet de rendre l’accès à son compte limité, le follower devant être accepté par le titulaire du compte), les propos semblent a priori non publics. Pour autant, il ne suffit pas de restreindre l’accès à son compte pour éviter l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La jurisprudence apprécie la publicité des infractions de presse au regard de l’existence d’une communauté d’intérêts. L’existence d’une telle communauté d’intérêts entre l’auteur de propos et les personnes auxquelles le propos est accessible empêche de considérer que la condition de publicité exigée par la loi du 29 juillet 1881 est remplie. Mais une telle communauté d’intérêts ne peut se déduire d’un seul accès restreint au compte Twitter : une personne qui aurait limité l’accès à son compte peut tenir des propos publics si elle est suivie par de nombreuses personnes qui n’ont en commun que le fait d’être abonnées au même compte. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de retenir l’existence d’une communauté d’intérêts, dans le cas d’un compte Facebook, accessible aux personnes agréées par le titulaire du compte, en nombre très restreint (Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 11-19.530). Le faible nombre est déterminant. Une autre décision de la cour d’appel de Paris a quant à elle considéré que des écrits d’un site accessible avec un code d’accès peuvent être considérés comme publics (5 juin 2003, n° 2002/10950). Au vu du fonctionnement de Twitter, l’existence d’une communauté d’intérêts apparaît donc difficile à caractériser, que le compte soit public ou privé.
Quelles sont les limites à la liberté d’expression lorsque l’on twitte ?
Juridiquement, les limites sont les mêmes que pour n’importe quel propos ou écrit. Les restrictions à la liberté d’expression contenues dans la loi du 29 juillet 1881 sont applicables, quelle que soit la forme du propos. Même si le propos n’est pas considéré comme public, parce que le compte est « cadenassé » et qu’il compte peu d’abonnés, une infraction peut être caractérisée : la diffamation, l’injure, la provocation présentant un caractère raciste ou discriminatoire sont constitutives de contraventions lorsque le propos n’est pas public. Il faut ajouter à cela les comportements de harcèlement, auxquels le législateur a tenté de répondre dans la loi du 3 août 2018 avec la prise en compte du cyber-harcèlement à l’article 222-33, II, du Code pénal. Il peut également exister des limites particulières qui dépendent de la profession exercée par un twittos : par exemple, les règles déontologiques des professions juridiques s’appliquent également sur les réseaux et justifient une certaine prudence dans l’expression.
En revanche, il faut bien constater que la conscience de ces interdits apparaît très limitée derrière un clavier, avec l’instantanéité propre à Twitter. Dissimulés derrière un pseudonyme, certains twittos sont prompts à insulter. Certaines affaires médiatisées ont permis de montrer que les réseaux sociaux n’étaient pas des espaces hors du droit et que la répression pouvait appréhender les abus de la liberté d’expression. L’autre particularité tient sans doute au recours au second degré : l’ironie est le propre de Twitter, mais un tweet qui se veut ironique peut être constitutif d’une infraction de presse, en fonction du contexte dans lequel il est écrit. D’autres incertitudes peuvent exister, s’agissant du « fav » et du « retweet » : aimer un contenu – et l’indiquer – ou le relayer ne sont pas neutres. Ici encore, la contextualisation est importante.
Le droit commun des abus de la liberté d’expression est applicable aux réseaux sociaux, quels qu’ils soient. Il nécessite toutefois d’être bien compris de tous. La loi sur la presse concernait auparavant principalement les journalistes ou personnalités ayant accès à un support d’expression : désormais, tout le monde a accès à un support d’expression, sans avoir nécessairement conscience de la portée des propos tenus.
Quelles sont les obligations du diffuseur Twitter?
Deux types d’obligations pèsent sur Twitter. D’abord, en tant que fournisseur d’hébergement, le réseau doit se soumettre à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Il n’a pas à surveiller l’ensemble des publications pour vérifier celles qui seraient contraires à la loi. En revanche, le réseau doit apporter une réponse aux demandes de retrait formulées par des utilisateurs qui signaleraient des tweets illicites. La loi impose également des obligations particulières pour lutter contre l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale et la pornographie enfantine : les fournisseurs doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et, le cas échéant, informer les autorités des activités illicites constatées. Ensuite, Twitter fait respecter ses conditions d’utilisation et peut demander aux utilisateurs de supprimer un tweet, voire suspendre le compte.
Quelle est la particularité de Twitter par rapport aux autres réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Youtube, etc.) ?
Sans doute l’instantanéité des réactions et l’anonymat des utilisateurs : les messages sont courts, rapides, et semblent éphémères. Les autres réseaux sociaux ont une logique un peu différente, qu’il s’agisse de maintenir un contact entre « amis » (Facebook) ou relations professionnelles (LinkedIn), ou de partager du contenu plus préparé (une photo, une vidéo). Sur Instagram, les abus de liberté d’expression sont peut-être moins nombreux, ne serait-ce que parce que l’image est plus difficilement constitutive d’une infraction de presse, même si rien ne l’exclut. Sur Youtube, le contenu est plus préparé, l’instantanéité ne se retrouve pas dans les vidéos, au contraire des commentaires faits sous les vidéos. L’important est de se souvenir que, quel que soit le réseau utilisé, un abus de la liberté d’expression peut être caractérisé, mais également d’autres infractions comme une atteinte à la propriété intellectuelle, par exemple.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ils sont nombreux ! Et principalement liés à des activités extra-universitaires qui ne se déroulaient pas sur les bancs de la faculté. Le DEA. (autre temps… [Diplôme d’Études Approfondies, ancien Master 2 !]) a été un moment important, parce qu’il a été l’occasion de découvrir les potentialités de la recherche : le premier séminaire de Jean-François Seuvic, qui a ensuite été mon directeur de thèse, reste à cet égard un moment marquant.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Aucun et un peu tous : le Batman pour les superhéros, Kurt Wallander pour les enquêteurs, les héros « mis en fiction », comme Antoine de Tounens, Philip K. Dick ou Romain Gary… Ender Wiggins, le héros du Cycle d’Ender de Orson Scott Card, est peut-être le personnage de fiction le plus fascinant : génie instrumentalisé, il devient celui qui porte la parole des morts pour réconcilier les êtres, humains et non humains.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Pas l’un plus que d’autres : la liberté, l’égalité et la fraternité, parce que ce triptyque est fondateur et ne doit pas rester qu’une devise.
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