Actualité > Le billet

Le billet

[ 18 mars 2019 ] Imprimer

A chacun son logo et les vaches seront mieux gardées !

Alors que le salon de l’agriculture accueillait ses visiteurs Porte de Versailles à Paris, faisant la part belle aux produits régionaux et à l’élevage selon un scénario bien rodé, l’annonce principale intéressant une partie de ses acteurs ne venait pas de ces allées, mais de manière plus inattendue du Luxembourg, siège de la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci, saisie d’un renvoi préjudiciel, s’est prononcée sur les produits pouvant bénéficier du « logo biologique de l’Union européenne ».

Dans un arrêt du 26 février 2019 (CJUE, gr. ch., OABA c/ Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° C-497/17), les juges ont déterminé qu’au regard du règlement n° 834/2007, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiquesil n’est pas possible d’apposer le « logo biologique » sur de la viande ayant fait l’objet d’un abattage rituel, sans étourdissement préalable. La justification de cette position se trouve dans le contenu même du règlement qui indique que la production biologique respecte des normes élevées en matière de bien-être animal. Cette dernière obligation s’étend du moment de l’élevage à celui de l’abattage. L’interprétation de la Cour se focalise sur le sens à donner à la réduction au minimum de la souffrance animale au moment de l’abattage, en recherchant les techniques qui peuvent être conformes au texte. La Cour de justice ne choisit pas de retenir différentes techniques, mais d’isoler la plus efficace pour atténuer les douleurs de l’animal, c’est-à-dire l’usage de l’étourdissement préalable. Cette position est dans la continuité d’un précédent arrêt, considérant que l’abattage rituel ne peut être que dérogatoire et utilisé uniquement à des fins d’assurer le respect de la liberté religieuse (CJUE, 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen, n° C-426/16).

La position retenue par la Cour, qui est celle du refus de l’apposition du « logo biologique » apparaît conforme aux objectifs et au contenu du règlement n° 834/2007, et ravira les protecteurs du bien-être animal. Au-delà, le choix initial du législateur interpelle. 

L’étonnement provient tout d’abord du lien sciemment effectué entre bien-être animal et produits biologiques, alors que les objectifs peuvent apparaître à bien des égards différents. L’agriculture biologique est très largement marquée par le bannissement des produits phytosanitaires et des pesticides. Le bien-être animal renvoie à un encadrement de l’élevage prenant en compte les besoins des animaux en fonction de leur comportement, les conditions de transport et l’abattage. Cette inclusion du bien-être animal dans le cadre plus large de la production biologique, rend peu intelligible ce que recouvre le bien-être animal et ce qui est attendu. Le bien-être animal en devient un élément secondaire. Il mérite une identification plus claire auprès du consommateur avec une certification autonome

Cette assimilation est ensuite contestable parce qu’elle vise des situations qui devraient a priori échapper au champ de l’agriculture de produits biologiques, étant donné qu’elles dépassent le stade de la production ou de l’élevage. L’agriculture biologique est fondée sur des pratiques environnementales respectueuses, dont il est assuré que certains modes d’élevage restent à la marge. C’est le cas de la production de volailles en batterie qui pose des problèmes environnementaux, aux côtés des questions du bien-être animal. L’élevage industriel a des conséquences environnementales bien identifiées. Les deux objectifs peuvent être traités ensemble, d’autant plus qu’il existe des alternatives de production crédible et viable économiquement. L’approche commune se conçoit ici. En revanche, la phase de la mise à mort a une dimension environnementale peu évidente. La mise à mort fait d’ailleurs l’objet d’un traitement spécifique dans la législation européenne (règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort). L’exclusion de l’apposition du « logo biologique » résultant de la seule phase d’abattage, indépendamment des conditions d’élevage, n’est alors pas satisfaisante. L’abattage rituel pose d’autres problèmes qui méritent un traitement à part entière, nécessitant de s’interroger frontalement au niveau de l’Union sur son interdiction pour lutter contre la souffrance animale comme le font déjà certains États membres. 

Il est également insuffisant que l’attention soit portée finalement uniquement sur certains modes de production ou d’abattage, ignorant dans le même temps l’efficacité très partielle du respect du bien-être animal au quotidien dans les exploitations agricoles. Cette difficile effectivité a été mise en exergue dans le rapport spécial de la Cour des comptes de l’UE, « Bien-être animal dans l’UE : réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre ». La Cour des comptes met l’accent sur les contrôles très insuffisants des États, l’absence de fiabilité des données transmises par les États sur ce sujet et les sanctions trop rares face aux infractions constatées. Il n’est dès lors pas certain que les produits ayant ce logo respectent cet engagement. À démultiplier des critères pour l’obtention d’une certification, le risque est, de la part des pouvoirs publics, de ne pas en assurer l’effectivité et créer une défiance finalement des consommateurs.

Le caractère réducteur de l’approche est enfin contre-productif puisque certains élevages qui respectent des normes environnementales élevées, qui favorisent une traçabilité de l’alimentation animale, ne peuvent bénéficier de cette reconnaissance et espérer voir leurs efforts récompensés financièrement, notamment en étant éligibles aux aides de la Politique agricole commune. 

Cette difficulté a sans doute été comprise d’ailleurs par les opérateurs économiques et les associations qui ont, depuis 2018, créé des certifications isolant le bien-être animal, dépassant ainsi le seul cadre de l’agriculture de produits bio, laissant le soin aux consommateurs de mieux arbitrer ses choix. Plus largement, l’ambition du législateur européen, par certains égards, gargantuesque, apparaît confuse et finalement indigeste pour réaliser les objectifs attendus.

 

 

Auteur :Vincent Bouhier


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr