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[ 20 avril 2023 ] Imprimer

Une coopération bien établie entre la France et la Cour pénale internationale ?

En 2021, la France a donné suite à une trentaine de demandes d'entraide émanant de la Cour pénale internationale (CPI). Notre pays est par ailleurs le troisième contributeur au budget régulier de la Cour, derrière le Japon et l'Allemagne. Un nouveau pas vient d’être franchi avec l’approbation par la loi du 21 février 2023 d’un Accord de coopération conclu en octobre 2021. Pierre Jouette, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Poitiers, nous éclaire sur ces relations.

Quelles sont les compétences de la Cour pénale internationale ?

Elles sont nombreuses mais leur présentation nous renseigne utilement sur l’étendue des conflits dont peut se saisir le Bureau du Procureur. Déjà, la compétence de la Cour pénale internationale est matérielle, c’est-à-dire qu’elle ne peut juger que de certaines infractions. Le Préambule du Statut de Rome (son texte fondateur et régulateur) évoque des infractions parmi « les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ». Précisément il s’agit du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes et de guerre et dans certaines circonstances, des crimes d’agression (articles 5 à 8 bis). Ensuite, au titre de la compétence personnelle, la Cour ne peut appréhender et condamner que des personnes physiques majeures, ce qui la prive de poursuivre et juger des personnes morales ou des personnes physiques mineures (article 25). En outre, au titre de sa compétence temporelle, le Statut n’est pas rétroactif et ne s’applique qu’à compter de son entrée en vigueur initiale (2002) ou une date ultérieure dans l’hypothèse d’un État qui y adhère ultérieurement (article 11). Enfin et surtout, la compétence de la Cour est limitée dans l’espace (ratione loci). Une lecture combinée des articles 12 et 13 du Statut révèle qu’elle ne peut connaître que des crimes commis sur le territoire d’un État partie au Statut ou d’un État tiers si le crime est commis par un ressortissant d’un État partie. À cela s’ajoutent néanmoins des exceptions, notamment si la Cour est saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU ou si les juges autorisent le Procureur à se saisir d’une affaire de sa propre initiative. Évidemment, cela n’est qu’un rapide résumé et de nombreuses dispositions viennent circonscrire plus précisément encore les compétences de la CPI. C’est ainsi qu’elle est compétente à l’égard des crimes commis en Ukraine par la Russie et ce en dépit du fait que ces deux États ne soient pas parties au Statut de Rome.

Quelle est l’effectivité de ses jugements ?

Déjà, plus que les jugements, il faudrait peut-être parler de manière plus globale des décisions. En effet, l’effectivité de la Cour ne se résume pas seulement aux jugements qu’elle rend, entendus comme les décisions de condamnation ou d’acquittement, mais plus généralement à toutes les décisions qu’elle peut prendre en amont et en aval du jugement.

Ensuite, une réponse affirmée est malaisée tant les enjeux sont nombreux. Il faut noter que le Statut enjoint aux États parties l’obligation de coopérer avec la Cour en matière d’enquêtes et de poursuites (article 86 et suivants). Malgré cela, les juridictions internationales pénales sont victimes d’une difficulté structurelle : elles ne disposent pas de forces de police. En d’autres termes, la collecte des preuves, l’arrestation et la remise des personnes suspectées de crimes internationaux mais également l’exécution des décisions dépend essentiellement des États et, forcément, de considérations parfois plus politiques et diplomatiques que juridiques. Dès lors, et les tribunaux ad hoc en ont déjà fait l’amère expérience, les décisions peuvent demeurer lettres mortes. L’affaire des mandats d’arrêts contre Omar el-Bechir en est une illustration des plus fameuses, ce que corrigeront peut-être ceux délivrés contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova …

Enfin, il faut préciser que l’obligation générale de coopération ne concerne pas la phase d’exécution des peines ou encore d’accueil des personnes acquittées. Pourtant, là encore, la Cour a besoin du concours des États, ce que les Accords de coopération permettent de compenser.

