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Vers la pleine souveraineté de la Nouvelle Calédonie ?
L’accord de Nouméa de 1998 prévoit un scrutin d’autodétermination pour l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle Calédonie. Celui-ci sera organisé en novembre 2018 par l’État français, sur la base d’une liste électorale spéciale. Le 7 septembre 2017, le Conseil d’État a rendu un avis sur les modalités d’inscription sur cette liste dont l’établissement fera dépendre le résultat final. Le 16e comité des signataires de l’accord de Nouméa s’est tenu le 2 novembre 2017, à Paris, sous la présidence du Premier ministre pour fixer définitivement ces modalités. Olivier Gohin, professeur à l’Université de Panthéon-Assas (Paris 2), répond à nos questions sur cet événement politique important.
Qu’est-ce qu’un scrutin d’autodétermination et quelles en sont les conséquences ?
Le droit des Nations Unies prévoit le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour permettre à ce peuple qui se considère comme dominé, de constituer un État internationalement reconnu. L’autodétermination est la procédure de mise en œuvre du principe, à travers le vote de ce peuple à un suffrage qui, selon les exigences contemporaines de toute société démocratique, doit être universel, sans exclure quiconque pour des raisons tenant à l’origine, à la race ou la religion ou au sexe, mais aussi à des conditions liées à une résidence trop longue ou à un âge d’électorat trop élevé.
La France de la ive République a mis fin à la colonisation politique (Préambule de 1946, al. 18) et elle a fait de ses anciennes colonies des territoires d’outre-mer (TOM ; Constitution de 1946, art. 74), mouvement qui s’est accompagné d’un accès des citoyens de ces nouveaux TOM au suffrage universel. Cette conception a été reprise, en 1958, à l’occasion de l’adoption de la Constitution de la République et de la Communauté. Ainsi, le vote contre cette Constitution du peuple guinéen, le 28 septembre, l’a conduit à l’indépendance immédiate. Pour les autres peuples, une seconde autodétermination, réalisée indirectement par leur assemblée représentative, pendant quatre mois, a permis soit de confirmer leur appartenance à la République et leur fusion dans le peuple français, soit d’accéder à l’indépendance-association dans le cadre de la Communauté institutionnelle. Celle-ci deviendra, la pleine indépendance, en 1960, lorsque cette Communauté cessera d’être fédérale pour devenir confédérale.
Il faut préciser que le peuple français est donc constitué au 4 février 1959, ce qui, depuis cette date, exclut l’existence, en droit, de peuples distincts, en métropole, comme outre-mer : l’article 72-3, alinéa 1er de la Constitution le dit parfaitement, depuis la révision de 2003, contre l’affirmation constitutionnelle d’un prétendu « peuple kanak », implicitement. Mais, la France étant un État-nation, ce peuple français n’est pas définitif, telle ou telle population pouvant demander à quitter la République pour accéder à l’indépendance (en droit positif, Const., art. 53, al. 3). Tel est l’objet des quelques scrutins d’autodétermination des populations organisées depuis 1962, l’État ayant à organiser le vote sur place et à en tirer les conséquences : une population ne devient indépendante que si elle y consent et si l’État en est d’accord par la loi constitutionnelle ou ordinaire, selon que la collectivité est constitutionnalisée ou non. Lorsque le scrutin est contre l’indépendance, ce référendum est « pour décision » et l’État ne peut rien y faire, à droit constitutionnel constant. Tel est le cas, en 1974 et en 1976, de Mayotte, département français tant que les Mahorais le voudront. Lorsque le scrutin est en faveur de l’indépendance, cette consultation est « pour avis » encore que, sous la ve République, l’État, en 1962 (Algérie), en 1975 (les trois îles du Nord de l’archipel des Comores) ou en 1977 (Djibouti) ne soit jamais passé outre.
Quel est le contexte historique de ce scrutin en Nouvelle-Calédonie ?
