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[ 8 juillet 2011 ] Imprimer

Comment dénommer les intercommunalités ?

Les dénominations des institutions locales sont porteuses d'enjeux de pouvoir et d'enjeux symboliques très intéressants. Lorsque la Constituante, en 1789, nomma les départements, elle chercha à nier les traces des féodalités antérieures par l'usage de noms de fleuves, de chaînes de montagne, voire des indications de boussole (Nord)…

De la même manière, le choix des noms des régions, sous la Ve République, s'inscrivit dans cette perspective : alors que les projets de régionalisation de l'État français s'inscrivaient dans des perspectives maurrassiennes, cherchant à retrouver les anciennes provinces, autant les projets postérieurs cherchèrent à s'en échapper : Pays de la Loire, Centre, Champagnes-Ardennes, Rhône-Alpes en sont quelques illustrations.

L'essor de l'intercommunalité a conduit à remettre ces questions de toponymie administrative sur le devant de la scène. Comment nommer ces communautés d'agglomérations, communautés de communes, et autres communautés urbaines qui sont désormais des institutions centrales dans le paysage local ?

Ici, les enjeux anciens qui viennent d'être rappelés ont disparu. Mais d'autres ont émergé.

D'abord, très simplement, comment appeler ce qui n'existait pas auparavant, en tant que communauté, humaine ou institutionnelle. Ensuite, comment ménager les sensibilités des uns et des autres, communes de petites tailles ou commune rivales par exemple. Enfin, comment essayer d'inscrire dans ces dénominations des formes de projets, de politiques publiques ?

Ce que l'on constate c'est que si les réponses données à ces enjeux sont multiples, elles répondent à quelques constantes que l'on peut ici dessiner, en prenant en exemple deux départements de l'Île de France, Le Val-de-Marne et l'Essonne, qui sont très caractéristiques de ces enjeux.

D'abord, dans les aires urbaines continues, on constate à la fois un clair refus d'une dénomination qui mettrait en valeur une commune sur une autre, et une très grande difficulté à trouver des identifiants alternatifs. Par exemple, l'intercommunalité dans laquelle est située Créteil, préfecture du Val-de-Marne est banalement dénommée « Communauté d'agglomération Plaine Centrale du Val-de-Marne » et celle de Nogent-sur-Marne, Le Perreux « Communauté d'agglomération de la Vallée de la Marne », ce qui pourrait convenir à des centaines de communes, « Communauté d'agglomération Les Portes de l'Essonne », dont on pourrait considérer qu'elle désignerait mieux une aire d'autoroute qu'une collectivité publique.

Ensuite, dans de nombreux cas, les dénominations vont être arrimées à des réalités géographiques très simples : les « plateaux », les « lacs », les « vallées » sont légions et représentent plus des deux tiers des dénominations des intercommunalités de ces deux départements.

Enfin, aux franges de l'Île de France, là où il existe des villes-centres qui ont gardé l'image de « chefs lieux », on retrouve des dénominations plus traditionnelles fondées sur l'idée de pays : « Communauté de communes de l'Arpajonnais », « Communauté de communes du pays de Limours », voire avec des références à d'anciennes provinces : « Communauté de communes Cœur du Hurepoix ».

Au total on ne peut s'empêcher du constat d'une certaine banalité, qui tranche avec les beaux noms, évocateurs et multiples de nos communes, fondés sur des usages anciens, des sources puisées dans les toponymies antiques voire préhistoriques.

Et l'on voit bien ici comment d'une analyse des noms on en vient à une réflexion sur le droit et les pouvoirs : on ne peut s'empêcher de considérer que le faible ancrage des dénominations des intercommunalités va de pair avec le débat sur leur légitimité, faute d'élection au suffrage universel, et que corrélativement, la peur des communes, fortes de leur légitimité historique d'institution de proximité, d'être diluées dans des entités purement administratives et an-historiques se perçoit ici aussi.

Une fois encore, on constate ainsi que les mots et les dénominations des institutions juridiques sont des sources de réflexion importante sur la nature et le devenir de ces institutions.

Bonnes vacances à tous.

 

 

Auteur :Frédéric Rolin


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