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Le billet

[ 9 février 2011 ] Imprimer

Ce que Loppsi nous dit

Le Parlement a fini par adopter la loi « Loppsi 2 ». Il est rigoureusement impossible, dans le cadre du présent billet, d'essayer d'en faire l'analyse, tant elle est volumineuse et protéiforme. Il n'est même pas possible d'essayer de dresser l'inventaire des principales mesures qui sont nombreuses et complexes. En revanche, il est possible, et sans doute intéressant d'essayer de capter l'esprit de ce texte, en essayant de répondre à la question « pourquoi ? », « pourquoi ce texte, pourquoi tout ce déploiement de mesures ? ».

Pour répondre à cette question, il est possible de s'intéresser aux mots et spécialement aux mots du titre de la loi : « d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ». Ces mots sont en effet révélateurs d'une série d'influences et d'idéologies législatives et administratives qu'il convient de décoder.

D'abord le mot « sécurité intérieure ». Il s'agit d'un concept émergé au cours des années 1990 et qui vise à considérer que l'ensemble des politiques de surveillance du territoire, de gestion de la sécurité constitue un seul grand bloc, qui doit être organisé et coordonné. Mais surtout la notion de sécurité intérieure a émergé comme l'outil de réponse au terrorisme des années 1980. Ainsi, la sécurité « intérieure », paradoxalement, se définit initialement par rapport à des menaces « extérieures », et traduit en réalité l'idée que les risques d'atteinte à « ma » sécurité sont marqués par une ou plusieurs formes d’« extériorités » : terroristes, étrangers, activités transnationales (numériques ou physiques) sont au cœur de cette notion.

« Orientation et programmation » sont des mots classiques du vocabulaire légistique. Ils désignent des catégories de lois qui ont pour but de fixer un cadre à l'action des pouvoirs publics (objectifs à atteindre et allocation de moyens financiers). Le fait pour un secteur d'activité de bénéficier d'une « loi de programme », traduit, au moins symboliquement, l'investissement particulier de l'État dans ce secteur. On a ainsi eu des lois de programmation pour la défense, la recherche, les finances publiques… Et d'ailleurs il arrive que des organes de représentation de certains intérêts professionnels incluent dans leurs revendications « le vote d'une loi de programmation ».

Ainsi, l'usage de ces mots est ici une sorte de gage sémantique donné à l'importance de cette mission de sécurité intérieure. Pour autant, une lecture, même superficielle, du texte, permet de montrer que l'usage de ces termes est ici hors de tout propos car ce texte n'alloue aucun moyen, non plus qu'il ne fixe aucune orientation programmatique : il s'agit d'un texte normatif pur et dur. On voit ainsi se profiler un décalage intéressant entre les mots et la chose, qui traduit un usage stratégique du vocabulaire, au risque d'ailleurs d'affadir ce vocabulaire.

« Programmation ». Cette fois ce qui est intéressant c'est de constater que cette « Loppsi 2 » comme on dit, suit donc une « Lopsi » de 2002, à laquelle il manquait ce deuxième « P », celui de performance. L'ajout de ce terme de performance pourrait faire l'objet de bien des commentaires. On se limitera ici à deux observations :

– il traduit, dans ce domaine particulier, le développement de la culture de la « performance », dans l'administration, qui doit se traduire par des indicateurs, des statistiques, dans le cadre de la LOLF ou de dispositifs spécifiques. On notera pourtant ici que fort peu de dispositions sont consacrées à cette notion de reporting. La performance n'est donc plus une forme d'évaluation de l'action mais devient partie prenante de la nature de l'action. Il ne s'agit plus d'évaluer la performance d'un service mais de « faire des performances », au sens du vocabulaire sportif ;

– mais corrélativement, l'ajout de ce terme traduit assez paradoxalement une régression dans la croyance en la performativité de l'action publique. En substance, on croyait auparavant (ou l'on feignait de croire), que dire c'était faire et qu'il suffisait de mettre en place un dispositif pour qu'il s'applique et s'exécute. C'est l'une des grandes raisons du mythe de la « réforme » en France. Autrement dit la performance était l'objet de la réforme. Désormais, la performance est conçue comme un but : c'est un certain agencement, un certain empilement, une certaine accumulation de dispositifs qui, tous ensemble, vont concourir à rendre performante l'action publique ? C'est donc bien que cette performance n'est plus un acquis de l'idée même de réforme, mais devient un horizon que l'on envisage d'atteindre. Incontestablement donc, l'usage de ce mot est le produit d'une forme de désenchantement par rapport à la croyance en l'effectivité de l'action publique.

Ainsi décodé, on voit que le titre même de ce texte, loin des rodomontades, et des grands discours sécuritaires traduit au contraire des formes d'inquiétudes, de désarroi ou de pertes de repères de l'action publique. Il n'est finalement pas si étonnant que l'acronyme du texte contienne le mot « psi/psy »…

 

Auteur :Frédéric Rolin


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