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Vers un changement des modes de scrutin ?
De nombreux candidats à la députation souhaitent plus de proportionnelle dans le mode de scrutin des élections législatives. Jean-Marie Denquin est professeur émérite de droit public et auteur de nombreux ouvrages dont le dernier paru en 2021, Les concepts juridiques : comment le droit rencontre le monde (Classiques Garnier). Il a bien voulu répondre à nos questions sur ce thème politique et arithmétique.
Quel est le mode de scrutin des élections législatives aujourd’hui ?
J’espère ne rien vous apprendre en disant qu’il s’agit du scrutin uninominal, majoritaire à deux tours. Les trois qualificatifs sont nécessaires pour décrire l’objet : « uninominal » implique qu’on élit qu’un député, ce qui suppose la définition d’autant de circonscriptions qu’il y a de sièges à pourvoir ; « majoritaire », qu’est élu le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix ; « à deux tours », qu’au premier il faut, pour être élu, obtenir une majorité absolue et les voix d’au moins le quart des électeurs inscrits, tandis qu’au second tour la majorité relative suffit. Seuls peuvent s’y présenter les candidats qui ont obtenus les suffrages de 12,5 % des électeurs. Toutefois, si un seul candidat a franchi cette barre, le candidat arrivé second peut également se présenter. En cas d’égalité des voix, c’est le plus âgé qui est élu.
Quelle a été son évolution depuis l’adoption de la Constitution en 1958 ?
La décision a été prise, en 1958, de ne pas constitutionnaliser le mode de scrutin. Celui-ci peut donc être modifié par une loi ordinaire. Mais en pratique le système actuel a toujours été appliqué, sauf aux élections de 1986 où la majorité de gauche au pouvoir a instauré, pour minimiser sa défaite prévisible, un scrutin proportionnel départemental. Revenue au pouvoir, la droite a rétabli le scrutin majoritaire. Cet épisode mis à part, seules des dispositions de détail ont été modifiées.
Quel serait selon vous l’intérêt d’ajouter plus de proportionnelle dans les modes de scrutin à l’avenir ?
L’idée actuellement dominante est que les institutions fonctionnent mal. Il faut donc faire quelque chose, mais quoi ? Il est difficile de le savoir. « Instiller », selon le cliché habituel, une dose de proportionnelle, est une idée simple, mais d’une efficacité douteuse. On la défend généralement en affirmant que ce mode de scrutin produirait un « miroir de la nation », qui permettrait une meilleure représentation des diverses minorités. Peut-être. Mais il faut voir que la formule, pour être pertinente, suppose de réduire la « nation » aux forces politiques organisées. Les partis seraient, à travers la constitution des listes de candidats, entièrement maîtres du jeu : les minorités de toute nature ne seraient représentées que dans la mesure où les formations politiques inscriraient leurs représentants en position éligible sur ces listes. Rien ne prouve qu’elles ne réserveraient pas celles-ci à leurs dirigeants.
Comment cela pourrait se faire concrètement ?
Il semble que les projets actuels n’envisagent que d’instaurer une proportionnelle intégrale. Il faudrait donc soit augmenter le nombre des députés, soit redécouper les circonscriptions. La première hypothèse risque d’être impopulaire, le seconde d’engendrer de graves controverses. D’autre part parler de « la » proportionnelle est trompeur, car le principe peut être décliné sous des formes très diverses et produire des résultats fort différents. Quel niveau choisir ? National, régional, départemental ? Comment répartir les restes ? À la plus forte moyenne, au plus fort reste ? Faudrait-il fixer un seuil minimum pour qu’une liste participe à la répartition des sièges, et si oui lequel ? Il est possible de répondre à ces questions, mais les réponses ne sont ni évidentes ni neutres : telle disposition, favorable à tel parti, serait défavorable à son rival. Chaque camp accuserait donc les autres de manipulations opérées à son détriment.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’étais étudiant à Science-po tout en suivant le cursus de droit, si bien que je n’ai guère de souvenirs concernant les trois premières années de licence (qui, à l’époque, en comptait quatre). Pour la rue Saint-Guillaume, j’ai des souvenirs de mai 68 qui, sans être nécessairement bons, sont du moins représentatifs : une inscription dans le grand hall : « Le bonheur est une idée neuve à Science-po » (hommage à Saint-Just) et une autre, plus discrète mais qui disparut moins vite : « Pendons Chapsal avec les tripes de Grosser ! » (hommage au curé Meslier). Pour Paris II, je me souviens surtout des hommes, absolument remarquables, que j’ai eu le privilège d’y rencontrer, Georges Burdeau, Robert Charlier, Georges Berlia et Denis Lévy, mon directeur de thèse – la liste n’est pas exhaustive.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
J’aime bien le grand vizir Iznogoud. Malheureusement je ne connais pas son équivalent au féminin, ce qui montre que la parité a encore des progrès à faire.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La question peut paraitre étrange. Si l’expression « Droits de l’homme », au pluriel, s’est imposée, c’est évidemment parce qu’ils sont plusieurs mais aussi parce qu’ils sont solidaires : il est difficile, et peut-être dangereux, de penser l’un sans l’autre. Préférer, à l’inverse, implique la possibilité de les distinguer ou du moins de les hiérarchiser. On peut soutenir, par exemple, que le droit à la vie est plus important que la liberté d’expression, car on peut vivre sans parler mais non parler sans vivre. Mais peut-on en conclure qu’il est envisageable de concéder l’accessoire pour sauvegarder l’essentiel ? La question mériterait débat. On dit que la liberté ne se divise pas, faut-il en dire autant des Droits de l’homme ? Si en revanche on envisage une préférence subjective, ce à quoi on renoncerait le plus difficilement, ce serait pour moi la liberté de dire ce que je pense, qui implique aussi la liberté de ne pas le dire : ni censure ni expression obligatoire d’une vérité officielle.
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