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Le billet
64 ans, l’âge de raison ?
Gouvernement et Parlement ont, ces derniers jours, livré un spectacle consternant autour du débat parlementaire sur la réforme des retraites : projet de loi confus, explications évanescentes, débats indigents… comment expliquer que les retraites suscitent encore autant de passion dans notre pays ?
Les difficultés rencontrées dans le débat parlementaire semblent en tout point faire écho à un article prémonitoire de Jean-Jacques Dupeyroux – le grand spécialiste français du droit de la Sécurité sociale — rédigé il y a douze ans : « Le temps qui reste » (Dr. soc. 2011. 239). Commençant par brocarder la manière dont sont menés les débats sur les réformes des retraites (toujours dans l’urgence, avec la prétention de sauver définitivement un système qui appellera de nouvelles réformes cinq ans plus tard), il critiquait, sur le fond, la méthode qui consiste à apporter une réponse démographique à des mutations démographiques, en se contentant de déplacer des bornes d’âge, au risque d’amplifier les difficultés suscitées par l’organisation des solidarités dans la société française.
Fallait-il, dès lors, réformer le système des retraites en 2023 ? Le débat est désormais bien connu : le vieillissement de la population engendre, ainsi que l’ont montré les rapports du COR, un déficit prévisible à réglementation constante sur un horizon long (V. Conseil d’orientation des retraites, rapp. annuel, sept. 2022, ici). Il faut ici rappeler une évidence : aucun système de protection sociale ne peut fonctionner sur des dettes, si on ne veut pas le rendre tributaire du choix des créanciers qui le financent, ou l’exposer au risque de faillite. Une saine conception de la gestion exige nécessairement de remédier à des situations de dettes structurelles.
Pour autant, toute réforme est le produit de choix d’ordre politique, social et financier.
Le gouvernement, confronté à une équation politique compliquée au Parlement, a fait un choix qui explique les difficultés rencontrées. Afin de dépasser les risques d’une opposition ou d’un blocage au Parlement, le Gouvernement a choisi de suivre le régime de l’article 47-1 de la Constitution, qui permet d’inscrire la réforme dans le cadre d’un Projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui laisse une marge de manœuvre accrue au pouvoir exécutif (v. le projet de L. de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, ici). Dès lors, le débat est étroitement circonscrit autour d’un objet de nature financière, ce qui alimente d’ailleurs des doutes sur une possible censure par le Conseil constitutionnel de certains aspects qui en sont plus éloignés tel que la suppression des régimes spéciaux de retraite.
Le projet présenté aborde en conséquence la réforme à travers une succession de choix restrictifs : réformer les retraites à travers le prisme financier, ne s’intéresser pour l’essentiel qu’aux bornes d’âge et à leurs effets, et ne pas même aborder la question de la réforme des cotisations, voilà pour l’essentiel le choix qui a été fait. L’idée est de réaliser des économies financières essentiellement en faisant passer la borne d’âge minimal pour partir à la retraite de 62 ans à 64 ans, reformulant l’article L. 161‑17‑2 du Code de la Sécurité sociale : « L'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite est fixé à soixante-quatre ans… » est-il indiqué, ce qui signifie, en clair que, sauf dérogations, nul ne peut partir à la retraite avant l’âge de 64 ans. Mesure démographique pour résoudre une question démographique, ce choix génère nécessairement des injustices, en particulier pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui seront contraints de cotiser au-delà des 173 trimestres suffisants pour ceux qui ont commencé plus tard. Cette injustice a généré des débats très confus sur la manière d’y apporter des correctifs à travers le recours à des dispositifs de « carrière longue », pour les personnes ayant commencé à travailler avant 16, 18 ou 20 ans. La question se pose également massivement de la situation des « séniors », qui sont souvent sortis du marché du travail avant 60 ans et pour qui le rallongement de l’âge de la retraite va renforcer la précarité. La création d’un « Index sénior », destiné à mesurer, entreprise par entreprise, les taux d’emploi des séniors, n’apporte aucun correctif à court terme à une telle situation.
On le perçoit alors aisément, la difficulté rencontrée dans la réforme, à travers les grandes manifestations, les grèves, la résistance de l’opinion publique, tient avant tout à la méthode choisie. Réformer les retraites ne peut être réduit à une dimension purement financière de résorption de déficits, qui conduit à allonger, sans autre perspective, la durée de la carrière. Une conception plus ambitieuse exigerait de s’attaquer à nombre de questions difficiles : inégalités nombreuses au regard des pensions de retraite (en particulier pour les femmes), inégalités d’espérance de vie, difficulté de maintien sur le marché du travail pour les populations les moins qualifiées, usure des personnes exposées à la pénibilité du travail… Le choix d’une loi de financement de la Sécurité sociale ne permet pas d’aborder ces questions fondamentales, remises à d’hypothétiques futures réformes. Et même sous un angle purement financier, le gouvernement a fait le choix de ne pas affronter certaines questions qui fâchent, en particulier la prolifération des exonérations de cotisation, qui grève significativement le budget de la Sécurité sociale sans faire preuve d’une grande efficacité (v. C. comptes, Sécurité sociale 2019, p. 97 : Les « niches sociales » : des dispositifs, ici) dynamiques et insuffisamment encadrés, une rationalisation à engager.
Au total, le projet de loi réduit une grande question sociale – adapter la Sécurité sociale à un contexte d’allongement de la durée de la vie- à quelques aspects, purement financiers, sans laisser place au débat nécessaire sur les choix collectifs que cela appelle.
Faute d’avoir entendu les réserves que les partenaires sociaux avaient exprimées bien avant le dépôt du projet de loi, le gouvernement s’expose aujourd’hui à une résistance du corps social et à un éloignement durable des citoyens vis-à-vis des discours politiques sur les réformes sociales.
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