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Le billet

[ 7 octobre 2024 ] Imprimer

3,2 billions d’euros de dette publique…

Michel Barnier l’a affirmé à l’occasion de sa déclaration de politique générale, ce 1er octobre 2024 : « Le premier remède à la dette, c'est la baisse de la dépense ». Ce point entendu et largement partagé, il faut maintenant préciser quelles dépenses devront subir ces coupes claires.

Une nécessité alors que la France, en considération des contraintes qui lui sont imposées depuis le Traité de Maastricht, n’a jamais été en aussi mauvaise posture budgétaire et financière :

-          avec 5,5 % de déficit public pour un montant de 154 milliards d’euros en 2023 (- 8,9 % en 2020 au cœur de la crise sanitaire ; - 6,9 % au maximum de la crise financière en 2010) ;

-          avec 110,6 % d’endettement public pour un montant de 3,1 billions d’euros à fin 2023 ; actualisés à 3,23 billions et 112 % du PIB à la rentrée 2024 (il s’établissait à 1,63 billions d’euros en 2010 et 2,66 billions d’euros en 2020)…

Un dérapage significatif auquel la France est sommée de mettre un terme.

Il y va de notre crédibilité qui déjà commence à se dégrader. À 5 ans, les taux d’intérêt pratiqués à l’égard de la France sont désormais aux plus hauts (2,48 % au 26 septembre) – en comparaison, les pays autrefois en difficulté à la suite de la crise financière des années 2007-2010 et qui ont rencontré les mêmes difficultés dans la gestion de la crise sanitaire, bénéficient de taux moindres : 2,45 % pour l’Espagne, 2,40 % pour la Grèce, 2,2 % pour le Portugal.

Une situation qui s’inscrit dans un paradoxe alors que la France a désormais dépassé les 3,2 billions de dette publique, alors qu’une procédure pour déficit excessif a été déclenchée par la commission européenne, elle a, « dans le même temps » été saluée par les journaux allemand et anglais, Der Spiegel et The Economist pour avoir pris les bonnes décisions pour soutenir son économie à l’occasion de la crise sanitaire.

Notre situation budgétaire interroge nécessairement les différents niveaux de notre organisation territoriale. Une approche littérale des chiffres laisse ainsi apparaître que les niveaux de déficit et d’endettement publics sont essentiellement imputables à l’État.

Certes.

Mais chacun est en mesure d’apporter sa pierre à l’édifice. Pour ne prendre qu’un exemple : la réforme des régions dont on attendait des économies d’échelle. Presque 10 ans après la réforme, le constat est éloquent rien que sur le nombre d’agents territoriaux affectés au niveau régional, les effectifs sont passés de près de 82 000 agents en 2015 à plus de 97 000 en 2022.

Ceci pour comprendre que le raisonnement ne peut être binaire et qu’au contraire, il faut nuancer l’approche et s’assurer que chacun à son niveau, fournisse les efforts utiles.

Il faut donc agir et il n’y a jamais que deux options – qui peuvent éventuellement se combiner – pour redresser la situation.

■ Augmenter les impôts, sauf que nous sommes déjà les champions du monde en termes de niveaux de prélèvement avec 43,2 % de notre PIB en 2023 (maximum de 45,8 % en 2022). Chaque année, nous disputons la première place, le plus souvent au Danemark.

Avec un tel niveau, imaginer pouvoir encore augmenter les impôts n’est pas raisonnable. Déjà, trop de ménages et d’entreprises souffrent de cette situation. Et alors que notre niveau d’emploi n’a jamais été aussi haut (près de 70 % en 2022), c’est dans le même temps un nombre toujours aussi élevé d’entreprises qui, chaque année, met la clef sous le paillasson.

Au mieux, peut-on imaginer déplacer le poids de cette fiscalité mais là également, les marges sont faibles. Parmi les pistes envisagées par le Gouvernement Barnier, une contribution « exceptionnelle » sur les plus fortunés et une « participation au redressement collectif aux grandes entreprises qui réalisent des profits importants ».

■ Deuxième option, diminuer la dépense publique – ce que le Gouvernement Barnier entend faire, estimant que dans son programme de redressement des finances publiques françaises, l’effort viendrait, aux deux tiers, d’une diminution de ces dépenses. Il est question de chasser les doublons inefficaces, les fraudes, les abus et rentes injustifiées.