La Nouvelle-Calédonie, colonie devenue TOM en 1946, connaît un suffrage universel aux conditions de la métropole, en 1957. Elle a fait le choix, en 1958, de son maintien dans la République où elle est une collectivité à statut propre, régi, d’une part, par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, publicisé et constitutionnalisé, et, d’autre part, par l’article 77 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, avec dans leur prolongement, le statut actuel, fixé transitoirement par la loi organique du 19 mars 1999. Depuis les événements de violence armée connus sur place, dans la décennie 1980, provoqués par une vaine promesse gouvernementale d’indépendance-association, avant et donc sans vote des populations calédoniennes (déclaration de Nainville-les-Roches de 1983, projet Pisani de 1985), un premier scrutin d’autodétermination des populations calédoniennes aura été organisé, le 13 juin 1987. La consigne d’abstention de l’opposition indépendantiste n’aura pas alors permis de tenir le résultat massivement positif (98% des exprimés), mais avec une forte abstention (41 % des inscrits), pour définitivement acquis. La convergence des dirigeants calédoniens des deux bords s’est alors faite, à l’occasion des accords Matignon (juin 1988), pour un statut transitoire de dix ans (loi du 9 nov. 1988) au terme duquel un nouveau scrutin d’autodétermination serait organisé, à des conditions de durée de résidence qui impliquait un suffrage non plus universel, mais restreint. Les indépendantistes sachant qu’un tel scrutin ne serait pas favorable à l’indépendance et les anti-indépendantistes voulant éviter le retour à la violence, le consensus a été préservé, à l’occasion de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, pour reporter le scrutin d’autodétermination à 2018 au plus tard, à un suffrage toujours restreint, dans le cadre d’un nouveau statut transitoire. L’inconstitutionnalité d’un tel suffrage qui exclut des Français du droit de vote pour des considérations qui, dans la République française, sous couvert de sincérité du vote, sont, en réalité, de caractère démographique, pour ne pas dire ethnique, aura été permis par le caractère référendaire de la loi, en 1988, et par le recours à une révision constitutionnelle, en 1998.
Quel sera l’électorat pour le scrutin d’autodétermination de l’automne 2018 ?
Par manipulation étatique du droit de vote en Nouvelle-Calédonie, il existe trois listes d’électeurs en Nouvelle-Calédonie : 1) la liste générale de suffrage universel qui est de droit commun : citoyenneté française (élections présidentielles ou législatives ou référendums nationaux) ou de l’Union européenne (élections municipales ou européennes), jouissance des droits civils et politiques, âge de dix-huit révolus et durée de résidence de six mois et deux autres listes de suffrage restreint, d’ailleurs différemment : 2) la liste provinciale (élections provinciales tous les cinq ans, depuis 1999, et donc du congrès) et 3) la liste spéciale (scrutin d’autodétermination). Pour s’en tenir à cette dernière liste, elle est construite à partir de la liste générale, à un effectif actuel de près de 190 000 électeurs inscrits, pour environ 210 000 électeurs potentiels, soit une déperdition de l’ordre de 20 000 électeurs.
A donc été proposée, par l’avis du Conseil d’État du 7 septembre 2017, l’inscription d’office de tous les majeurs en Nouvelle-Calédonie ayant six mois de résidence sur la liste générale, ce qui permettrait donc 20 000 nouveaux électeurs de plus, puis une modification de la loi organique de 1999 pour que ces nouveaux inscrits soient, à leur tour, inscrits d’office sur la liste spéciale pour autant qu’ils soient nés en Nouvelle-Calédonie : de l’ordre de 11 000, qu’ils soient alors de droit commun civil (4 000 environ) ou de statut civil coutumier (7 000 environ). Après avoir modifié sans difficulté le Code électoral qui relève de la loi ordinaire, encore faudra-t-il modifier la loi organique statutaire et, pour éviter sa contrariété avec l’accord de Nouméa, norme de référence du contrôle obligatoire de constitutionnalité (Const., art. 61, al. 1er et Cons. Const. 15 mars 1999, n° 99-410 DC), réviser cet accord, et donc la Constitution. C’est là que l’on vérifiera, une fois de plus, comme la Constitution est faiblement rigide lorsque le consensus parlementaire existe : on l’avait déjà vérifié en 2007 lorsque la révision de 2007 aura permis que l’électorat aux provinciales ne soit plus « glissant » : dix ans de résidence, quelle que soit la date d’installation en Nouvelle-Calédonie, mais « gelé » : dix ans de résidence en 1998, le droit de vote local étant devenu héréditaire, sous condition de présence continue en Nouvelle-Calédonie, au profit des descendants des électeurs de 1988.
