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A propos des frais de taxis de la présidente de l’INA
Agnès Saal se voit reprocher, en tant que présidente de l’Institut National des Archives, 40 915, 31 euros de frais de taxis facturés de mai 2014 à mars 2015 – alors qu’Agnès disposait pourtant d’une voiture avec chauffeur. Pour pimenter encore : 7 840, 66 euros de ces frais l’ont été durant des week-ends et jours fériés et 7 600, 22 euros pour son fils.
Le scandale est né, Agnès sera mise au pilori. Sa démission de l’INA est demandée ainsi que le remboursement des sommes concernées.
Pourtant, Fleur Pellerin admet sa réintégration au ministère de la culture (son ministère d’origine) en tant que chargée de mission sur les questions de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Le scandale s’amplifie et il semblerait même que François ait, dans les couloirs de l’Élysée, sévèrement réprimandé sa ministre qui a ainsi donné l’occasion à l’opposition mais pas seulement (une plainte a été déposée par l’adjoint PS de la Mairie d’Avignon pour détournement de fonds publics) de s’émouvoir encore plus de la situation.
Fleur a bien tenté de s’expliquer. Devant l’Assemblée nationale, elle s’est réfugiée derrière « l’État de droit » et ses procédures – provoquant un tollé parmi certains des députés de l’opposition qui ont manifesté leur désapprobation en quittant l’hémicycle (http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire/agnes-saal/video-vous-avez-des-cours-de-rattrapage-d-etat-de-droit-a-prendre-lance-fleur-pellerin-a-un-depute_922133.html).
C’est pourtant de droit qu’il s’agit, de droit de la fonction publique plus particulièrement. Et c’est cet argument là qui permet le mieux de répondre aux critiques sur le sujet.
Agnès a fauté, elle sera sanctionnée. Le tout est de savoir comment, par qui et quand.
Que prévoit le droit de la fonction publique : un fonctionnaire a droit à être réintégré dans son corps d’origine, conséquence de l’une des règles majeures du statut de la fonction publique, celle de l’emploi garantie à vie – c’est ainsi qu’Agnès a pu réintégrer son ministère d’origine.
Une règle appliquée en attendant la sanction disciplinaire qui sera prononcée à son encontre. Aux termes des dispositions de l’article 67 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination qui l’exerce après avis de la commission mixte paritaire siégeant en Conseil de discipline. Selon le panel de sanction applicable, Agnès pourrait être révoquée (décision extrêmement rare) ou encore exclue temporairement de la fonction publique (suspension de trois mois à deux ans) – l’article 66 de cette loi détaille les différentes sanctions possibles selon leur degré de sévérité (la révocation ou la mise à la retraite d’office comme sanctions ultimes, la rétrogradation et la suspension temporaire comme sanctions intermédiaires de 3è catégorie, la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire et le déplacement d’office comme sanctions de 2è catégorie, et dans les cas les moins graves, le blâme et l’avertissement).
Fleur avait parlé de procédures, ce sont ces procédures dont il est ici question et qui peuvent prendre parfois un temps long mais nécessaire pour que les droits des personnes concernées soient préservés. Le temps de l’apaisement aussi afin que la décision soit prise en dehors de ce contexte où l’indignation provoquée et légitimement exprimée confine à l’acharnement.
Mais en attendant cette décision disciplinaire, Fleur aurait pu suspendre Agnès ainsi que l’y autorisent les dispositions de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (dite Loi Le Pors) : « en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline ». Le temps de cette suspension, Agnès aurait conservé son traitement : temps ne pouvant excéder quatre mois. Le texte prévoit qu’à l’expiration de ce délai, si aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire, l’intéressé est rétabli dans ses fonctions. Une exception toutefois, qui concerne Agnès : si l’intéressé est l’objet de poursuites pénales, ce rétablissement ne peut s’effectuer. Une option donc, à disposition de la ministre, que celle-ci a choisie de ne pas utiliser.
En attendant Agnès se voit régler son compte sur internet avec, notamment, cette pétition réclamant son éviction de la fonction publique lancée par le site de pétitions en ligne change.org. Les réseaux sociaux qui permettent ainsi à tout un chacun de s’occuper de la chose publique, exigent pour Agnès une sanction exemplaire et rapide. Car au-delà du retentissement médiatique qu’un tel scandale peut susciter, internet va nécessairement en accentuer les effets en offrant une tribune à qui le souhaite. Au journaliste, au politique, au citoyen… avec le risque que des frontières soient franchies entre acharnement et instrumentalisation politique. Agnès paye, d’ores et déjà, au prix fort ses exactions.
Certaines voix s’élèvent pour limiter les effets de cette tempête, celles de ses anciens « patrons » qui dénoncent ce lynchage et rappellent que « le devoir est de raison garder », voire de protester lorsque nous assistons ainsi à « une justice de fait, exercée par certains médias, notamment sur la Toile » (Tribune de MM. J.-N. Jeanneney, ancien président de la BNF, A. Seban, ancien président du Centre Pompidou et ancien directeur du développement culturel au Ministère de la Culture, D. Wallon, ancien directeur général du Centre national du cinéma, Libération 9 juin 2015). Mais cette tribune n’atteindra probablement pas son objectif, elle aura été d’autant plus remarquée que ses auteurs n’ont pas hésité à comparer les réseaux sociaux numériques au régime de la Terreur… (V. notamment la réaction de Rue 89). Une polémique qui ne cesse, dans ces conditions, de s’alimenter.
Alors sanction disciplinaire, oui, il y aura. Et parce qu’il y a eu détournement de fonds publics, Agnès devra également en répondre devant le juge pénal. Le Procureur de la République de Créteil a, le 20 mai, ouvert une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics aggravé sur la base d’une note reçue du commissaire aux comptes de l’INA, tenu par son obligation de déclaration des faits délictueux (C. com., art. L. 823-12).
