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70 ans de droit de la Sécurité sociale : les jours peureux ?
La France vient de célébrer les 70 ans de la naissance de la Sécurité sociale, née de deux ordonnances des 4 et 19 octobre 1945.
A l’époque, le Gouvernement provisoire mettait en œuvre, par ces textes le programme du Conseil national de la Résistance « Les jours heureux », qui en avait appelé, dès mars 1944, à la définition d'un « plan complet de Sécurité sociale ». Ces textes ont jeté les bases d'un vaste système de prise en charge des risques sociaux, comprenant les risques maladie, accidents du travail, famille, vieillesse, complété par la création ultérieure de l'assurance chômage, en 1958. L'histoire de cette institution est l'occasion de rappeler sa réussite, sa stabilité et la contribution essentielle qu'elle a conférée à la construction d'un modèle de solidarité ambitieux, ayant permis une amélioration générale de l'état de santé, de la démographie, une correction des inégalités et une amélioration du niveau de vie de la population française.
Ces institutions ne sont pas sans avoir connu des difficultés et crises successives, de nombreuses réformes, dont d'importantes sont encore en cours et d'inépuisables controverses. Les relations des français avec elles fluctuent entre un attachement à un modèle dont ils n'ont d'ailleurs pas une bonne représentation, une crainte sur sa pérennité face au fameux « trou de la sécu » et une franche aversion pour toute redistribution au profit d'autres qu'eux-mêmes.
Les débats dans la grande presse se concentrent pour l'essentiel sur des questions d'ordre économique, autour à la fois des difficultés de financement du système et sur son inefficacité économique : trop généreux, il contribuerait à peser sur la croissance et la création d'emplois. Une grande frilosité entoure alors un grand nombre d'analyses, qui font fi de l'apport essentiel de la protection sociale tant à l'économie qu'au fonctionnement de la société. La France est ainsi passée d'un regard optimiste à un regard inquiet sur son avenir : les jours heureux ont fait place aux jours peureux, alors que le niveau de richesse de la France de 2015 est sans aucune comparaison avec la situation dramatique de 1945.
Laissons de côté ces débats qui soit sont empreints d'une généralité excessive, soit engourdis dans une abstraction économique ignorante des besoins de la vie sociale. Interrogeons-nous plutôt sur les 70 ans de droit de la Sécurité sociale et l'avenir qui s'ouvre à lui.
Pour ce qui est des 70 ans écoulés, la Sécurité sociale a du se construire sur un édifice impressionnant de règles d'une rare complexité, mêlant des questions de détermination des droits et des bénéficiaires, des règles d'organisation et de gestion et des règles financières. Un grand nombre d'entre elles est regroupées dans le Code de la sécurité sociale, mais il faut souvent compléter leur compréhension par d'autres (Code de l'action sociale et des familles, Code général des impôts, Code des assurances, etc.).
La connaissance et la compréhension de ces règles exige des spécialistes aguerris, agiles à se déployer dans un champ qui mêle droit public et droit privé, connaissances juridiques et compréhension des enjeux économiques, politiques et sociaux. Le droit de la Sécurité sociale en tant que discipline peut sans doute s'enorgueillir d'avoir pu se déployer grâce à des esprits subtils et originaux, dans la continuité des pionniers de la disciplines que sont Paul Durand et à sa suite Jean-Jacques Dupeyroux. Cette branche a par ailleurs pour particularité de conférer un rôle important dans la construction des règles et leur compréhension à des acteurs du monde non universitaire : hauts fonctionnaires, à l'image de Pierre Laroque, le « père de la Sécurité sociale », magistrats, parlementaires, praticiens, etc. Au total, le monde des juristes de droit de la protection sociale est sans doute plus varié que dans d'autres branches du droit et plus ouvert aux autres savoirs et disciplines, ce qui en fait l'intérêt et la richesse.
Pour ce qui est de l'avenir de cette branche du droit, il est fait d'interrogations mais aussi d'espoirs.
Du côté des interrogations, la Sécurité sociale est appelée à connaître une poursuite des réformes engagées depuis 30 ans : adaptation au vieillissement de la population et à la modernisation des techniques médicales et informatiques, adaptation aux besoins d'une économie mouvante et globalisée. Face aux contraintes de financement, des choix d'orientation générale devront être faits : ils devront sans doute conduire à mieux protéger ceux qui en ont le plus besoin ainsi que les risques les plus lourds, et à laisser place à des formes de solidarité plus restreintes pour ceux qui ont des moyens de prendre en charge une partie de leurs risques. Mais on ne saurait non plus aller trop loin dans cette voie, car par nature la Sécurité sociale a une vocation universelle et ne peut à l'infini morceler les publics et leur niveau de protection. Le pouvoir exécutif s'est engagé à l'occasion de cet anniversaire dans une démarche à la fois de simplification et de réorganisation de la Sécurité sociale à travers la création d'une protection universelle maladie pour tous et de réflexion sur la rationalisation des sources de financement. Le chantier n'est pas des plus simples.
Du côté des espoirs pour l'avenir, ils restent ceux sinon de « jours heureux » pour nous-mêmes et les générations appelées à nous succéder, du moins d'un minimum d'autonomie pour chacun, lui permettant de faire ses propres choix de vie sans être écrasé par son sort social, son état de santé, son âge. Le droit est appelé à jouer un rôle essentiel dans la construction de ces solidarités nouvelles et l'organisation d'institutions et de règles adaptées, il revient donc aux juristes de s'investir et de se passionner davantage encore pour le droit de la protection sociale !
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