Plus largement, il faut surtout envisager de revoir nos dépenses publiques en considération de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique, là où existent des gisements d’économie importants. Beaucoup a déjà été écrit sur le sujet, de nombreux rapports ont formulé moult propositions. C’est fameux « yakafocon » auxquels il conviendrait maintenant de donner des suites. Pour ne prendre que les rapports de la Cour des comptes, les pistes et propositions sont nombreuses mais insuffisamment exploitées. Les travaux de l’Inspection générale des finances offrent également une revue des dépenses et une analyse, en termes d’efficacité, des dispositifs mis en place en soutien de certaines politiques publiques. Tout en préservant notre modèle social, il existe de nombreuses possibilités invitant à revisiter certaines niches fiscales, à revoir l’intérêt de certaines dépenses publiques…

En moyenne, sur la période écoulée, les dépenses publiques de la France se sont établies à 57 % de son PIB. Avec un tel niveau, nul doute que les marges de manœuvre sont importantes.

Et si nous sommes aujourd’hui le mauvais élève de la classe européenne, d’autres l’ont été avant nous et ont démontré qu’il était possible de réduire de manière significative ce niveau de dépenses. C’est le cas du Portugal qui était parvenu, à la veille de la crise sanitaire et sur une période de près de 10 ans à faire évoluer son taux de 52 à 42 %. Dans le même temps, l’Espagne est passée de 49,5 à 42,3 %.

Et même les bons élèves ont poursuivi leurs efforts : les Pays Bas ont diminué leurs dépenses publiques de 6 % passant de 48 à 42 % (pour un montant d’endettement public de 54,7 % en 2020 et 3,7 % de déficit ; 46,5 % et 0,3 % en 2023).

Pendant ce temps-là, la France a mangé sa mie, a également bénéficié d’un environnement favorable. Alors que sa note se trouvait dégradée par les agences de notation, la France n’en a pas pour autant supporté les conséquences : quand tant d’autres pays, confrontés à pareille situation, voyaient les taux d’intérêt pratiqués à leur égard, augmenter ; ceux de la France sont restés stables. Les périodes de crises (financière puis sanitaire) ont également reporté à plus tard, les mesures que nous aurions dû prendre au plus vite pour enrayer la spirale de la dette publique dans laquelle nous nous sommes enfermés.

Et alors que le Gouvernement Philippe a fait le choix d’ouvrir toutes grandes, les vannes de la dépense publique pour soutenir l’économie française, alors que chacun a pu bénéficier des aides accordées (encore récemment avec le dispositif mis en place pour lutter contre l’augmentation des prix à la pompe), chacun doit se sentir responsable de la situation que nous connaissons aujourd’hui. Tous responsables, consciemment ou non, volontairement ou non… Ceci dit, il est désormais plus que temps que ces mesures d’économie qui pour certaines relèvent de l’évidence, soient appliquées.

Avec l’espoir que face aux efforts déployés, la situation s’en trouve apaisée et qu’il soit possible de différer voire d’éviter la sanction européenne. Même si là aussi, il convient de relativiser le propos.

Dans le cadre du précédent régime de la discipline budgétaire européenne, le panel de sanctions est resté largement inutilisé. Seule la Grèce avait fait l’objet d’une mise en demeure (2e niveau de sanction sur un total de cinq) ; jamais la Commission n’a envisagé de sanctionner au-delà, sachant que les trois sanctions suivantes présentaient l’inconvénient de « tirer sur l’ambulance » avec la possibilité en dernier ressort, d’infliger une amende à l’État qui tarde à rétablir sa situation budgétaire. On comprend parfaitement qu’une sanction pécuniaire infligée à un État qui est déjà en difficulté budgétaire, apparaît peu pertinent. Et lorsqu’il a été question de modifier le panel des sanctions à la suite de la crise financière, le nouveau schéma de sanctions retenu avec le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en matière budgétaire, 2011) a repris le même biais en maintenant la possibilité de ce type de sanctions. Là également, on comprend les réticences de certains États à ce que ce panel de sanction évolue et intègre la possibilité de prononcer des sanctions d’ordre politique telles que la modulation voire la suspension de certains droits de vote.

Finalement, on a préféré reproduire un schéma disciplinaire qu’on savait inutilisable… en tout cas dont la Commission européenne s’est refusée à utiliser toutes les options. Jusqu’à présent.

Reste à espérer que l’idée ne lui vienne pas de l’utiliser avec la France… D’ores et déjà, on peut considérer que l’effort annoncé par le Gouvernement Barnier, visant à réduire notre déficit public à 5 % de notre PIB en 2025 – au lieu des 6,2 % si la France maintenait sa trajectoire de dépenses en l’état -, suffise à donner des gages de notre bonne volonté à redresser notre situation dans un délai raisonnable. L’expérience de ces États qui avant nous, ont eu à persuader de leur intention de rétablir leur situation budgétaire, nous permet de supposer que ce premier effort, pourrait suffire. Sous réserve qu’il s’inscrive dans une trajectoire continue et sans revirements intempestifs. 

À suivre…

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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