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« 49-3 » remède miracle et pilule empoisonnée ?
Dans les sondages d’opinion « 49-3 » doit être celui des articles de la Constitution qui obtient le meilleur taux de reconnaissance, et même si c’est un taux qui doit rester modeste, hors quelques flambées d’actualité, il doit dépasser de loin le juridique 61, le constitutionnel 89, le local 72, le terrifiant 16 ou le banal 34/37.
« 49-3 », ou l’art et la manière de faire adopter une loi lorsque l’on ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale ? Adopter, en tremblant, un peu, certes, qu’une majorité – absolue – contraire – ne parvienne à s’agréger à l’occasion du vote d’une « motion de censure » pour écarter la loi, mais surtout pour faire « démissionner le gouvernement ».
Démissionner le gouvernement ? Et bien non, rien ne l’impose. Sans doute l’article 50 (très décoté celui-là) prescrit que le Premier ministre « doit remettre la démission de son gouvernement » mais (et j’ai là-dessus un petit désaccord avec le Code constitutionnel de mon éditeur chéri), rien n’oblige le Président de la République à l’accepter. D’ailleurs, dans le seul précédent de motion de censure adoptée, le Général de Gaulle a dissous l’Assemblée et gagné les élections avant d’accepter la démission du gouvernement et de… renommer le même Premier ministre.
C’est vrai, je dois le reconnaître, 1962 c’était l’époque des Dyna Panhard, de la crise des missiles de Cuba et de l’indépendance de l’Algérie (après vérification, en 1962 les rondes Dyna Panhard avaient déjà été remplacées par les plus aiguisées PL 17 en version berline et surtout cabriolet). Bref c’était le temps où la guerre nucléaire menaçait.
J’arrête mes sottises et mes références du temps où l’amiante était un isolant sans danger pour revenir à l’essentiel. Si en 1958 on a inventé le « 49-3 » c’est en copiant au-dessus de l’épaule de nos voisins qui eux, avaient bien lu les théoriciens du régime parlementaire : tout régime parlementaire dont le gouvernement est démis par le seul effet d’un vote défavorable à quelque majorité que ce soit, est un régime faible qui risque ou bien la paralysie, ou bien d’être remplacé par un inquiétant régime plus fort. Ce fut la destinée de bien des pays d’Europe entre 1918 et 1939, et cela aurait pu être celle de la IIIe République en France. C’est pourquoi, après 1945, tous les pays ayant appris des leçons de savants professeurs de droit comme Boris Mirkine-Guetzévitch (dont Jean-Eric Callon a récemment réactualisé la mémoire dans une anthologie : La République française, décembre 1943-décembre 1946, éd. La Mémoire du droit, 2019) ou de politiciens atrabilaires comme André Tardieu ont considéré qu’un régime parlementaire devait être « rationnalisé », pour éviter que les unions contre-nature des « contre » assemblant gauches et droites, l’emportent sur les majorités, parfois relatives, de gouvernement. C’est ainsi que, par exemple, l’Allemagne fédérale dite « de l’Ouest » en 1949 inventa la « défiance constructive » dont tous mes lecteurs qui ont subi un cours de droit constitutionnel connaissent les poisons et délices (pour ceux qui d’aventure se seraient égarés sur cette page sans avoir subi une telle avanie, la « défiance constructive » consiste à ce qu’on ne puisse renverser un gouvernement qu’à la condition d’avoir pu former une coalition alternative majoritaire ? Par exemple, rapporté à la situation actuelle en France cela supposerait que pour renverser le gouvernement actuel, NUPES et Rassemblement National s’unissent pour en former un autre. Sans rentrer dans les détails, on peut dire que si l’idée était astucieuse elle a été largement subvertie dans la pratique). Tous les pays, sauf la France qui vécut pendant la IVe République ces incessants renversants de gouvernements où les gaullistes mêlaient leurs voix aux communistes quand bien même ils avaient allégué les soutenir comme ce fut le cas pour l’un des plus brillants d’entre eux, celui formé par Pierre Mendès-France.
C’est la raison pour laquelle les juristes qui écrivirent la Constitution de 1958 prévirent « 49-3 », c’est-à-dire que sauf union des oppositions atteignant une majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale, un gouvernement n’était pas renversé et ses textes étaient adoptés.
Bref, un remède miracle pour les majorités relatives ou les coalitions fragiles.