Après enquête administrative, Fleur a également saisi la justice début juin ainsi que l’y obligent les dispositions de l’article 40 du Code de procédure pénale qui prévoient que tout agent public ayant connaissance d’un délit doit le signaler à la justice. Et en parallèle, d’autres plaintes pour détournement de fonds publics ont été déposées comme celle de cet adjoint au maire d’Avignon précédemment évoquée ou l’association Anticor, association créée en 2002 avec pour objet d’exiger de tous les partis et de leurs élus le comportement irréprochable inhérent à leurs responsabilités politiques et de la part de tous les fonctionnaires, la probité qu’implique la recherche de l’intérêt général.
Mais Agnès peut également voir sa responsabilité engagée devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Si tant est que celle-ci soit saisie. Fleur peut le faire, elle peut saisir la CDBF, autorité spécialement créée pour sanctionner les fautes de gestion commises par les fonctionnaires, agents publics et personnes assimilées dans les actes de leurs fonctions. La CDBF se définit elle-même, comme une « juridiction répressive, gardienne des règles qui entourent l’utilisation de l’argent public et des principes de bonne gestion des biens publics, elle remplit un rôle indispensable de prévention générale et de dissuasion à l’égard de ceux qui sont investis de pouvoir de gestion dans l’intérêt général, et elle contribue ainsi à la diffusion d’une culture de rigueur et de bonne gestion dans la sphère publique » (V. CDBF, Rapport 2006, p. 5. Également CDBF, Rapport 2013, p. 9). Indéniablement, c’est de cette culture dont Agnès manquait dans l’exécution de ses fonctions. Ceci justifie que la CDBF soit, sans tarder, saisie par la ministre de la culture et de la communication ainsi que les dispositions de l’article L. 314-1 du Code des juridictions financières l’y autorisent, habilitée en tant que membre du Gouvernement pour les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous son autorité. Et ce serait une amende d’un montant ne pouvant être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourrait atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel alloué au sanctionné à la date à laquelle le fait a été commis (et tenant compte des éventuelles amendes prononcées par le juge pénal) qui pourrait être prononcée à l’encontre d’Agnès ainsi que le prévoient les dispositions de l’article L. 313-1 de ce même code – à laquelle peut s’ajouter l’infamie d’une publication officielle de l’arrêt rendu par la CDBF… Sanction morale de peu de portée vu la médiatisation dont a déjà fait l’objet cette affaire… Mais néanmoins, une procédure devant ce juge financier qu’est la CDBF qu’il serait judicieux d’envisager – parce que la CDBF a été créée pour cela.
Références
■ Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État
Article 66
« Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes.
Premier groupe :
- l'avertissement ;
- le blâme.
Deuxième groupe :
- la radiation du tableau d'avancement ;
- l'abaissement d'échelon ;
- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ;
- le déplacement d'office.
Troisième groupe :
- la rétrogradation ;
- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans.
Quatrième groupe :
- la mise à la retraite d'office ;
- la révocation.
Parmi les sanctions du premier groupe, seul le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire. Il est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période.
La radiation du tableau d'avancement peut également être prononcée à titre de sanction complémentaire d'une des sanctions des deuxième et troisième groupes.
L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. L'intervention d'une sanction disciplinaire du deuxième ou troisième groupe pendant une période de cinq ans après le prononcé de l'exclusion temporaire entraîne la révocation du sursis. En revanche, si aucune sanction disciplinaire, autre que l'avertissement ou le blâme, n'a été prononcée durant cette même période à l'encontre de l'intéressé, ce dernier est dispensé définitivement de l'accomplissement de la partie de la sanction pour laquelle il a bénéficié du sursis. »
Article 67
« Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination qui l'exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général. Cette autorité peut décider, après avis du conseil de discipline, de rendre publics la décision portant sanction et ses motifs.
La délégation du pouvoir de nomination emporte celle du pouvoir disciplinaire. Toutefois, le pouvoir de nomination peut être délégué indépendamment du pouvoir disciplinaire. Il peut également être délégué indépendamment du pouvoir de prononcer les sanctions des troisième et quatrième groupes. Le pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième groupe peut être délégué indépendamment du pouvoir de nomination. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par des décrets en Conseil d'État. »
■ Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
Article 30
« En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline.
Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions.
Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. »
■ Code du commerce
Article L. 823-12
« Les commissaires aux comptes signalent à la plus prochaine assemblée générale ou réunion de l'organe compétent les irrégularités et inexactitudes relevées par eux au cours de l'accomplissement de leur mission.
Ils révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation.
Sans préjudice de l'obligation de révélation des faits délictueux mentionnée à l'alinéa précédent, ils mettent en œuvre les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme définies au chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier. »
■ Code de procédure pénale
Article 40
« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1.
Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
■ Code des juridictions financières
Article L. 313-1
« Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des dépenses sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis. »
Article L. 314-1
« Ont seuls qualité pour saisir la Cour, par l'organe du ministère public :
-le président de l'Assemblée nationale ;
-le président du Sénat ;
-le Premier ministre ;
-le ministre chargé des finances ;
-les autres membres du Gouvernement pour les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous leur autorité ;
-la Cour des comptes ;
-les chambres régionales et territoriales des comptes ;
-les créanciers pour les faits visés à l'article L. 313-12.
Le procureur général près la Cour des comptes peut également saisir la Cour de sa propre initiative. »
■ Sur la CDBF, S. Damarey, La Cour de discipline budgétaire et financière, Dalloz, Répertoire de contentieux administratif.
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