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Bob Dylan, le droit et la justice
À l'heure où ce bon vieux Bob revient en France pour une série de concerts en compagnie de l'ancien leader de Dire Straits, Mark Knopfler, il n'est peut-être pas inintéressant, à l'usage des étudiants, d'essayer de creuser un peu son rapport au droit et à la justice.
Nous avons évidemment tous à l'esprit le Bob Dylan des « protest songs », de ses premiers albums : The Lonesome Death of Hattie Carroll, Oxford Town ou Hurricane (cette dernière plus tardivement). Dans chacune de ces histoires, c'est l'injustice qui est un des ressorts essentiels de textes, le meurtrier de Hattie Caroll qui ne sera condamné qu'à 6 mois de prison, le boxeur Hurricane Carter qui sera au contraire condamné contre toute évidence (aux sens français et américains du terme). Et cette injustice repose elle même souvent sur le ressort du racisme, racisme institutionnel d'ailleurs car généralement la critique essentielle de Bob Dylan s'adresse moins aux auteurs des forfaits qu'au système qui les autorise voire les encourage. C'est tout le sens de la chanson Only a pawn in their game :
« The deputy sheriff’s, the soldiers, the governors get paid, And the marshals and cops get the same, but the poor white man's used in the hands of them all like a tool. He's taught in his school from the start by the rule that the laws are with him to protect his white skin ».
Ce serait cependant un grand contresens que de réduire Dylan à ces protest songs, dont il a lui même chanté le fait qu'il s'en détachait (My back pages). Mais elles montrent déjà ce qui sera une constante de son rapport au droit et à la justice : ces institutions sont souvent des illusions, des lieux où se jouent des spectacles ou des comédies, des mensonges.
Il le dit dans une chanson de son premier album (Talkin' New York), une de ses premières compositions personnelles : en parlant du contrat qu'il a signé sans doute avec un agent il affirme : « some people rob you with a fountain pen ». On retrouve la même idée dans une chanson de l'album méconnu John Wesley Harding, où un procès qui ressemble fort à une mascarade est interrompu par un coup de foudre qui conduit tout le monde à s'agenouiller et à prier (The drifter's escape). Et la chanson déjà citée, « a pawn in their game » traduit également la même idée.
À la vérité ce qu'il pense des institutions rejaillit sur les personnes qui les incarnent : gouvernants, juges, avocats, sont généralement vus de manière très négative. Dans tous les procès que décrivent ces chansons, il n'y a guère de personnages judiciaires valorisés (pas mêmes les avocats qui sont étrangement absents de ces procès) et dans la célèbre chanson Ballad of a thin man, le critique littéraire qui fait l'objet de l'ire dylanienne se voit reprocher d'avoir frayé avec les « greats lawyers ».
Et plus fondamentalement, on peut avoir le sentiment que pour Bob Dylan c'est au fond tout le système même du droit, fondé sur des normes qui sont insaisissables au poète et à son humanité. Ainsi, dans la chanson Political world de l'album Oh Mercy, il chante : « We live in a political world, Love don't have any place. We're living in times where men commit crimes And crime don't have a face (…) We live in a political world, wisdom is thrown into jail (...) We live in a political world Where mercy walks the plank »...
Ainsi, au total les institutions judiciaires et juridiques font partie de cet « Empire Burlesque », auquel il donna le titre d'un de ses albums, c'est-à-dire des figures de mascarade auxquelles il ne cesse de référer pour les critiquer ou pour dire la souffrance de les subir.
Au final la seule chose qui surnage, et sur laquelle il porte un regard positif et valorisant dans sa vision du droit et de la justice c'est le respect de sa liberté. Il l'a d'ailleurs chanté également « Without freedom of speech I might be in the swamp » (Motorpsycho Nightmare).
Au total, faire de Dylan un chanteur engagé, le modèle du protest singer, se révèle une contradiction absolue, et on comprend pourquoi il a voulu s'en détacher. En revanche, sur ce sujet aussi, il se révèle un très proche héritier de la beat literature et surtout de Jack Kerouak avec lequel il partage ce refus presque absolu des institutions.
C'est donc par une singulière ironie que l'on retrouve sous la plume de grands juges américains des formules de Dylan qui émaillent des sentences juridictionnelles, parfois même utilisées à contresens et ironiquement. C'est ainsi que le juge ultra-conservateur Scaglia, un des plus fermes contempteurs de la notion de « living constitution » (c'est-à-dire de constitution qui évolue en raison de l'évolution des circonstances), énonça dans une opinion dissidente : « the times they-are changing » est une excuse faible pour justifier une méconnaissance de son devoir ».
Nul doute que ce n'est pas ce contre-emploi qui enlèvera à Dylan l'idée que la justice est une illusion...
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