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Congés payés : l’impossible simplification
Le 24 avril 2024, le gouvernement déposait un projet de loi de simplification de la vie économique (projet de loi de simplification de la vie économique, Sénat, n° 550, enregistré le 24 avril 2024), comportant un Titre IV intitulé « simplifier les obligations pesant sur l’organisation et le fonctionnement des entreprises ».
Le même jour pourtant, entrait en vigueur la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 (Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2024/4/22/2024-364/jo/texte), dont l’article 37 risque de donner du fil à retordre aux DRH, responsables juridiques ou spécialistes de la paye… mais aussi aux étudiants spécialisés en droit du travail !
Rappelons que cette loi est une étape (sans doute pas tout à fait finale) dans la saga de la détermination des droits à congés payés des salariés en arrêt maladie. La Cour de cassation, dans ses arrêts du 13 septembre 2023 (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.340 à 22-17.342 ; 22-17.638 ; 22-10.529, 22-11.106), avait opéré un important revirement de jurisprudence en considérant que les dispositions du droit français qui excluent le droit à congés payés pour les salariés en arrêt maladie ou l’acquisition de ces congés au-delà d’une période d’un an pour les salariés en arrêt maladie pour une raison professionnelle devaient être écartées, au nom du respect du droit à congés payés tel que protégé par le droit de l’Union Européenne. La Cour de cassation avait ajouté à cette situation une règle de prescription particulièrement contraignante : celle-ci ne peut courir qu’à partir du moment où le salarié a été informé de la possibilité de bénéficier de ces droits.
Les organisations professionnelles patronales et nombre d’entreprises ont dénoncé la rigueur de cette jurisprudence et le coût qu’elle entraîne pour les entreprises. Elles avaient pourtant mauvaise grâce à se plaindre du caractère imprévisible de cette évolution : la Cour de justice de l’Union Européenne avait clairement exposé sa position dès 2009, la Cour de cassation avait appelé le législateur (en vain) à adapter le droit français dans ses rapports annuels depuis 2013. Face à cette inertie, la Cour de cassation a dû imposer ce changement à la faveur des arrêts du 23 septembre 2023 en se basant sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, qui protège le droit à congés payés, et confère un effet direct horizontal aux dispositions de la directive européenne de 1988 sur le temps de travail.
La loi du 22 avril 2024, en son article 37, tire les conséquences de ce revirement de jurisprudence, en tentant de canaliser les effets des arrêts de la Cour de cassation. Elle met d’abord le droit français en conformité aux prescriptions européennes en reformulant l’articles L. 3141-5 du code du travail (acquisition de droits à congés payés pendant les arrêts de travail pour un motif non professionnel et suppression de la limite d’un an pour les accidents du travail/maladies professionnelles (ATMP)), et elle limite le jeu des reports des congés payés par l’introduction d’une période de report sur une durée de quinze mois.
On pourra sans doute se réjouir de la clarification opérée : la France met enfin son droit légiféré en conformité avec les exigences du droit européen. Pour le reste, on peut craindre que la simplification n’en sorte guère renforcée. Les nouvelles règles conduisent d’abord à octroyer des durées de congés payés qui vont varier selon que le salarié était en arrêt de travail pour une raison professionnelle (deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif) ou pour une raison non professionnelle (deux jours ouvrables par mois), ce qui ne facilitera guère les décomptes. Par ailleurs, la loi nouvelle met à la charge de l’employeur une obligation d’information nouvelle : il doit désormais porter à la connaissance du salarié, pour chaque arrêt de travail, dans le mois qui suit la reprise du travail une information détaillée concernant le nombre de jours de congés restant et le délai dans lequel il peut les prendre, information importante, car elle fait courir le point de départ du délai de 15 mois pour pouvoir les reporter s’ils ne peuvent être pris ( C. trav., art. L. 3141-19-3).
Sans entrer davantage dans les subtilités de la loi du 22 avril 2024, on comprendra aisément que le droit du travail reste loin de la promesse de simplification faite aux entreprises. Beaucoup le déploreront et sans doute reste-t-il beaucoup à faire. Néanmoins, les spécialistes de cette discipline savent de longue date que la complexité des relations de travail et la subtilité des équilibres économiques et sociaux qui la soutiennent rendent cette promesse illusoire le plus souvent, et que le Code du travail ne s’est jamais avéré aussi complexe que depuis que le législateur s’est attaché à flexibiliser le droit du travail et à en simplifier les normes. La lecture de la loi du 22 avril 2024 persuadera aisément du paradoxe qu’il y a à promettre de simplifier le droit du travail tout en adoptant un texte byzantin.
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