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[ 2 avril 2020 ] Imprimer

Universités fermées mais professeurs en ligne !

Quelle année universitaire 2019-2020 ! Il est décidément très difficile pour les étudiants d’étudier sereinement. Avec le confinement dû au Covid19, l’initiative du professeur Mustapha Mekki, de l’Université Sorbonne Paris Nord, de cours par voie électronique est formidable. Il a bien voulu répondre à nos questions.

Pourquoi et pour qui des cours magistraux en ligne ?

La pandémie et le confinement ont effectivement bouleversé l’ensemble des cursus de formation. Pour ma part, j’ai été confronté à deux séries de difficultés en ma qualité de professeur à l’Université Sorbonne Paris Nord et en ma qualité de directeur général de l’Institut national des formations notariales : la fermeture de l’Université et la fermeture des dix-sept sites de formation de l’INFN. Ces deux mesures ont justifié la mise en place d’un plan de continuation d’activité.

À l’Université Sorbonne Paris Nord, grâce à la plateforme Moodle, la plupart des cours ont pu être dispensés en Licence et en Master 1. Les services de l’Université ont été très réactifs et la doyenne de la faculté de droit, Anne Fauchon, a géré cette crise d’une main de maître. D’autres collègues et amis, tels que Frédéric Bicheron ou Romain Boffa, ont dispensé leurs cours en créant une chaîne Youtube.

Me concernant, les cours étaient quasiment terminés au début du mois de mars. J’ai pu utiliser pour des groupes restreints, en Master 2 notamment, une plateforme telle que Go to meeting, très facile à utiliser et permettant de voir tous les étudiants (jusqu’à 150) et de diffuser des documents en même temps. Il a fallu également organiser des examens pour des étudiants qui devaient rapidement partir en stage. Dans cette hypothèse, Skype était un format suffisant pour faire passer des oraux individuels à chaque étudiant. Évidemment, la fracture numérique et l’inégal accès au numérique auraient pu poser problème à certains étudiants. Nous avions pris la peine de le vérifier auprès de chacun d’eux afin d’éviter une telle inégalité de traitement. Enfin, comme l’enseignement n’est pas une denrée rare qu’il faudrait réserver aux étudiants de nos universités respectives, mais un bien commun, certains ont pris l’initiative de cours numériques ouverts à tous. C’est à cette fin, notamment, que j’ai mis en place sur Facebook direct, des cours d’actualité en droit des contrats pour permettre aux étudiants qui passent des examens et aux praticiens en manque de formation continue d’avoir un aperçu en quelques heures chaque semaine de l’actualité législative et jurisprudentielle. Qui aurait cru que Facebook pourrait devenir le vecteur des communs !

En outre, la gestion de la crise à l’Institut national des formations notariales fut plus complexe. Cette école nationale du notariat compte près de 4 000 étudiants allant du BTS au Diplôme supérieur du notariat (DSN), en passant par les examens de contrôle des connaissances techniques (ECCT), certaines licences professionnelles, les diplômes des métiers du notariat (DMN) et la voie professionnelle. Heureusement, la direction générale, les directeurs de sites et les directeurs des DSN ont immédiatement mis en place un plan de continuation d’activité. Avec la participation active des enseignants et une solidarité sans précédent, ils ont tous mis en place un programme d’enseignements à distance composés de supports écrits, d’exercices et corrigés, de plateformes de discussion et, pour certains, des cours en visioconférences. L’objectif est de maintenir un lien avec des étudiants qui, pour beaucoup, sont en alternance. Grâce au travail conjugué du personnel administratif et des enseignants, la formation en présentiel a été remplacée par une formation à distance de qualité. Pour contribuer à l’œuvre collective, l’INFN a mis en place les « rendez-vous de l’INFN » en créant une chaîne Youtube. Plusieurs enseignants, notamment de la direction générale, tels que Jézabel Jannot, directrice pédagogique, et moi-même dispensons des cours pour accompagner les étudiants de toutes les filières (BTS, licences professionnelles, DMN, voie professionnelle, DSN) que ce soit en déontologie, en droit immobilier, en actes courants, en droit de la famille. Nous ne remplaçons pas les cours en présentiel, nous faisons en sorte de maintenir nos étudiants dans un esprit de formation avec une stimulation intellectuelle régulière pour faciliter la reprise après la période de confinement.

Quels sont les obstacles les plus difficiles à surmonter dans leurs mises en œuvre ?

Les obstacles sont nombreux à surmonter tant à la Faculté de droit qu’au sein de l’INFN.

Le premier est d’ordre technologique. Les réseaux sont saturés en raison d’une sollicitation plus importante que d’habitude. Il faut choisir une heure creuse ou parfois passer par les canaux 4G plus performants. L’obstacle technologique se rapporte également à l’utilisation des supports de formation à distance. Il n’est pas simple, lorsqu’on n’a pas la fibre technologique, de comprendre l’utilisation de certaines plateformes. Il faut cependant avouer que les différents médias numériques sont assez simples à mettre en place et à utiliser.

