[ 2 avril 2013 ]

Ceci n’est pas un poisson d’avril

Pour s’en tenir à l’essentiel, et en concentrant mon propos sur les seules innovations qui vont affecter les Facultés de droit, je dévoilerai ici les six grandes mesures qui composent cette réforme qui va incontestablement révolutionner les esprits.

D’abord, pour redonner de la vigueur à l’idée d’égalité, composante essentielle de notre devise républicaine, le port de l’uniforme sera désormais imposé dans l’enseignement supérieur. Pour les Facultés de droit, les étudiants devront porter un chandail noir avec un col en V, sur une chemise blanche dont le col sera fermé et ceint d’une cravate rouge et noir, et un pantalon rouge vermillon. Les étudiantes devront, elles, porter une jupe noire plissée, un chandail rouge vermillon avec un col ras le cou sur un chemisier blanc et un serre-tête noir. Les enseignants, quant à eux, devront assurer leurs cours en toge noire et rouge et, par mesure d’hygiène, porter des tongs de la même couleur.

Ensuite, à l’avenir, lors de l’entrée du professeur dans l’amphithéâtre, les étudiants devront se lever, puis l’applaudir discrètement lorsqu’il le quittera.

En outre, chaque cours de droit commencera par la lecture à voix haute par tous les étudiants de quelques articles du Code civil, dans sa version de 1804. À la fin de chaque cours, un décret, sélectionné par le professeur, sera lu par un étudiant choisi en raison de sa coupe de cheveux ou de ses lunettes à triple foyer.

Par ailleurs, les examens sont désormais supprimés. Dorénavant, en vue de la délivrance de chaque diplôme, il sera procédé en deux temps. En premier lieu, un professeur, désigné par ses pairs en raison de la largeur de ses narines, effectuera un tirage au sort, à l’issue duquel 100 étudiants seront admis à concourir pour la seconde épreuve. Les étudiants non sélectionnés pourront, soit redoubler si leur nom commence par une des cinq lettres de l’alphabet tirées au sort par le professeur le plus âgé dans le grade le moins élevé, soit entrer dans les ordres en Argentine, pays d’avenir pour les gens de robe. En second lieu, les étudiants toujours en course devront participer à l’émission « Questions (juridiques) pour un champion ». L’animateur, euh pardon l’examinateur, posera des questions de mémoire à l’ensemble des étudiants, tous réunis dans l’amphi et munis d’un boîtier pour les besoins de la cause. Ceux qui n’auront pas répondu convenablement à la totalité des questions seront éliminés, les autres seront diplômés. Exemple de question : Je suis… un arrêt rendu par la Cour de cassation en 1930… à la suite d’un accident de la circulation… j’ai créé un principe général à partir d’un texte du Code civil sans portée normative…, etc., … je suis… je suis… Autre exemple : quelle est la différence entre un bail emphytéotique et une prestation compensatoire ?

De plus, tous les étudiants en droit de France et de Navarre devront étudier exclusivement dans les Codes Dalloz. La jurisprudence est bannie à jamais de l’enseignement juridique et le nom de Robespierre devra être donné à tous les amphithéâtres dans lesquels le Droit, c’est-à-dire exclusivement les lois référendaires et organiques, les règlements pris sans l’avis du Conseil d’État et les arrêtés municipaux, est enseigné.

Enfin, les études de Droit seront désormais concentrées dans la seule ville de Limoges, parce que c’est là où je passe mes vacances et que je réaliserai ainsi de substantielles économies qui me permettront de m’abonner au Recueil Dalloz.