Mais ces juristes de 1958 étaient les enfants prodiges (et prodigues) de ces IIIe et IVe Républiques. Ils croyaient à la valeur constitutionnelle d’une ligne de Constitution et peut-être même d’un seul trait de (stylo) plume : une motion de censure n’est adoptée « qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée », ils croyaient qu’écrire cela suffirait à assurer la vie d’un gouvernement ne disposant pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Hormis le cas de 1962 à une époque où le Général de Gaulle ne disposait pas encore de cette majorité absolue, ils n’eurent pas l’occasion de vérifier la solidité de leurs théories pendant plusieurs décennies. En effet, les majorités absolues étaient acquises à l’Assemblé nationale et quand l’opposition brandissait « 49-3 » c’était un aimable effet de tribune sans conséquences.
Et puis vint 1988. François Mitterrand fut largement élu à la présidence de la République mais n’obtint qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale dans les élections législatives qui suivirent. Le gouvernement, dont il confia la tête à Michel Rocard, qu’il détestait sans doute davantage que le plus radical de ses opposants (détestait ou méprisait, mais en politique, le second est souvent pire que le premier), dût apprendre à faire adopter ses projets de loi par de très courtes majorités et, quand l’opposition se faisait plus véhémente, à user du « 49-3 ».
Et voilà le vrai sujet : on use du « 49-3 » tout autant qu’on est usé par le « 49-3 » : loin d’être le médicament miracle qu’avaient imaginé les docteurs du gaullisme, il se révéla une pilule empoisonnée : à chaque utilisation, à chaque menace du Parti Communiste de voter la mention de censure avec les partis de droite, le gouvernement perdait de son crédit. Il lui fallait en promettre des routes, des aéroports, des budgets améliorés aux quelques députés « flottants », pour que ceux-ci veuillent bien s’abstenir (et donc en réalité voter pour le gouvernement puisque seules les voix exprimées pour la motion de censure comptent). Michel Rocard s’y usa, sa successeure Edith Cresson aussi et Pierre Bérégovoy, dernier Premier ministre de cette pénible législative manqua de s’y abîmer puisque le 1er juin 1992, ce ne fut que grâce à trois abstentions (286 voix pour la motion de censure pour une majorité des membres de 289) qu’il ne fut pas renversé.
Que nous montrèrent ces 5 années de majorité relative ? Que certes « 49-3 » est un instrument de gouvernement mais que, comme la peau de chagrin de Balzac, chaque utilisation affecte la durée de vie de celui qui l’emploie, que sa crédibilité politique, parlementaire et populaire, en ressort amoindrie. Et, les élections qui suivirent la mandature 1988-1993 en furent une preuve éclatante, cette érosion fut telle qu’elle entraîna des conséquences électorales singulièrement lourdes : l’Assemblée nationale élue en 1993 regroupa ainsi la plus forte majorité de droite depuis le début du XXe siècle !
Le 20 mars 2023, après avoir usé de « 49-3 » pour la 11e fois en 9 mois, là où Michel Rocard entre juillet 1988 et mars 1989 n’en était encore qu’à sa deuxième utilisation, le gouvernement actuel n’a été sauvé qu’à 8 voix près.
Alors, médicament miracle ou pilule empoisonnée ?
On sent bien dans quel sens incline la présente chronique, mais la vie des institutions est pleine de mystères et bien imprudent celui qui prétend dire que la vérité de 1993 sera celle de 2026.
PS : mes lecteurs auront noté que dans ce billet ni les mots « déni de démocratie » (et synonymes) ou « légitimité de l’action du gouvernement » (et synonymes) n’ont été employés. C’est que ces mots relèvent du registre de l’argumentation et non de l’analyse de la norme et de la pratique constitutionnelle. Il est parfaitement justifié que l’un ou l’autre camp les emploie : ils font partie des outils qui peuvent concourir à l’érosion du pouvoir gouvernemental ou au contraire au maintien de sa capacité d’action selon le point de vue d’où l’on se place. En revanche, dans le champ du droit constitutionnel on ne peut ni dire que l’utilisation de « 49-3 » est un déni de démocratie, puisqu’il est utilisé en vertu d’une disposition du pacte constitutionnel et conformément aux exigences de procédure qui l’encadrent, ni qu’il « légitime » l’action du gouvernement alors qu’il n’emporte que la conséquence juridique de la légaliser.
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