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Le billet
À propos du rapport du Conseil d’État du 10 septembre 2025 et de ses propositions concernant la pluriannualité budgétaire
« Inscrire l’action publique dans le temps long », tel est l’intitulé de l’étude annuelle du Conseil d’État dans laquelle il formule 20 propositions visant à remédier aux difficultés rencontrées par l’État pour se projeter sur la durée (10 septembre 2025).
Le constat du Conseil d’État est sans appel et même brutal : il évoque un échec, l’impossibilité de penser les politiques publiques à moyen et long terme, le cadre annuel contraignant et difficilement indépassable, le lien ténu avec le principe du consentement à l’impôt auquel il n’est pas possible de déroger, la conciliation délicate avec les programmations pluriannuelles des dépenses de certains ministères comme celui de la Défense, un constat qu’il résume en une formule : « le mur de l’annualité ».
Un mur qu’il tente néanmoins de dépasser en formulant plusieurs pistes visant à inscrire les dépenses publiques dans leur dimension pluriannuelle. Alors que les lois de programmations ont été introduites dans la constitution en 2008, que la proposition de 2011 de les remplacer par des lois cadres des finances publiques n’a pas abouti, le sujet trouve avec ce rapport, un regain d’intérêt. Ce faisant, le Conseil d’État distingue deux options : - à cadre constitutionnel inchangé, faire voter la loi de programmation des finances publiques en début de législature avec l’idée d’accompagner les textes financiers adoptés durant cette période ; - à la faveur d’une révision constitutionnelle, donner une portée contraignante à la loi de programmation (proposition n° 3).
Le Conseil d’État en a bien conscience, la deuxième de ces options suscite de nombreuses interrogations :
- tenant au cadre juridique d’adoption de tels textes, interrogeant des conditions de vote renforcées ;
- au degré de contraintes que de tels textes devraient imposer avec la nécessité de les concilier avec « les impératifs de souplesse face à la conjoncture politique et économique qui peut objectivement imposer de puissants et rapides ajustements dans certaines configurations » ;
- sur les conséquences à tirer d’une contrariété constatée entre la loi annuelle et la loi de programmation ;
- sur le déclenchement possible de clauses de sauvegarde ce qui interroge les cas de déclenchement, leurs modalités de déclenchement… (p. 170).
Avant même d’interroger ces options, encore faut-il pouvoir réviser la Constitution et obtenir un accord politique en ce sens.
Rappelons que la dernière révision constitutionnelle d’importance en nombres d’articles modifiés (faisant ici abstraction de la révision visant à constitutionnaliser le droit à l’IVG) date de 2008 – celle-là même qui a introduit les lois de programmation pluriannuelle…
Et ensuite. Prudemment, le Conseil d’État a conseillé la création d’un « groupe de réflexion composé de personnalités indépendantes et reconnues » chargé d’étudier le sujet et de préciser ces propositions, chargé « d’évaluer les besoins d’assouplissement du principe d’annualité, examiner les expériences passées et celles existant dans d’autres pays et formuler des recommandations ».
Nul doute que leurs réflexions pourront se nourrir des travaux du Professeur Alain Pariente qui a notamment interrogé le rapport de compatibilité voire de conformité entre annualité et pluriannualité ; au-delà, la possibilité d’un remplacement de l’annualité budgétaire par la pluriannualité avec l’idée d’une recomposition du temps budgétaire (v. « L’annualité budgétaire à l’épreuve de la Constitution », RFFP 2020, n° 150, p. 49).
C’est une option d’autant plus intéressante qu’elle permettrait de dépasser la difficulté liée à la hiérarchisation à opérer entre lois de finance et loi de programmation. La réflexion peut s’appuyer sur des exemples européens (Pays-Bas, Suède) mais également sur les pratiques du budget de l’Union européenne.
C’est déjà en ce sens que plaidaient Alain Lambert et Didier Migaud dans un rapport de 2006 avec un titre évocateur : « Oser la pluriannualité » (« Rapport sur la mise en œuvre de la LOLF. A l’épreuve de la pratique, insuffler une nouvelle dynamique de la réforme », 2006, p. 24) et que le Professeur Pariente formule ses propositions pour un cadre budgétaire pluriannuel, anticipe les obstacles pratiques à surmonter – notamment alors qu’ « intuitivement, le passage à un exercice budgétaire pluriannuel semble heurter le principe du consentement à l’impôt » et qu’un tel sujet interroge nécessairement la portée de l’autorisation parlementaire et son contrôle de l’exécution budgétaire (outre l’article préc., v. également « Penser la pluriannualité budgétaire comme un principe autonome des finances publiques », in Mélanges Esclassan et Bouvier, LGDJ 2025, à paraître).
Ce qui apparaît clairement c’est que depuis la LOLF, le sujet a déjà largement suscité la réflexion et que de nombreuses perspectives, au-delà de celles tracées par le Conseil d’État dans son rapport, ont été esquissées. Reste à transformer l’essai et que des suites concrètes soient données à cette proposition du Conseil d’État.
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