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[ 4 novembre 2019 ] Imprimer

Cacophonie et malaise autour de la lutte contre la radicalisation

Les réactions politiques et le traitement médiatique de l’attaque de la préfecture de police de Paris confirment que les actions terroristes mettent toujours en exergue les failles d’une société pour mieux la déstabiliser et que, malgré le temps, nous n’apprenons pas des expériences passées. Depuis moins d’un mois, nous constatons que chaque acte criminel pouvant potentiellement être assimilé à un acte de terrorisme entraîne de la part des politiques et des « experts » des effets d’annonce anarchiques qui se conjuguent mal avec la réflexion constante et continue que la lutte contre toutes les radicalités exige.

■ Les moyens mis en place pour lutter contre la radicalisation

Dans un article de JDD du 27 octobre, nous apprenons que « Macron veut un plan contre la radicalisation ». La semaine précédente, dans une Tribune du Monde, une sociologue juge qu’« il est urgent de mettre en place des actions de prévention de la radicalisation ». Très conjoncturelles, ces annonces reflètent mal le cadre normatif existant en la matière. On compte en effet depuis 2014 : trois plans de lutte et de prévention contre la radicalisation qui marquent un terme à la supposée « déradicalisation » des individus ; trois décrets ; six circulaires de différents ministres ; un arrêté et cinq instructions ministérielles. Ensuite, depuis le 6 mai 2016, le Comité interministériel de prévention de la délinquance s’est vu confié une mission complémentaire, la prévention de la radicalisation. Il est ainsi devenu le CIPDR chargé de la mise en œuvre des plans nationaux de prévention de la radicalisation. Enfin, depuis 2017, un Conseil scientifique sur les processus de radicalisation (COSPRAD) a été créé. Placé sous la présidence du Premier ministre, onze représentants de l’État, quatre élus locaux, deux membres du Parlement et treize personnalités scientifiques ont pour « mission de favoriser l’articulation et le dialogue entre recherche et politique publique, en vue de développer la structuration de la recherche sur les radicalisations en France et de faire des propositions au Premier ministre ». Les bases sont donc là, à parfaire sans aucun doute mais les effets d’annonce réclamant nouveauté et actions sont contraires au temps nécessaire pour développer et trouver les ressorts permettant de freiner ou bloquer tous les types de radicalisations (car tout comme il n’existe pas un terrorisme mais des terrorismes, il existe des radicalisations, non une seule).

■ Les limites du discours présidentiel

L’attaque au sein de la Préfecture de police de Paris le 3 octobre dernier a entrainé la mort de quatre personnes et de l’assaillant. Lors du discours prononcé par Emmanuel Macron le 8 octobre, en hommage aux victimes qui « sont tombé[e]s sous les coups d’un islam dévoyé et porteur de mort qu’il nous revient d’éradiquer », le Chef de l’État a tout d’abord eu des mots rassurants lorsqu’il a déclaré : « Nous ne cesserons jamais de resserrer chaque instant un peu plus les mailles du filet - sans que cette traque, jamais, ne remette en cause les libertés de la République pour chaque citoyen, sans que le combat ne divise la Nation en voulant faire perdre raison à chacun. Ce n'est en aucun cas un combat contre une religion mais bien contre son dévoiement et ce qui conduit au terrorisme. Attaquer la racine, le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste et ses vocations mortifères est tout aussi vital. […] » Mais il a aussi eu des mots inquiétants en affirmant que « L'administration seule et tous les services de l'État ne sauraient venir à bout de l'hydre islamiste. Non c’est la Nation toute entière qui doit s’unir, se mobiliser, agir. […] Une société de vigilance voilà ce qu’il nous revient de bâtir. La vigilance, et non le soupçon qui corrompt. La vigilance : l’écoute attentive de l’autre, l’éveil raisonnable des consciences. C’est tout simplement savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi les relâchements, les déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les valeurs de la République. Une séparation. »

Le rappel du respect des libertés et du refus des amalgames est évidemment essentiel mais il ne fait pas le poids face aux risques de mauvaise interprétation et aux dérives de cette « société de vigilance » que le Président de la République nous propose.

■ L’illustration des risques 

Plusieurs faits d’actualité de ces trois dernières semaines illustrent parfaitement les dérives qu’une lutte contre la radicalisation comme avant elle, le terrorisme peut générer dans la société. Ainsi, pour commencer, la presse a relayé une fiche de détection de la radicalisation que l’Université de Cergy-Pontoise avait envoyé à son personnel. Illustration maladroite d’un des points du plan de lutte contre la radicalisation, l’objectif poursuivi ne peut être jugé mauvais de prime abord. C’est cependant la manière dont il est manipulé qui peut le devenir. Dans le même esprit, un séminaire de formation qui devait se dérouler à Paris-I Panthéon Sorbonne, intitulé « Prévention de la radicalisation : compréhension des phénomènes et détection des signaux faibles » a finalement été « suspendu ». Ensuite, un élu RN a demandé à une mère de famille de retirer son voile lors du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Conté. Cette « demande » a incité les sénateurs à voter, le mardi 29 octobre une proposition de loi (163 voix pour/114 voix contre) visant à assurer la neutralité religieuse des personnes participant au service public de l’éducation dont le premier article (la proposition n’en contenant que deux) vise spécifiquement à interdire le port de signes religieux ostensibles aux parents accompagnant des sorties scolaires. La veille, le 28 octobre à Bayonne, un homme de 84 ans, ex-candidat FN aux élections locales, a tenté de mettre le feu à la mosquée blessant deux personnes qui ont essayé de l’en empêcher. Le parquet national antiterroriste ne s’étant pas saisi de l’affaire, cette action a soulevé de nouveau la question de savoir ce qui est terroriste ou pas, surtout après l’abandon de la qualification terroriste pour l’attaque de la préfecture de police de Paris (information rendue publique le 30 octobre par France inter – à confirmer). Enfin, un communiqué du président du Conseil français du culte musulman annonce que ce dernier a chargé une commission de définir les grands signes de radicalité afin de « lever toute confusion avec la pratique religieuse piétiste ».

■ Urgence politique versus réflexion constructive

L’ensemble de ces actions et les réactions qu’elles suscitent souligne combien il est difficile de traiter ces sujets avec toute l’importance qu’ils méritent et sans excès d’émotion. Il revient donc à chacun d’entre nous d’analyser cette actualité avec recul et nous rappeler de notre histoire pour envisager les pistes qui nous sont proposées pour l’avenir. Comme le note avec beaucoup de sagesse Mireille Delmas-Marty : « En toute hypothèse, ce n’est pas le moment pour la France d’oublier que sa devise républicaine commence par « liberté » et se termine par « fraternité » ; ni pour l’Europe de renoncer au triptyque « État de droit, démocratie, droits de l’homme » qu’elle inventa naguère. S’il reste une chance de stabiliser le monde sans le paralyser, elle viendra moins d’une défiance généralisée que d’une confiance retrouvée dans l’humanité, fragile et faillible, mais néanmoins responsable dans sa diversité acceptée. »

 

Auteur :Karine Roudier


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