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Activité partielle de longue durée : au cœur de l'ambivalence du droit du travail
La promotion de l'activité partielle tout au long de la crise sans précédent née de la pandémie de la covid-19 fournit une nouvelle illustration, s'il en était besoin, de la théorie de l'ambivalence du droit du travail, aujourd'hui largement admise par la plupart des auteurs: loin d'être un droit uniquement protecteur des salariés, il permet aux entreprises d'organiser leur activité et d'utiliser la force de travail dans des conditions qui ne sont pas toujours favorables aux salariés (G. Lyon-Caen, Le droit du travail . Une technique réversible, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995; A. Jeammaud, Les fonctions du droit du travail, in F. Collin et al., Le Droit capitaliste du travail , PU Grenoble, coll. 1980, p. 149; F. Gea, À quoi sert le droit du travail ? D. 2020. 444).
L'activité partielle – anciennement désignée comme le chômage partiel- est ce dispositif qui permet aux entreprises, face à des circonstances économiques, de suspendre les contrats de travail tout en permettant aux salariés de conserver une rémunération, prise en charge pour l'essentiel par la collectivité (État et assurance chômage).
Les règles actuelles proviennent d'une loi du 14 juin 2013 (C. trav., Art. L. 5122-1 s.). Afin de faire face à la crise sanitaire, un dispositif exceptionnel a été mis en place, appelé à cesser à partir du 1er octobre 2020. Il avait pour avantage de permettre une meilleure indemnisation des salariés concernés et un remboursement quasi intégral des salaires aux entreprises. L'article 53 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020, complétée par le décret 2020-926 du 28 juillet 2020, met en place un nouveau dispositif temporaire, applicable jusqu'au 30 juin 2022, destiné aux entreprises confrontées de façon persistance aux conséquences de cette crise. La loi l'a dénommé « activité réduite pour le maintien en emploi », mais les praticiens semblent préférer l'expression « activité partielle de longue durée » (APLD). Sa particularité est de permettre, sur la base d'un accord d'entreprise ou d'un acte unilatéral si un accord de branche le rend possible, la mise en place de l'activité partielle. Il est plus avantageux pour les salariés et pour les entreprises que le droit commun de l'activité partielle (droit toujours en vigueur d'ailleurs), mais il doit en retour comporter un certain nombre d'engagements figurant dans les accords collectifs, notamment en termes de maintien de l'emploi pour les salariés concernés, pendant la durée de l'accord, sous peine de pénalités.
Le dispositif pourrait paraître doublement avantageux, à la fois pour les salariés, dont l'emploi est préservé en période de crise, et pour l'entreprise, soulagée de ne pas avoir à assumer la totalité de sa masse salariale alors que nombre de secteurs connaissent de graves difficultés (tourisme, transports, loisirs, etc.). Les nouvelles règles devraient donc contribuer à atténuer les effets de la crise économique, comme l'avaient fait les précédentes, adoptées au début de la pandémie.
Pourquoi alors parler d'ambivalence et non simplement d'un dispositif avantageux ? Parce que, comme la plupart des règles du droit du travail, il permet de ménager de manière subtile les contraintes et les avantages pour les deux parties. Il garantit aux salariés une forme de stabilité d'emploi : il est indéniable que la plupart des salariés seront soulagés de ne pas être licenciés. Mais en retour, ceux-ci se voient imposer les conditions de la suspension de leur contrat de travail, et en particulier une possible réduction de leur rémunération. Le salaire est en effet maintenu à 70 % du salaire brut, et plafonné à 70 % de 4,5 fois le montant du SMIC horaire, soit 31,97 € de l'heure. Les salariés n'ont donc droit qu'à une partie de leur rémunération, avec un effet plus important pour les plus hauts niveaux de salaire. La mesure constitue ainsi une atteinte à la force obligatoire des contrats, d'autant plus forte que la jurisprudence considère que le refus d'une modification contractuelle liée à la mise au chômage partiel constitue une faute du salarié, assimilable à une faute grave en certaines circonstances (Soc. 2 févr. 1999, n° 96-42.831 P). Le droit du licenciement pour motif économique n'a pas à être appliqué.
Sans déroger à cette jurisprudence, le législateur a prévu une garantie nouvelle pour les salariés : la conclusion de l'accord collectif d'entreprise, ou d'un accord collectif de branche. Le texte est ainsi parfaitement dans la tendance du droit contemporain, qui tend à laisser aux partenaires sociaux un rôle central dans la détermination des compromis entre les salariés et les entreprises. Ce sont eux qui seront à même d'apprécier si les garanties en terme de maintien dans l'emploi sont suffisantes pour justifier la mise en chômage partiel. Mais le texte demeure faible en ne conditionnant pas ce type d'accord à un maintien de la totalité de l'emploi dans l'entreprise, et en ne prévoyant que des pénalités à l'égard de l'entreprise qui ne respecterait pas ses engagements, sans aucune garantie individuelle pour les salariés concernés.
On pourra néanmoins louer cette nouvelle forme de recherche de compromis entre représentants du personnel et entreprises en temps de crise.
Il y a sans doute plus inquiétant. Le recours massif à ces mécanismes pose d'épineuses questions de financement, pour l'instant résolues par un recours massif à l'endettement tant de l'État que des organismes sociaux. Les incertitudes sur la suite de la crise économique font planer un sombre nuage sur l'avenir de notre système de protection sociale : la solution d'une dette non maîtrisée ne pourrait être trouvée que dans de drastiques mesures d'économie. La protection de l'emploi d'aujourd'hui n'est ainsi pas sans ambiguïté au regard de l'avenir de l'État social.
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