Que prévoit l’Accord de coopération d’octobre 2021 dont l’approbation vient d’être autorisée par la loi du 21 février 2023 ?

L’Accord d’octobre 2021 concerne l’exécution des peines d’emprisonnement prononcées par la Cour pénale internationale. Il met en œuvre les dispositions du Statut de Rome et du Règlement de procédure et de preuve (RPP) en matière d’exécution des peines dans le cadre de la coopération avec l’État français.

Cet Accord repose sur un modèle de coopération horizontal. En effet, l’exécution des peines d’emprisonnement relève du consensualisme et donc de la libre appréciation de ces mêmes États (Statut de Rome, art. 103-1) qui font savoir à la Cour qu’ils sont disposés, ou non, à recevoir des condamnés pour l’exécution de leur peine.

Ainsi, l’Accord de coopération de 2021 règle les différentes questions qui peuvent se poser dans l’exécution des peines prononcées par la Cour et exécutées en France. Ses dix-sept articles traitent de questions variées comme le transfèrement (article 3), le contrôle de l’exécution de la peine (article 4), l’inspection des conditions de détention (article 5), la désignation d’un autre État que la France aux fins d’exécution de la peine (article 11), les dépenses liées à l’exécution de la peine (article 14) ou encore la modification et la dénonciation de l’Accord (article 15).

Revenons plus précisément sur quelques points saillants.

Déjà, il est important de noter la coexistence de deux droits. En effet, l’article 4§1 prévoit que le droit pénal français est applicable à l’exécution des peines sous réserve des règles établies par les textes de la Cour (Statut, RPP, Règlement de la Cour). Cette coexistence est tout à fait justifiée dans la mesure où, en matière d’exécution, le droit international pénal est relativement succinct et se contente de poser les grandes règles et principes applicables, sans se soucier du détail des questions induites par l’exécution quotidienne des peines. L’Accord doit ainsi être lu en parallèle de l’ensemble de ces dispositions internationales et nationales.

Ensuite, conformément au principe de coopération volontaire, la France n’est pas tenue de faire exécuter une peine sur son territoire mais dispose du droit d’apprécier si elle est matériellement prête à recevoir la personne condamnée. Une fois qu’elle est sollicitée par la Cour d’après un principe de répartition équitable (règles 200 et 201 du RPP), elle dispose d’un délai de réflexion de deux mois au terme duquel elle est formellement désignée comme État d’exécution (article 2), avant qu’il ne soit procédé au transfèrement sous l’égide du Greffe de la Cour et des autorités françaises (article 3). Ces dernières sont alors tenues de faire exécuter la peine telle qu’elle a été prononcée dans sa nature et son quantum par la Cour. On dit qu’elle est exécutoire pour la France (article 9§1).

Par ailleurs, durant l’exécution et dans la mesure où les textes de la Cour ne prévoient aucune disposition concrète sur les hypothèses d’octroi d’aménagements de peines, c’est le Code de procédure pénale français qui est principalement applicable. Il n’en demeure pas moins que son application est conditionnée à la procédure que prévoit l’Accord (article 4§3) mais surtout au contrôle de la Cour. Elle pourra ainsi s’opposer à l’octroi de tels aménagements. En d’autres termes, les autorités françaises ne sont pas pleinement compétentes pour décider seules. Cela est accentué en matière de réductions de peines ou de libérations anticipées car l’octroi de ces mesures relève exclusivement du Statut (article 110) et de l’appréciation de la Cour (article 9§4 de l’Accord). Dans tous les cas, la France doit permettre au condamné de présenter de telles demandes (articles 9§3).

