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Comment ne pas juger ce qui n'a pas à être jugé : La CEDH et le statut du parquet
Les deux camps avaient fourbi leurs armes, du côté de l'État, un intense lobbying au sein de la CEDH, à la suite d'une demande de renvoi d'une affaire en Grande Chambre, du côté des partisans du parquet indépendant, une force de frappe d'analyse et de décryptage, et de relation avec les médias.
Et chacun attendait avec impatience que la Grande Chambre confirmât ou infirmât la décision initiale du 10 juillet 2008 qui semblait remettre en cause le statut de la garde à vue, car elle était placée sous le rôle du parquet, qui ne pouvait être regardé comme un juge, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, car ne remplissant pas les conditions d'indépendance requises.
Le 29 mars, cette décision fut rendue, et dans les minutes, ou presque, qui suivirent les services de la chancellerie publièrent un communiqué qui indiquait que la « CEDH ne remet pas en cause le statut du parquet ». Depuis, les opposants à la réforme du parquet tentent de faire valoir le point de vue contraire, soulignant qu'en définitive, la CEDH n'a rien tranché, de sorte que la question reste posée pour l'avenir. Cette série de mouvements est des plus captivants à observer.
Regardons d'abord les réactions, avant de regarder la décision.
Nous avons ici un captivant exemple de technique d'obnubilation des médias : dès le rendu de la décision, la seule réaction un tant soit peu substantielle est celle du ministère. Elle se fonde sur une différence qui existe entre la première décision et la seconde. Cette réaction présente donc trois intérêts majeurs : elle est institutionnelle, elle est crédible substantiellement et elle est la première. Cela suffit pour en faire le point central, le pivot de toute l'actualité sur cette question. De sorte que l'effet médiatique est atteint, malgré des contre feux, l'idée qui prédomine est bien que le parquet n'est pas mis en cause.
Si ces réactions ont été possibles, c'est parce que la décision a usé d'une vieille technique du Conseil d'État, et plus largement de toutes les juridictions en relation avec le pouvoir : elle a usé de la technique de l'économie de moyens, pour ne pas avoir à trancher ce qui pouvait ne pas être tranché.
Le principe de l'économie de moyen repose initialement sur le principe du self restraint du juge : il ne doit juger que ce qui lui est soumis en litige, sauf à commettre un "ultra-petite", et il ne doit mettre en œuvre que les règles de droit nécessaires pour atteindre ce résultat.
Mais parfois, le juge use de ce principe de moyen pour échapper à des questions délicates. Tel a bien été le cas ici : compte tenu du débat sur la réforme judiciaire actuellement actif en France, la Cour a essayé d'éviter d'être instrumentalisée, en changeant de terrain de censure, dès lors qu'elle en avait un autre à sa disposition.
Mais qu'on y réfléchisse bien : si la Cour a esquivé cette question, n'est ce pas parce que c'est une question très délicate ? Autrement dit, le silence n'est-il pas, contrairement aux affirmations de la chancellerie, un indice d'un sérieux risque de censure dans l'avenir ?
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