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Ce que « vœu » veut dire
À l’heure où il est d’usage de présenter des vœux le juriste, toujours prudent et avisé, avant de prononcer la formule sacramentelle, est amené à s’interroger sur la portée de celle-ci et en particulier si ce faisant, il ne prendrait pas quelque engagement dont il n’aurait pas mesuré toutes les conséquences.
Et le voilà, notre juriste, plongé dès le quatre janvier dans le même abîme de perplexité que celui qui sera, durant tout le reste de l’année, son lot quotidien lorsqu’il se livrera aux poisons et délices des opérations de qualification.
C’est que le mot « vœu », en droit, ouvre bien des perspectives. Et qu’il donne aussi bien des idées pour adresser les siens.
Dans le vocabulaire commun à toutes les branches du droit, tout d’abord, il désigne souvent ce qu’il est convenu d’appeler la ratio legis : le vœu de la loi, c’est le but poursuivi par celle-ci, le motif pour lequel elle a été adoptée, pour reprendre les termes d’une ordonnance récente : « Si la créance est assortie d'une clause de réévaluation, il est satisfait au vœu de la loi par la simple mention du capital originaire de la créance et l'indication de la clause de réévaluation » (Décr. n° 55-1350 du 14 oct. 1955, pour l'application du Décr. n° 55-22 du 4 janv. 1955 portant réforme de la publicité foncière, art 57, issu de l’Ord. n° 2006-346 du 23 mars 2006).
Mais il y aurait quelque immodestie de la part du juriste à adresser ses vœux en les désignant comme « vœux de la loi ».
Chaque branche du droit, ensuite, a usé du terme de « vœu », selon ses logiques propres.
La première est sans doute le droit canonique, s’agissant du régime des vœux des religieux. Les vœux prononcés avaient, du moins dans les périodes anciennes, une intensité particulière puisqu’ils produisaient le même effet que la « mort civile », conduisant ainsi à la perte de capacité à être titulaire d’un patrimoine, et par suite au transfert de celui existant au profit de la communauté religieuse.
Mais que l’on se rassure, aujourd’hui, prononcer des vœux n’a plus des effets aussi radicaux et vous pouvez donc adresser vos vœux sans craindre qu’en réponse votre interlocuteur ne vous informe qu’il a saisi la justice pour créer un syndic de l’administration de vos anciens biens…
Le droit civil a été plus timide. Dans le droit des successions, et plus spécialement dans le régime des testaments, le « vœu » se distingue de la prescription impérative, en ce qu’il ne crée que des obligations morales mais non des effets juridiques. Ces « vœux » sont dits « précatifs ».
Du point de vue du droit public, le vœu obéit à plusieurs régimes juridiques fort divers.
On connaît, naturellement, les célèbres « vœux » des assemblées délibérantes, dépourvus de valeur juridique mais qui furent jusqu’à un revirement de 1997 susceptibles d’être contestés à raison de leurs « vices propres » et qui ne sont plus aujourd’hui soumis qu’au régime du déféré préfectoral. Et pour qui aime l’histoire on rappellera que le Conseil de Paris, après la chute de la Commune, multiplia les vœux de nature politique dirigés contre la politique du gouvernement versaillais, les publia et les afficha abondamment, ce qui rendit sans effet le pouvoir du préfet de Paris d’annuler ces délibérations.
Placarder des vœux plutôt que de les envoyer par courrier. Voilà une idée excellente.
Mais le vœu peut aussi être celui du fonctionnaire qui cherche à obtenir sa mutation, et il est alors l’objet d’une protection et d’un contrôle du juge administratif. Le ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs créé une procédure répondant au nom superbe de « procédure d’extension de vœux », que l’on pourrait utilement envisager pour n’adresser qu’une seule carte de vœux, dont on étendrait ainsi l’application à tous nos correspondants.
La technique du vœu n’est pas davantage inconnue du droit international. Mais hélas, il s’agit ici fort souvent de « vœux pieux », le juge administratif ramenant à la rude réalité du droit dur de tels outils : « Considérant que les associations requérantes ne sauraient utilement se prévaloir des stipulations du cinquième alinéa du préambule de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 qui, se bornant à exprimer « le vœu que tous les États, reconnaissant le caractère social et humanitaire du problème des réfugiés, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ce problème ne devienne une cause de tension entre États », sont dépourvues d'effet direct » (CE 5 avril 2006, GISTI).
On la retrouve encore dans les résolutions de la conférence diplomatique de Genève du 12 août 1949 à propos du respect du sigle de la Croix rouge : « la Conférence émet le vœu que les États veillent scrupuleusement à ce que la croix rouge ainsi que les emblèmes de protection prévus à l'article 38 de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949 ne soient utilisés que dans les limites des Conventions de Genève, afin de sauvegarder leur autorité et de maintenir leur haute signification ».
Avouez qu’un vœu contenu dans une résolution, voilà qui fleure bon le début d’année.
Au terme de cette étude, c'est donc en toute connaissance de cause que l'équipe du Billet et de l'Angle droit vous présente ses bons vœux pour l'année qui commence.
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