Le deuxième obstacle est d’ordre social. L’enseignement à distance peut être source d’une inégalité de traitement. Tout le monde n’a pas accès à un ordinateur personnel. Chacun d’entre nous n’a pas un abonnement internet suffisant pour utiliser régulièrement la vidéo, pour des raisons économiques ou géographiques. Nous n’avons pas un égal accès aux plateformes, certaines d’entre elles étant payantes. C’est une donnée qu’il faut prendre en considération, notamment si cette expérience forcée du confinement incite les pouvoirs publics à développer ce mode d’enseignement.

Le troisième obstacle est d’ordre pédagogique. Tout d’abord, il faut insister sur les effets bénéfiques pour les étudiants qui profitent, par défaut, d’un enseignement à distance, souvent de qualité. Ils bénéficient ainsi de cours rédigés, ce qui n’est pas très répandus à l’Université, qui permettent la mise en place d’une pédagogie inversée. Devant le peu de succès d’une telle méthode en présentiel, la remarque est importante. Ces cours sont accompagnés d’exercices et de corrigés. Cela facilite la dispense d’enseignements plus professionnalisant ou du moins plus concrets. Enfin, les visios et le tchat qui l’accompagne libèrent la parole des étudiants et permettent un cours plus proche de la méthode dialectique aristotélicienne. Paradoxalement, la mise en place contrainte et en urgence des enseignements à distance devrait permettre de faire évoluer les méthodes d’enseignement plus collaborative, plus participative et plus co-constructive. Cependant, il faut prendre garde à ce que cet épisode ne remette pas en question la pertinence des cours en présentiel. Il n’y a rien de plus formateur qu’un cours dispensé par une personne physique qui est mieux à même de sentir son auditoire, de comprendre sur quels points le public a besoin d’explications supplémentaires, de nouer un vrai dialogue et un véritable échange avec les étudiants. Enseigner c’est aussi séduire. Cette opération de séduction est plus difficile à mettre en place en visio. Enfin, tout le monde n’est pas capable d’enseigner en visioconférence. On peut dispenser un cours de qualité. Le fond ne varie pas. Lorsqu’on a un bon enseignant, le contenu du cours demeure très profitable aux étudiants. Cependant, le cours en visio exige de l’intervenant des qualités supplémentaires, probablement très proches de la névrose et de la schizophrénie. Disons que l’enseignant à distance donne parfois l’impression de ne « pas être tout seul dans sa tête ». Il faut comprendre ce qu’est un cours en numérique. Vous êtes seul devant un écran, dans une pièce de votre appartement, sans public, sans bruit si ce n’est le son de votre voix, sans réaction autre que le tchat, et vous devez donner vie à vos propos, varier le rythme de votre débit, alterner les intonations, accompagner la parole de gestes bien maîtrisés. Ce n’est pas un exercice facile. L’exercice me semble-t-il est même à la limite du cas clinique ! Pour toutes ces raisons, il faut privilégier des séquences qui ne sont pas trop longues, d’une heure ou d’une heure et demi. Il ne faut pas hésiter à se répéter. Pour ceux qui ne se sentent pas de le faire, les sains d’esprit en quelque sorte, il faut opter pour la visio-forum afin de répondre aux questions des étudiants qui ont lu au préalable un support écrit ou pour corriger en visio des exercices.

Faut-il craindre un renouvellement des rapports étudiants-professeurs avec la pratique de l’enseignement en ligne ?

Comme je le précisais dans la question précédente, l’enseignement à distance est un très bon complément. Cet enseignement doit apporter une valeur ajoutée à l’enseignement en présentiel. Il ne doit absolument pas devenir un substitut.

À l’avenir, cet enseignement à distance va connaître un développement sans précédent en raison de cette expérience forcée du confinement. Il faudra prendre plusieurs précautions et observations.

D’une part, accompagner cette généralisation d’une aide financière accordée aux établissements et aux étudiants. Il ne faut pas que ce droit à l’enseignement, égal pour tous, ne soit menacé par des inégalités économiques. Le plan pédagogique devra s’accompagner d’un plan économique et financier.

D’autre part, ce support peut être très utile pour des étudiants, éloignés géographiquement, qui peuvent ainsi bénéficier des enseignements dispensés par les meilleurs enseignants. Cet enseignement à distance, déjà mis en place par l’INFN par exemple en partenariat pour certaines formations avec le CNED, doit cependant prévoir des périodes de regroupement d’une semaine, par semestre par exemple, pour pouvoir échanger en présentiel avec une équipe d’enseignants. Cet enseignement à distance ne se fait pas seul. Les étudiants sont accompagnés de web-tuteurs pour les guider et les aider au quotidien. Le e.learning ne peut se dispenser de l’humain.

