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Affaire Darmanin ou la question de savoir à quel moment un ministre ne peut plus rester dans le Gouvernement ?
Alors que l’on assiste depuis plusieurs semaines à un mouvement de libération de la parole des femmes ayant subi des atteintes sexuelles, le sort du ministre du budget, Gérald Darmanin, visé par une plainte pour viol divise : si le Premier ministre lui a témoigné sa confiance, le président du parti Les Républicains demande quand à lui sa démission sans toutefois être soutenu par l’ensemble des membres du parti. Dans ce contexte, il est intéressant de revenir sur la pratique en matière de démission des ministres impliqués dans des affaires judiciaires.
Sous la 5ème République, la fin des fonctions ministérielles peut résulter d’une mise en cause de la responsabilité collective du Gouvernement ou de la responsabilité individuelle d’un ministre.
La responsabilité collective résulte du caractère parlementaire du texte de la Constitution de 1958 qui permet à l’Assemblée nationale d’engager la responsabilité politique du Gouvernement en votant une motion de censure ou en désapprouvant le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement (Const. 58, art. 49). Un tel vote oblige le Premier ministre à présenter la démission de son Gouvernement au Chef de l’État (Const. 58, art. 50).
Engagée une seule fois sur ces fondements, en 1962, à l’encontre du Gouvernement Pompidou, la responsabilité collective des membres du Gouvernement s’est essentiellement illustrée devant le Chef de l’État sur la base du premier alinéa de l’article 8 de la Constitution. Selon le texte, le Président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. En pratique, on sait que le caractère volontaire de la démission a dû être largement relativisé puisque les premiers ministres ont la plupart du temps présenté leur démission lorsque le Chef de l’État la leur demandait.
La responsabilité individuelle des ministres est quant à elle envisagée sur deux plans. Le Titre X de la Constitution prévoit en effet une responsabilité, pour les actes accomplis dans l’exercice des fonctions ministérielles qui seraient qualifiés de crimes ou délits au moment où ils sont commis. Dans cette hypothèse, le ministre bénéficie d’un privilège de juridiction (compétence de la Cour de justice de la République, Const. 58, art. 68-1 et 68-2).
Mais la responsabilité individuelle des ministres est également prévue au second alinéa de l’article 8 de la Constitution qui permet au Chef de l’État de révoquer un membre du Gouvernement, sur proposition du Premier ministre. Cette disposition fonde un véritable pouvoir disciplinaire au sein de l’équipe gouvernementale qui peut s’exprimer dans des situations très variées. Sa rédaction, suffisamment vague, laisse toute la latitude aux titulaires du pouvoir exécutif pour contraindre un ministre à partir lorsque sa présence au sein du Gouvernement est devenue problématique.
C’est sur cet aspect disciplinaire que le sort du ministre du budget est discuté depuis plusieurs jours. Gérald Darmanin est en effet visé par une plainte pour viol qui, conformément aux règles de droit, a entraîné l’ouverture d’une enquête préliminaire. Doit-il rester, doit-il partir ?
Si l’on s’en tient aux règles jusque-là établies en la matière, la jurisprudence dite « Bérégovoy-Balladur » instaurée dans les années 90, invite les ministres mis en examen ou sur le point de l’être à démissionner du Gouvernement. Cette jurisprudence a été appliquée plusieurs fois et a permis de constater que certains ministres avaient par la suite été relaxés ou bénéficier d’un non-lieu. Rapportée au cas d’espèce, cette jurisprudence ne serait pas applicable, le ministre du budget ne devrait donc pas présenter sa démission, aucune mise en examen n’étant à ce jour évoquée.
Pourtant, cette situation doit être observée aujourd’hui sous un angle nouveau pour deux raisons. D’une part, le Président Macron a fait de la moralisation de la vie publique un thème de campagne et un critère de composition de ses équipes gouvernementales afin de trancher avec ses prédécesseurs. D’autre part, alors même que nous étions encore au début du quinquennat, pas moins de quatre ministres ont été contraints de présenter leur démission car ils étaient impliqués dans des affaires de financements illégaux. Ainsi, entre le 19 et le 21 juin, Richard Ferrand puis les trois ministres issus du Modem, Sylvie Goulard, François Bayrou et Marielle de Sarnez ont quitté le Gouvernement alors qu’ils étaient visés par une enquête préliminaire et non par une mise en examen.
C’est sur la base de ce précédent que les avis se divisent sur l’issue à donner à l’affaire Darmanin.
Pour les uns, Gérald Darmanin devrait respecter le précédent ainsi créé sous le mandat d’Emmanuel Macron et démissionner. Pour les autres, la démission des quatre ministres en juin 2017 était justifiée car leur présence n’aurait pas permis des débats sereins sur le projet de loi relatif à la moralisation de la vie publique qui était sur le point d’être présenté aux chambres. En outre, la position de François Bayrou était particulièrement délicate en sa qualité de ministre de la justice impliqué dans une affaire judiciaire. Le Premier ministre et les membres du Gouvernement interrogés dans les médias sur le sort à réserver à Gérald Darmanin distinguent donc les situations et valident le maintien de ce dernier au Gouvernement tant qu’il n’est pas mis en examen.
Après l’affaire Fillon, celle-ci est l’occasion de s’interroger sur l’impact du tribunal médiatique sur les individus et plus spécialement sur la classe politique et sur la délicate préservation de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction, bref, une bonne occasion de réfléchir au régime de responsabilité de la classe politique.
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