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Le billet
Comment la police s’emmêle (dans la police administrative)
Je le confesse, chers lecteurs, il peut sembler un peu malséant de placer sous les auspices d’un titre démarqué de l’immortelle série des Panthère Rose de Black Edwards un sujet aussi sérieux que celui des limitations à apporter à l’utilisation de produits phytosanitaires et de suggérer ainsi une analogie entre nos glorieux régimes de police administrative et l’inénarrable inspecteur Clouzeau.
Qu’on y songe pourtant. L’histoire commence en juin 2019. Notre inspecteur cherche à coffrer un redoutable bandit nommé William Carence. Il s’apprête à le saisir, il s’approche d’un pas félin et d’une semelle couinante, la pénombre règne entre les arcades et le bassin du jardin du Palais Royal. Il pose la main sur son manteau (singulière idée que de porter un manteau au mois de juin 2019, dans le Paris caniculaire), mais voilà que Carence se dégage en ricanant à l’adresse de l’inspecteur « Ahah tu ne m’as pas eu, je suis seulement annulé en tant que ne pas ».
Devant une telle ruse l’inspecteur vacille et choit de tout son long dans le bassin qui reflète les austères colonnes du Conseil d’Etat. Essorant son chapeau et son imperméable il rumine par devers lui :
-Quoi la carence à réglementer la protection des riverains dans les zones traitées par les produits phytosanitaires ne conduit qu’à une annulation négative et à l’obligation de procéder à cette réglementation dans un délai de 6 mois ? (CE 26 juin 2019, Assoc. Générations futures, n° 415426).
Mais je t’aurai avant, Carence, tu n’échapperas pas à ma furie justicière.
Chers lecteurs, sont-ce bien là les mots, étonnamment juridiques que prononça l’inspecteur dans ces dramatiques circonstances ou bien avons-nous été abusés par son si délicieux accent français, nul ne le saura jamais. Mais toujours est-il que c’est ainsi que honteux et trempé, notre inspecteur rendit compte de l’échec de sa mission au Chef inspecteur Dreyfus qui, en l’entendant, ne put réprimer les si pénibles tics : tremblements de tous ses membres, clignement de la paupière et rire sardonique que provoquait chez lui l’apparition de son subordonné.
Mais ne nous y trompons pas, chers lecteurs, aucun homme, pas même l’inspecteur Clouzeau n’a la capacité à lui seul de provoquer de tels troubles. De toute évidence, le chef inspecteur Dreyfus avait été beaucoup trop longtemps exposé à des produits phytosanitaires et chaque évènement pénible réveillait l’activité de ces terribles composés chimiques.
C’est pourquoi nul plus que le chef inspecteur n’avait pour but suprême que de mettre William Carence hors d’état de nuire. Aussi, se ressaisissant, il hurla des ordres qui raisonnèrent dans la vieille tour pointue du Quai des orfèvres (qu’il rechignait à quitter pour les locaux publics privés des Batignolles) :
- Qu’on m’appelle le CGEDD, qu’on m’amène le CGAAER, qu’on me convoque l’IGAS, qu’on se saisisse de l’ANSES. Je veux les voir dans mon bureau séance tenante. Je veux et j’exige que dans les meilleurs délais on affiche la tête de ce bandit de William Carence au vu et au su de toute la population, qu’on recueille toutes les informations et tous les avis pour que dans 6 mois, on arrive enfin à l’enfermer dans une cellule éloignée d’au moins 10 mètres de tous les autres prisonniers (Consultation publique sur un projet de décret et un projet d’arrêté relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation).
Et d’ici là Clouzeau, plus un mot, plus un geste, vous êtes relevé de cette affaire.
Mais chers lecteurs, c’était bien mal connaître l’inspecteur Clouzeau et son dévouement pour le chef inspecteur Dreyfus. Il avait vu de ses propres yeux les tics qui l’affligeaient et il se doutait bien que s’il mettait une telle hargne à réduire William Carence à l’impuissance, c’est qu’il avait été lui-même sa victime.
Clouzeau, rentré chez lui, méditait à la manière d’aider son supérieur. Dans sa tenue de karateka, il s’était assis en position de lotus et sous la direction de son professeur de yoga, Erwann Langouët recherchait quel coup fatal il pourrait porter à Carence.
Quand soudain la lumière s’éteignit. Clouzeau se précipita dans l’obscurité vers la porte. Il buta au passage sur Langouët qui émit quelques jurons dans une langue gaëlique. Mais la porte était fermée. Des bruissements et des frottements de pas étouffés quoique couverts par les horribles imprécations de son ami « QPC », « question préjudicielle » « CJUE » lui parvenaient néanmoins. C’était Carence. Il s’était introduit chez lui, il venait le combattre jusque dans ses propres pénates.
