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Consécration d’une amende civile en cas de faute lucrative cause de dommages sériels
La loi dite DDADUE 20025 (loi n° 2025-391 du 30 avril 2025) a intégré dans le Code civil un nouvel article 1254, lequel consacre une amende civile lorsqu’un professionnel cause des dommages sériels en commettant une faute lucrative dans le cadre de son activité. Si une sanction des fautes lucratives avait déjà été envisagée dans divers projets de réforme de la responsabilité civile, la proposition de loi enregistrée à la Présidence du Sénat le 29 juillet 2020 n’avait pas repris une telle proposition, laquelle semblait abandonnée faute de consensus sur le sujet.
Rappelons en effet que le principe de réparation intégrale applicable en droit de la responsabilité civile (principe constant depuis Civ. 2e, 28 oct. 1954, JCP 1955, II, 8765, note Savatier) conduit à replacer, autant que faire se peut, la victime dans la situation qui était la sienne avant le fait dommageable. Il ne doit résulter, après indemnisation, ni perte ni profit pour la victime. Le montant des dommages et intérêts compensatoires correspond ainsi le plus exactement possible aux préjudices subis par la victime, ce qui suppose d’évaluer ces derniers avec précision.
Faisant obstacle à tout enrichissement de la victime, le principe de réparation intégrale empêche de mettre à la charge du responsable des dommages et intérêts punitifs, versés à la victime, lesquels ne tendent pas à réparer son préjudice mais à sanctionner un comportement fautif par une peine privée. Connus des systèmes anglo-saxons, les dommages et intérêts punitifs ont un but dissuasif et participent de la fonction normative de la responsabilité civile, aujourd’hui largement occultée en droit français par sa fonction indemnitaire.
La multiplication des fautes lucratives (N. Fournier de Crouy, La faute lucrative, Economica, 2018) - lesquelles permettent à leur auteur d’en tirer un profit malgré leur condamnation à indemniser le préjudice subi par la victime - a suscité des discussions depuis plusieurs années sur l’opportunité de mettre en place un régime plus répressif. Les débats ont porté tant sur la nature de la sanction à mobiliser que sur son champ d’application.
S’agissant, d’abord, de la nature de la sanction, des dommages et intérêts punitifs avaient d’abord été envisagés dans le projet Catala (art. 1371), même s’il était précisé que le juge aurait « la faculté d’en faire bénéficier pour une part le Trésor public », la confusion avec l’amende civile ayant alors été soulignée. Le projet Terré avait ensuite proposé, de manière originale, de consacrer des dommages et intérêts restitutoires, consistant à verser à la victime « le montant du profit retiré par le défendeur plutôt que la réparation du préjudice subi » (art. 54). Le projet de réforme de la responsabilité civile présenté par la Chancellerie en mars 2017 avait, quant à lui, clairement opté pour l’amende civile (art. 1266-1) « affectée au financement d’un fonds d’indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à défaut, au Trésor public ». Telle est aussi la solution retenue par le nouvel article 1254 du Code civil, lequel vise en effet le « paiement d’une sanction civile, dont le produit est affecté à un fonds consacré au financement des actions de groupe ».
L’article 1254 indique que « le montant de la sanction est proportionné à la gravité de la faute commise et au profit que l’auteur de la faute en a retiré », et prévoit des plafonds. Seuls deux critères sont ainsi pris en compte, laissant de côté les « facultés contributives de l'auteur », ajoutées dans le projet de réforme de mars 2017. Il est enfin précisé (comme dans tous les projets précédents) que cette sanction est inassurable, ce qui n’est guère étonnant s’agissant d’une peine.
S’agissant, ensuite, du champ d’application de la sanction, la loi DDADUE 2025 se distingue fortement du projet de réforme de la responsabilité civile de mars 2017 (art. 1266-1). Tandis que ce projet se cantonnait à prendre en compte la spécificité de la faute lucrative dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle, le nouvel article 1254 précise que la sanction prévue sera applicable en cas de « manquements aux obligations légales ou contractuelle afférentes à son activité professionnelle ». Le champ d’application est ainsi tout à la fois étendu (aux hypothèses de responsabilité extracontractuelle) et limité (en le restreignant aux fautes commises dans le cadre d’une activité professionnelle).
La faute lucrative suppose en outre, selon l’article 1254 du Code civil que soit démontré son caractère volontaire (qu’elle soit délibérément commise) et l’objectif lucratif poursuivi par son auteur, lequel cherche à « obtenir un gain ou une économie indue ». Les termes retenus par le projet de réforme de mars 2017 étaient identiques sur ce point. L’article 1254 ajoute toutefois une condition supplémentaire : le fait que le manquement constaté ait « causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire », autrement dit le fait que la faute ait causé un dommage sériel.
Si la volonté de prendre en compte la spécificité de la faute lucrative est louable, on peut regretter, d’une part, que la règle posée soit réservée aux sinistres sériels et, d’autre part, qu’elle ne s’inscrive pas dans une réflexion d’ensemble sur la réforme de la responsabilité civile. Tant attendue, cette dernière semble malheureusement vouée à être réalisée par l’adoption sporadique de dispositions éparses. La loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant, de manière a priori ambitieuse, « à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels », s’était ainsi déjà contentée de créer un nouvel article 1253 relatif à la responsabilité du fait des troubles anormaux du voisinage…
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