Une autre disposition importante est l’article 8 qui prévoit le principe Ne bis in idem. Il ne s’agit véritablement que d’une déclinaison de l’article 20 du Statut. Ainsi, toute demande formulée par la France ou un États tiers aux fins de poursuites d’une personne accusée de crimes entrant dans la compétence matérielle de la Cour et définitivement jugée pour ces faits ne peut prospérer. En revanche, si les poursuites concernent d’autres faits commis antérieurement au transfèrement vers la France, la Cour doit autoriser ou non les poursuites et au besoin, le transfèrement vers un État tiers (article 8§2 et 3).

Enfin, l’article 12 est relatif à la fin de l’exécution de la peine. Ainsi la personne qui a accompli sa peine peut soit demeurer sur le territoire français, soit être transférée dans son État d’origine ou dans un État qui accepte de la recevoir. Dans ces deux dernières hypothèses, la procédure de transfert s’opère en dehors de tout contrôle de la Cour et ne relève que du droit et des autorités françaises. Si une certaine logique préside à ce régime, il n’en demeure pas moins que les problématiques inhérentes au droit international pénal (comme sa proximité avec des questions politiques) rendent nécessaires le fait pour la Cour de demeurer saisie des questions de réintégration des condamnés. Il en va de la resocialisation de ces personnes. En effet, dans la mesure où les États (d’origine ou non) sont parfois rétifs à l’installation sur leur territoire d’une personne condamnée pour un crime international, allant parfois jusqu’à faire encourir des risques pour leur sécurité personnelle, le travail de relocalisation devrait être une priorité pour la France et la CPI. Or, l’Accord révèle un certain désintérêt pour ces questions …

Quels en sont les enjeux ?

Ils sont à la fois juridiques et politiques.

Juridiques car l’Accord donne corps à la coopération avec la CPI dans des domaines qui ne relèvent pas de l’article 86 du Statut tout en rendant effectives les dispositions des articles 627-1 à 627-20 du Code de procédure pénale. En effet, dès 2002 (Loi n°2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale), l’État français a mis son droit processuel en conformité avec l’obligation qui était sienne de coopérer avec la Cour. Or, faute d’Accord idoine, l’exécution des peines demeurait une question en suspens, comme le relève sans l’expliquer véritablement, l’étude d’impact.

On regrettera néanmoins que l’Accord soit aussi peu avancé sur les questions de relocalisation des condamnés ou se limite à la seule question de l’exécution des peines sans envisager non plus le sort des personnes acquittées et ce, en dépit de leur évocation par l’article 8§1 de l’Accord ou de l’étude d’impact.

D’où le fait qu’en creux, se révèlent également des enjeux politiques. En effet, les acquittés des juridictions internationales pénales se trouvent eux aussi confrontées au risque de ne pas pouvoir retourner chez eux ou d’être refoulés d’autres territoires, en raison notamment des soupçons qui persistent à les accabler, ce que l’Accord confirme indirectement. Ceci est d’autant plus regrettable que le gouvernement français semblait chercher à redorer le blason de sa coopération avec la Cour (l’étude d’impact évoque ainsi le fait que « La France s’engage constamment aux côtés de la Cour pénale internationale dans la répression des crimes internationaux les plus graves » ou encore qu’il est « apparu utile d’accorder un intérêt prioritaire à cette demande de coopération […] et de réaffirmer ainsi le soutien de la France à la CPI »). Pourtant, force est de constater qu’il est le douzième de ce genre et qu’il intervient plus de vingt après la ratification du Statut et la loi du 26 février 2002.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Difficile de n’en choisir qu’un. Si je devais camper le rôle du bon élève j’évoquerais les cours de droit pénal international et européen de Michel Massé … Mais tous les moments de joyeuse camaraderie qui ponctuent la vie et font le sel de la vie étudiante (période de thèse comprise) constituent des souvenirs impérissables !

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Très certainement le personnage de Bilbo Baggins dans le roman Le Hobbit de J.R.R Tolkien car son amour de la bonne chair, des livres et du confort n’a d’égal que son courage et sa loyauté.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Ces droits n’ont-ils pas d’intérêt que par leur existence plurielle ?

 

Auteur :MBC


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