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[ 9 décembre 2021 ] Imprimer

Zola, peintre de la justice et du droit

Le manuscrit de Germinal révisé par son auteur Émile Zola restera-t-il un bien français racheté par le ministère de la Culture et la BNF ? La série de la télévision française Germinal sera-t-elle un succès public ou critique ? Sophie Delbrel, maître de conférences HDR en histoire du droit et des institutions à l’Université de Bordeaux, ne répondra pas à ces questions. Son sujet est immuable : le droit et les Rougon-Macquart, mais aussi les Froment, familles littéraires d’Émile Zola. Elle nous parle de son livre qui vient de paraître :  Zola, peintre de la justice et du droit . L’auteur dédicacera son livre à la librairie Dalloz, rue Soufflot, samedi 11 décembre, à 15h00.

Quelles sont les figures de femmes du peuple d’Émile Zola ?

Les femmes du peuple sont nombreuses dans l’œuvre de Zola et laissent deviner combien l’auteur, qui a vécu entouré de femmes, mesure le dévouement et le courage dont celles-ci sont capables pour s’occuper des leurs. Les figures les plus marquantes demeurent Gervaise, la blanchisseuse de L’Assommoir qui à force de travail parvient, à un moment donné, à se rassurer quant à l’avenir. Puis Denise, la vendeuse de Au Bonheur des Dames, réussit le tour de force de s’imposer dans le commerce des grands magasins. Denise est un personnage solaire, réunissant les qualités essentielles de la femme pour Zola : la douceur, la capacité à s’adapter, mais aussi la ténacité. Enfin, une troisième figure mérite attention parmi les personnages de premier plan, celle de Josine, héroïne de Travail. Josine est le symbole féminin du prolétariat industriel du XIXe siècle auquel Zola veut restituer fierté du travail accompli et considération au même titre que les autres acteurs du développement économique. 

Quelles figures de juristes présente son œuvre ?

Chez Zola, les figures de juristes donnent surtout à voir des notables insérés dans des réseaux de sociabilité inhérents à la vie urbaine ou rurale. Ceux qui y font exception sont les huissiers, que l’auteur évoque d’une plume acérée. Avocats, magistrats et notaires, mais aussi conseillers d’État apportent aux romans un cadre sociologique et institutionnel propre à créer un effet de tension dans le drame qui se noue : dans La Terre, les partages n’auraient pas la même saveur sans le passage par l’étude du notaire Baillehache. Dans La Curée, la famille de magistrats austères dont est issue Renée ne rend que plus tragique son destin. Les professions judiciaires et la théâtralité qu’elles véhiculent présentent aussi l’avantage, pour le romancier, de souligner le fossé entre vie publique et tourments intimes. Duveyrier, conseiller à la Cour d’appel de Paris en est l’archétype dans Pot-Bouille, son exact opposé se trouvant sans doute en la personne du juge Gaume dans Travail.

Comment Zola est-il au cœur des combats judiciaires dans sa vie personnelle ?

Zola aura souffert de procès sa vie durant. Très jeune déjà, à la mort de son père, il voit sa mère se débattre face à des hommes d’affaires retors. Puis le combat judiciaire se déroule sur le plan littéraire, concernant tant son œuvre personnelle que les droits des auteurs d’une manière générale. Il y est sensibilisé très tôt en évoluant dans l’entourage de Flaubert, dont le procès a marqué la génération naturaliste ; celle-ci est également meurtrie par la mort du jeune écrivain Louis Desprez des suites de sa condamnation pour littérature contraire aux mœurs. Ensuite, Zola devenu président de la Société des Gens de Lettres se saisit à bras-le-corps du problème de la propriété littéraire, à défendre notamment sur le plan international. Enfin, bien sûr, les procès induits par J’accuse ! marquent les dernières années de la vie de Zola. Il faut rappeler ici qu’il se trouve en particulier contraint de défendre la mémoire de son père, salie par la presse antidreyfusarde. 

Selon vous, comment serait reçu l’article  J’accuse  au XXIe siècle ?

J’accuse ! serait probablement aussi mal reçu au XXIe siècle qu’il l’a été à la fin du XIXe siècle, provoquant des procès comparables et des déferlements de haine non moins impressionnants. En effet, J’accuse ! soulève avec force une question, celle de la vérité, c’est-à-dire de l’établissement d’un fait de manière rationnelle, et surtout son acceptation par le plus grand nombre. Or cette question demeure d’actualité dans notre société contemporaine, quel que soit le domaine concerné : la pensée critique dans l’acception scientifique du terme peine à émerger parce qu’elle bouscule les croyances de tous ordres. Pourtant une telle pensée est vitale en République, comme le principe du contradictoire est essentiel au procès pénal. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

C’est un souvenir récurrent, celui de la réussite aux examens de fin d’année ! Après quoi je pouvais préparer en toute sérénité mon bagage pour de grandes vacances – sans session de rattrapage en septembre – sur l’île de la Réunion où je retrouvais les miens. À bien des égards, mon meilleur souvenir d’étudiante est donc celui où je ne l’étais plus, et où je pouvais effectuer une plongée en littérature…

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Le choix est difficile ; appréciant énormément la littérature du XIXe siècle, je m’arrêterai pour le héros sur Eugène Rougon, qui évolue au sein des Rougon-Macquart : il me rappelle sur bien des points un professeur qui m’a marquée à l’Université de Bordeaux. 

S’agissant de l’héroïne, Anna Karénine la passionnée créée par Tolstoï m’enthousiasme toujours ; je ne monte jamais dans un train sans avoir une pensée pour elle.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La libre communication des pensées et des opinions, dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dit bien qu’elle est l’« un des droits les plus précieux de l’homme ». La circulation des savoirs, voilà une source incomparable de progrès. L’exercice de traduction y participe pleinement, ce qui est malheureusement souvent oublié.

 

Auteur :Marina Brillié-Champaux


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