Alors le sang de Clouzeau ne fit qu’un tour, il se leva en bondissant, heurtant à nouveau le malheureux Langouët qui hurla « principe de précaution » et se précipita sur l’ombre démoniaque :
- Ah Ah, je t’aurai Carence. Ta police spéciale n’est pas intervenue. Je vais te suspendre au plafond de cette pièce dans laquelle tu t’es introduite
L’ombre répliqua : « Pauvre freluquet, ta police générale ne peut rien contre moi, je suis exclusif, et tu ne me trouveras pas dans les 6 prochains mois même si ma tête est affichée sur tous les sites internet gouvernementaux de France » (TA Rennes 27 août 2019, Préfète d’Ille-et-Vilaine, n° 1904033).
Clouzeau ne se laissa pas abattre par ce coup pourtant rude et contre-attaqua. Erwan Langouët s’était tu. On n’entendait que le souffle des deux adversaires et l’on devinait que le prochain coup serait fatal. Tout en manœuvrant de la sorte Clouzeau se rapprochait de l’interrupteur et projetait d’éclairer soudainement son adversaire pour le confondre. Il lança sa dernière prise, une prise qui lui avait été enseignée par un grand maître. Il entendait pourtant encore son maître lui dire « attention cette prise ne fonctionne pas contre toutes les polices spéciales » (Jacques Petit, les aspects nouveaux du concours entre polices générales et polies spéciales, RFDA 2013. 1187).
Mais c’était là sa seule chance. Il se mit en position, se rappela mentalement tous les gestes à effectuer et se lança :
- Tu n’es pas exclusif quand il y a péril imminent ou circonstances locales particulières et là ma force de police générale réapparait et je t’anéantis.
On imagine combien assourdissants les cris d’une pareille attaque durent être. On imagine l’adversaire couché au sol devant la violence de l’assaut. Et pourtant rien ne se passa. Il ne répondit pas, on n’entendit pas de souffle coupé ou de gémissements de douleur (TA Rennes 25 oct. 2019, Préfet d’Ille-et-Vilaine, n° 1904029).
Alors Clouzeau tourna d’un coup sec l’interrupteur et à peine ses yeux se furent ils accoutumés à la clarté nouvelle qu’il discerna son serviteur, le zélé Kato Fong en kimono et qui s’inclinait respectueusement vers lui. Ce n’était donc pas Carence qu’il avait combattu…
Kato, tu es fou, tu aurais pu mourir de cette dernière attaque, mais tu as bien fait dévoué Kato, désormais je suis prêt à combattre l’infâme Carence, les mots et les gestes de mon vieux maître me sont revenus et la prochaine fois que je lancerai cette attaque elle sera décisive.
Chers lecteurs, l’inspecteur Clouzeau ne croyait pas si bien dire. Lancé à la recherche de Carence en compagnie des inspecteurs Sceaux et Genevilliers qui, comme lui, ne voulaient pas attendre le délai de 6 mois fixé par le chef inspecteur pour liquider l’infâme criminel. Mais il se cachait bien et ils ne réussirent qu’à attirer dans un piège un de ses complices qui n’avait qu’une importance locale. Devant cet ennemi moins redoutable Clouzeau lança néanmoins sa violente attaque :
- Tu n’es pas exclusif quand il y a péril imminent ou circonstances locales particulières et là ma force de police générale réapparait et je t’anéantis.
Sous la violence du choc, le comparse s’effondra. Il laissa échapper dans un murmure étouffé « je ne suis pas un danger grave pour les populations locales, il n’y pas de péril imminent ». Mais ces derniers mots sortirent à peine de sa bouche qu’il perdit connaissance (TA Cergy Pontoise, 8 nov. 2019, Villes de Sceaux et de Gennevilliers, n° 1912597 et 1912600).
Chers lecteurs, comme vous vous en doutez, le suspens est à son comble.
Quelle sera la réaction du chef inspecteur Dreyfus lorsqu’il apprendra l’arrestation du complice de William Carence ? Et parviendra-il à boucler Carence lui-même dans moins de 6 mois ?
Le redoutable bandit parviendra-t-il à faire évader son complice ?
L’inspecteur Clouzeau parviendra-t-il de son côté à mettre sous clé de nouveaux bandits de la bande de Carence ?
Son vieux maître lui dira-t-il ce qu’il pense de la manière dont il s’est servi de son attaque ?
Tout cela, et bien d’autres choses encore, vous le saurez dans le prochain épisode de notre saga « Carence contre-attaque ».
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