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[ 17 avril 2023 ] Imprimer

Ceci est une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale

Sans véritable surprise, le Conseil constitutionnel a déclaré le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 compatible avec la Constitution.

Il considère que la procédure d’adoption de la loi, utilisant le vecteur d’une loi de financement de la Sécurité sociale ne méconnaît aucune norme de nature constitutionnelle, le texte comprenant l’ensemble des dispositions exigées, la procédure d’adoption est, de son côté, jugée conforme aux exigences de la Constitution, même si « l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel ». Sur le fond, le choix de retarder l’âge de la retraite ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle, en particulier le respect de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution, qui reconnaît le droit à une protection pour les travailleurs âgés le législateur ayant la liberté de « choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées », ce qui l’autorise à modifier les dispositifs existants, en choisissant, dans le respect des exigences constitutionnelles, de l’opportunité des choix à réaliser. Le Conseil a toutefois écarté six dispositions du projet de loi, telles que l’index sénior et le CDI séniors, au titre des « cavaliers sociaux », car ils n’ont pas d’incidence directe sur le budget de la Sécurité sociale. La décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui se garde de substituer son appréciation sur des questions qui relèvent avant tout de choix politiques.

Le législateur a fait le choix de procéder à une réforme importante de notre système de retraites en utilisant, pour la première fois le régime des lois de financement de la Sécurité sociale de l’article 47-1 de la Constitution, qui permet d’adopter les textes dans un calendrier serré, et surtout, de recourir plus facilement à l’article 49-3 pour adopter les dispositions. Sans doute le gouvernement, en utilisant ces instruments, a-t-il pu mener à bien son projet de repousser l’âge de la retraite, mais le résultat juridique est pour le moins déroutant. La loi revêt la forme d’une loi de financement de la Sécurité sociale alors qu’elle n’est manifestement pas un texte de prévision financière sur les comptes de la Sécurité sociale, mais une réforme des retraites, ce qui n’est pas sans rappeler le tableau de René Magritte intitulé « la Trahison des images » avec sa célèbre formule « ceci n’est pas une pipe ». La question ne relève pas uniquement de l’esthétique. En choisissant cette forme le législateur s’est enfermé dans le choix d’une réforme a minima des retraites, sous son aspect le plus réducteur, celui d’une recherche de financement à court terme.

Pourtant, sa mesure emblématique, le rallongement de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, accompagné de l’allongement de la durée de cotisation, aura bien des incidences, qui iront au-delà d’un enjeu de combler un déficit de financement envisagé pour l’an 2032. Un tel allongement conduit en effet à maintenir sur le marché du travail de nombreux salariés qui peinent à conserver un travail : 56 % des 55-64 ans sont aujourd’hui sortis de l’emploi. Comment envisager le travail de ces personnes, notamment celles qui doivent faire face à de dures conditions de travail ? Comment garantir que l’allongement de l’âge de la retraite ne se traduira pas simplement pas plus de précarité dans l’emploi, avec au total des montants de pensions dégradés à l’âge de la retraite ? Comment faire pour que l’allongement de la durée des cotisations ne se fasse pas au détriment des femmes, qui connaissent déjà davantage d’interruptions de carrière ? Ces différentes questions montrent que l’allongement de l’âge de la retraite ne peut être l’unique réponse apportée à un besoin de financement d’un système de retraite. Toute réforme des systèmes de retraite a besoin d’être accompagnée par un volet permettant de s’attaquer aux questions d’emploi ou aux questions sociales suscitées par le déploiement du travail des séniors. Tout ce que ne peut permettre de faire un projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Les seules mesures qui commençaient - timidement - à aborder une telle problématique, dans le projet de loi, ont été censurées par le Conseil constitutionnel : l’index sénior, qui cherchait à donner un peu de transparence à l’emploi des salariés de plus de 55 ans dans les entreprises, le CDI sénior, censé favoriser les embauches de ces salariés et l’amélioration du suivi de la santé des salariés exposés aux risques professionnels.

La réussite législative du vote d’une loi dans le contexte d’un Parlement à la majorité introuvable ne peut, en tout état de cause, cacher l’adoption d’un texte sans qualité, amputé d’une appréhension complète des enjeux d’une réforme importante qu’il engage et sans même présenter clairement aux Français le projet qu’il porte. Le rejet que le texte a suscité dans l’opinion publique, et la défiance syndicale qu’il a provoquée ne pourront que difficilement être dépassés dans les mois qui viennent. Une mauvaise loi peut parfaitement être compatible avec la Constitution, mais elle aura du mal à préparer l’avenir de notre pays qui doit affronter bien d’autres défis économiques, sociaux ou climatiques.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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