Un accord politique – mais le politique qui veut tout ne saurait tout avoir dans un État de droit, serait-il de suffrage restreint – s’est dessiné, à l’occasion du dernier comité du suivi de l’Accord de Nouméa en date, celui du 2 novembre 2017, qui vise précisément à inclure 11 000 nouveaux électeurs. Porter de la sorte l’électorat restreint de 157 000 à 168 000, c’est encore 22 000 de moins que l‘électorat actuel de la liste générale de droit commun et 42 000 de moins que l‘électorat potentiel (20% de cet électorat), appelé à devenir le nouvel électorat inscrit de droit commun. Lorsque l’on est dans l’abus de droit, même consensuel, qu’importe, à la vérité, la dimension de l’abus et l’existence du consensus.
Quelles peuvent être les conséquences de cet électorat sur les résultats du scrutin ?
Le fond du débat, c’est qu’il n’y a pas de majorité en faveur de l’indépendance de la Calédonie-Kanaky dans les urnes. Les résultats à tous les scrutins organisés depuis 1999 le prouvent, y compris aux élections provinciales, même à un suffrage restreint, moins restreint, cependant, que le prochain scrutin d’autodétermination, s’il a bien lieu (on entend, à nouveau, le slogan de 1988 sur le « référendum-couperet ») et, en ce cas, si c’est bien sur une question nette : pour ou contre l’indépendance (on lit, à nouveau, un discours sur l’indépendance-association, sous couvert d’État associé ou fédéré qui suppose un État préexistant qui fait défaut). Si ce nouveau tour de « passe-passe » est écarté, alors, après le prochain référendum qui aura dit clairement le refus des Calédoniens de se maintenir dans l’ensemble français, une révision constitutionnelle s’imposera, en 2019, pour éviter le second scrutin obligatoire, mais inutile, dans les dix-huit mois qui suivent : dès lors, le suffrage universel sera rétabli sur tout le territoire de la République, à tous les scrutins, et le statut actuel de large autonomie de la Nouvelle-Calédonie sera enfin pérennisé, hors les compétences de souveraineté : elles sont et doivent rester, voire redevenir, sur place, les compétences déconcentrées de l’État.
En bref, Calédonie non indépendante, souveraineté non partagée et suffrage non restreint, voilà les trois côtés du vaste triangle équilatéral dans lequel s’inscrit l’avenir institutionnel de cette collectivité territoriale au sein de la République française, une et démocratique.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur : sortir d’un cours d’histoire des idées politiques du professeur Raoul Girardet, dans le grand amphithéâtre de Dauphine où les cours de l’Année préparatoire de Sciences-Po étaient alors dispensés, et se dire que, décidément, on est un plus intelligent qu’en entrant. Je tiens le « ou » pour exclusif et je ne suis pas certain, d’ailleurs, d’avoir de mauvais souvenirs (et donc un pire souvenir) de ma vie d’étudiant, au point que j’ai voulu devenir professeur de faculté.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Tintin avec qui, pour ma part, je ne suis pas en rivalité internationale.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté. Tous les droits de l’homme s’y rapportent car il n’est d’homme que libre et donc responsable de ses choix.
Références
Préambule de la Constitution de 1946
Alinéa 18
« Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire, elle garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques et l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus. »
Constitution de 1946
Article 74
« Les territoires d'outre-mer sont dotés d'un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République.
Ce statut et l'organisation intérieure de chaque territoire d'outre-mer ou de chaque groupe de territoires sont fixés par la loi, après avis de l'Assemblée de l'Union française et consultation des assemblées territoriales. »
Constitution de 1958
Article 53
« Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi.
Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées. »
Article 61
« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation. »
Article 72-3
« La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre-mer, et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.
La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton. »
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