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Le billet
À quand l’indépendance des magistrats du parquet ?
Le discours de Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, prononcé le 14 octobre 2011 lors du congrès annuel de l’USM, en présence de Michel Mercier (le garde des Sceaux, si, si, c’est bien lui…), est l’occasion de parler un peu d’indépendance.
Pourquoi ? Parce que, comme le révèle le site d’information Médiapart, le garde des Sceaux aurait tenté, par une invitation évidemment amicale…, d’obtenir la suppression du passage du discours dans lequel Christophe Régnard s’en prenait nommément au plus célèbre procureur de la République : Philippe Courroye. Il faut dire que le président de l’USM n’y est pas allé avec « le dos de la cuillère ». Parlant de sa « honte » devant la gestion des affaires sensibles du moment, le président de l’USM stigmatisait ce procureur qui aurait, notamment, « adress[é] à un président de juridiction un courrier fondé sur des rumeurs de couloir et des informations erronées (…) pour demander l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre un magistrat du siège », ou encore qui aurait fait « vérifier, malgré la loi de janvier 2010 sur le secret des sources, les fadettes de journalistes dans le seul objectif de démontrer l’existence de communications, qu’il pouvait présumer, entre la juge en question et un journaliste (…) pour lui imputer, sans preuve, une violation du secret de l’instruction et trouver un motif à son dessaisissement ». Le procureur en question prétendait pourtant ne pas y avoir vu malice… En effet, pour s’opposer à sa convocation en vue d’une éventuelle mise en examen par un juge d’instruction impertinent, il a fait remarquer que, « le secret des sources, dont la violation n'est pas assortie de sanctions pénales, je n’y peux rien, la loi est ainsi faite, est respectable. Néanmoins, le secret des enquêtes qui protège les citoyens l’est tout autant et sa violation constitue une infraction pénale ». Autrement dit, le secret des sources est respectable, mais on peut ne pas le respecter puisqu’aucune sanction pénale n’a été prévue… Chacun appréciera la déférence à la loi de ce défenseur de la loi.
C’est donc avec le sourire, puis sans doute avec une grimace, que le garde des Sceaux aurait indiqué en substance à M. Régnard, après avoir pris connaissance du discours : « vous ne pouvez pas dire cette partie là ». Ce « petit coup de pression », comme diraient les plus jeunes, est révélateur de l’impérieuse nécessité de maintenir, évidemment, l’indépendance des juges du siège, et de couper, enfin, le cordon ombilical qui unit aujourd’hui quasi incestueusement le pouvoir exécutif aux magistrats du parquet. Ces derniers sont en effet « les agents de l’exécutif auprès des juridictions », l’expression étant en elle-même assez révélatrice de l’existence de ces liaisons aussi bien incestueuses que dangereuses. Qui ignore, ou pourrait encore ne serait-ce que feindre d’ignorer que, pour faire une belle carrière au sein du parquet, et prétendre à ses plus hautes fonctions, il faut, à un moment ou à un autre, être passé par la Chancellerie ou avoir entretenu une certaine proximité avec le pouvoir en place. Le cas du directeur de cabinet du garde des Sceaux, est topique, Michel Mercier venant de le proposer au poste de procureur de la République de Paris. Loin de nous l’idée de remettre en cause les qualités professionnelles de ce magistrat, magistrat qui bénéficie d’ailleurs d’une bonne réputation au sein de l’institution judiciaire. Reste que l’impartialité doit être à la fois subjective et objective. L’impartialité subjective est une vertu. Il s’agit de l’aptitude à se déprendre de ses préjugés ou de ses opinions pour prendre une décision. Faute de pouvoir sonder les reins et les cœurs (est-ce réellement souhaitable ?), il n’est pas possible de mettre en doute cette impartialité qui, au demeurant, se présume. Toutefois, l’impartialité doit également être objective, la personne placée en position de prendre une décision ne devant prêter le flanc à aucune forme de soupçon. À l’évidence, les fonctions éminemment politiques de directeur de cabinet sont susceptibles de blesser cette impartialité objective. On ajoutera que le Recueil des obligations déontologiques des magistrats, élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature, fait de l’impartialité des magistrats du siège, mais également du parquet, un devoir déontologique particulièrement fort. Il est même précisé que « lors de son retour à une activité juridictionnelle, le magistrat qui a exercé des responsabilités à l’extérieur du corps judiciaire doit veiller à ce que son impartialité ne puisse être mise en cause ». Or, est-ce seulement possible lorsque l’on est censé conduire la politique pénale du plus grand TGI de France, après avoir été directeur du cabinet du ministre de la Justice en place ?
Il y a peu, dans un discours en forme de testament, Jean-Pierre Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation, appelait ainsi de ses vœux la création d’un procureur de la Nation, ayant autorité sur les parquets, mais déconnecté de l’échelon politique. C’est également, une des propositions du « think tank » Terra nova qui souhaite la mise en place d’un procureur général de la République indépendant qui « dirigerait l’action publique, en application de la politique pénale définie par le gouvernement », et d’un Conseil supérieur de la Justice, garant de l’indépendance de l’institution judiciaire, et chargé de veiller aux nominations et à la discipline de tous les magistrats, du siège comme du parquet.
Reste ainsi à espérer que la Justice ne sera pas la grande oubliée du débat présidentiel à venir, et que le chiffon rouge du « gouvernement des juges », ou des procureurs en l’espèce, ne sera pas agité pour prévenir toute discussion.
Références
■ Union syndicale des magistrats : http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/index.php
■ Discours du président de l’USM, Christophe Regnard : www.cijoint.fr/cj201110/cijQKz1ii4.pdf
■ Recueil des obligations déontologiques des magistrats : http ://www.conseil-superieur-magistrature.fr/files/recueil_des_obligations_deontologiques_des_magistrats_FR.pdf
■ Rapport « justice et pouvoir » du « think tank » Terra nova : http ://www.tnova.fr/sites/default/files/110228%20-%20Synthèse%20rapport%20Justice.pdf
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