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[ 18 janvier 2011 ] Imprimer

Concordances des temps : de la Révolution de 1830 à la Révolution tunisienne

Pour ceux des étudiants, lecteurs de Dalloz Actu Étudiant, qui écoutent également les émissions de France culture, l'évocation des Concordances des temps, n'a rien qui puisse surprendre. Pour les autres, il faut préciser qu'il s'agit d'une émission hebdomadaire présentée par Jean-Noël Jeanneney qui vise à montrer les analogies de structures entre les événements du passé et ceux du présent. On ne peut trop en recommander l'écoute, tant elle est brillante, enrichissante et distrayante à la fois.

Les événements qui se sont déroulés en Tunisie la semaine passée, et qui ont vu le départ du pouvoir du président Ben Ali conduisent à penser qu'il pourrait exister une certaine « concordance des temps » constitutionnelle, entre cette situation, et la manière dont se déroula en France, la Révolution de 1830.

Sur le plan de l'image donnée par le régime quelque temps avant sa chute, tout d'abord : De même que le régime de Ben Ali semblait taillé dans le roc, la dynastie des Bourbons restaurée semblait faite pour durer : elle avait su gérer une succession, entre Louis XVIII et Charles X, et l'ordre intérieur régnait, renforcé sur la fin sous le ministère Polignac. Les deux régimes jouissaient également d'un soutien international puissant : à Ben Ali l'estime de la communauté internationale pour avoir cantonné l'islamisme, aux Bourbons le soutien anglais, entre autres, pour avoir rompu avec la politique expansionniste menaçante de Napoléon Premier.

L'analogie vaut encore pour la rapidité et les conditions de la chute de ce pouvoir : On se souvient des « trois glorieuses », journées de juillet qui emportèrent le régime français. Il a fallu ici moins d'une semaine pour passer d'une agitation ordinaire à un mouvement qui fit tomber le régime, et dans les deux cas avec une violence somme toute limitée et un nombre de morts restreint.

Mais, dans les deux cas, le changement n'est pas considérable. En France, le pouvoir passa des Bourbons aux Orléans, branche cadette qui intriguait depuis 30 ans pour obtenir le pouvoir, qui était composé d'une part importante de la bourgeoisie d'affaires et qui s'installa dans un régime politique et constitutionnel très proche du précédent, on y reviendra. En Tunisie, il semble bien que le changement s'opère sur des bases assez restreintes, puisqu'une partie importante du personnel dirigeant du régime antérieur est recyclée et que les institutions ne connaissent que des changements marginaux.

C'est d'ailleurs sur ce dernier point que les perspectives juridiques, et constitutionnelles tout particulièrement, sont les plus intéressantes à examiner.

En principe une Révolution constitue l'exercice par le peuple souverain de son droit, et même de son devoir, de résistance à l'oppression : la révolution est la réponse que le peuple souverain oppose au régime qui rompt le contrat social qui l'institue comme délégué du souverain, et non comme maître de cette souveraineté.

En principe, la révolution qui induit la suppression de l'ordre politique et constitutionnel conduit à ce que les institutions passées perdent toute valeur, toute valeur juridique s'entend. La Révolution bolchevique qui est l'aboutissement de toutes les théories politiques du xixesiècle en fournit le meilleur exemple.

Cependant, dans la « Révolution de Jasmin », comme dans la Révolution de 1830, on trouve ce trait commun que le bouleversement de l'ordre politique demeure limité et surtout ne remet pas en cause les institutions elle-même, mais seulement de certains des excès auxquels elles ont donné lieu, ainsi que du personnel politique qui s'y est prêté.
D'un certain point de vue, ces Révolutions s'apparentent davantage à des élections sans urnes, qui permettent de renouveler un personnel politique qui s'est accaparé le pouvoir, plutôt qu'à un bouleversement institutionnel.

Naturellement, ces « concordances des temps » ne doivent pas être considérées comme des formes de prédictions du futur. Si le talent politique de Louis Philippe et de son premier ministre Guizot permit que la Révolution s'interrompît au bout de trois journées, cela ne permet pas d'en inférer que les mouvements tunisiens actuels sont terminés. Car il est d'autres expériences qui nous apprennent que les révolutions connaissent
parfois deux, trois voire quatre actes successifs. Celle de 1848 qui conduisit à la proclamation de la République puis au coup d'État du 2 décembre 1851 en est un exemple : elle sembla commencer comme la précédente mais finit quatre années plus tard à la manière de Brumaire.

Mais ce sont là d'autres concordances des temps, que l'on ne souhaite pas à la Tunisie de connaître.

 

 

Auteur :Frédéric Rolin


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