En outre, cette formation à distance est un excellent atout pour faire évoluer en douceur la méthode de l’enseignement du droit. Comme je l’ai souligné précédemment, la pédagogie inversée, l’enseignement plus méthodique que substantiel, le dialogue et le débat, sont plus faciles à mettre en œuvre, paradoxalement, avec un support numérique. La mise en place de tests avec correction automatique, à la disposition des étudiants, l’existence de plateforme collaborative renforcent le lien entre enseignants et étudiants. Encore une fois, il faut opter pour la vertu du juste milieu, sans défaut ni excès. Se détourner des instruments numériques de formation est une erreur et à contre-courant. Donner une exclusivité à l’enseignement numérique, c’est ignorer les règles essentielles de la pédagogie. Le juste milieu est de conserver des cours en présentiel qui sont enrichis d’un accompagnement numérique. À l’avenir, il faudra également veiller à ce que ce temps passé sur les supports numériques ou pour les préparer soit pris en compte dans le service des enseignants. L’enseignement numérique demande plus de temps de préparation et est plus éprouvant dans sa réalisation. Il faudra en tenir compte dans le calcul des heures de services des enseignants universitaires et dans la rémunération des enseignants hors université.

Enfin, la formation à distance est une aubaine pour les professionnels du droit. J’ai déjà pour ma part expérimenté ce type de formation à distance avec Dalloz que ce soit lors d’une formation exclusivement en numérique dispensée à des avocats restés sur leur lieu de travail pendant deux heures très intenses de présentation et de questions. J’ai expérimenté aussi le différé, la formation dispensée à l’Omnidroit d’Avignon était diffusée en direct et enregistrée, permettant aux inscrits de profiter pendant une certaine durée de la formation. Au sein de l’INFN, nous avons également choisi de diffuser en direct et d’enregistrer l’ensemble de nos journées (citoyennes, expert, actualités, profession). Elles sont actuellement accessibles sur le site. L’avenir de la formation continue doit également passer par une juste dose de formation à distance.

L’avenir de l’enseignement à distance réside dans la valeur ajoutée qu’il apporte à l’enseignement en présentiel.

Quels conseils de méthodologie pouvez-vous donner aux étudiants confinés ?

Premier conseil : restez chez vous !

Plus directement en lien avec le sujet, il faut organiser sa journée pour ne pas « tourner en rond ». Faites-vous un programme sur la semaine, le dimanche par exemple. Gardez-vous des moments pour « respirer », clairement déterminés dans la journée : jogging d’une heure, série télé, livre sans lien avec le droit, faire les devoirs des enfants… Organiser votre temps comme une journée ordinaire sauf que tout se passe à domicile.

Commencer, pour ceux qui sont en formation et pour lesquels des mesures ont été prises par leurs établissements respectifs, Université ou INFN, par identifier les cours qui devaient être faits en présentiel et qui vous sont proposés en enseignement à distance. Si un cours écrit a été mis à votre disposition, prenez la peine de le lire avant la visio. Sinon « ficher » par vous-même la partie du cours correspondante sur un manuel. Après le cours en numérique, faites quelques exercices qui vous ont été donnés. Faites cela pour chaque matière.

Afin de varier les plaisirs, identifier ensuite des offres de formation sur les réseaux qui pourraient venir compléter vos connaissances.

À vrai dire, le seul vrai conseil que je peux donner à un étudiant est de ne pas se laisser noyer par l’absence de contrainte. Vous devez vous imposer un programme journalier et tenter de vous y tenir. C’est ce programme qui donne une structure à votre journée et vous évite de rentrer dans une spirale infernale en vous demandant tout au long de la journée : qu’est-ce que je fais ? Où est passée ma journée ? Par où commencer ?...

En attendant, le plus important, c’est de se protéger et de protéger les plus faibles en restant chez soi.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

J’avais déjà été interrogé sur ce point et avais répondu la rencontre avec mon épouse Soraya Amrani Mekki. Pour un souvenir différent, c’est la camaraderie et la complicité avec celui qui deviendra un précieux ami : Carbon de Seze.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mon héros de fiction, sans aucune hésitation, Eugène de Rastignac car existe à travers lui Balzac, que j’ai beaucoup lu, et car le personnage ambitieux mais loyal me fascine.

Mon héroïne de fiction, difficile de choisir, mais j’ai un coup de cœur pour Arya Stark, dans Game of thrones : une selfmade woman, volontaire, guerrière, revanchard et surtout parce qu’elle a tué le roi des marcheurs blancs !

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Le droit à la non-discrimination car il conditionne tous les autres.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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