Actualité > Le billet

Le billet

[ 18 septembre 2023 ] Imprimer

Contractualisation : la grande illusion

S’il est une constante qui parcourt l’histoire moderne, c’est bien cette idée que les personnes en situation de précarité et qui n’accèdent pas à l’emploi le doivent à une volonté déficiente. Du travail ? La pénurie de main-d’œuvre devrait conduire à ce que chacun accède à un travail, il suffirait de traverser la rue. 

Les leçons données, pourraient évoquer avec nostalgie les discours humanistes des dames patronnesses du XIXe siècle. Mais celui qui reçoit une rémunération trente fois plus élevée, qui dispose d’un patrimoine matériel, culturel et éducatif sans aucune comparaison, peut-il en toute décence donner des leçons sur le travail à des personnes en situation de précarité, qui n’ignorent rien du travail sans qualité, des rémunérations insuffisantes qui amputent les droits à l’aide sociale, des temps de trajet éprouvants, des contraintes familiales pesantes, des accidents de la vie ?

Bien sûr, tout le monde sait que les personnes précaires cumulent les difficultés qui rendent l’accès à l’emploi difficile. Mais l’argument plaît toujours autant : l’accès au travail serait affaire de volonté. Quand on veut, on peut ! Quoi de plus naturel alors que de peser sur la volonté des personnes concernées, à les inciter à vouloir un travail ? La technique du contrat paraît alors tout indiquée : c’est par un engagement de volonté que les personnes pourront trouver le chemin d’un retour à l’emploi. La recette est ancienne, elle aussi, et elle est de nouveau prescrite par le projet de loi sur le plein emploi, revenu à l’Assemblée nationale après avoir été adopté par le Sénat, à travers le projet de créer un nouveau « Contrat d’engagement » entre les institutions de l’assurance chômage (rebaptisées pour l’occasion France Emploi) et toute personne inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi. Ce contrat serait proposé non seulement aux actuels demandeurs d’emploi, mais aussi à tous les autres publics : les personnes qui sollicitent le bénéfice du RSA, les jeunes ou encore les personnes handicapées bénéficiant de dispositifs d’insertion, tenus de s’inscrire désormais sur la liste des demandeurs d’emploi par le même texte.

Après un « diagnostic global », la personne concernée « élabore et signe » son contrat d’engagement, destiné à déterminer les engagements de l’organisme et les actions d’accompagnement mises en œuvre. Pour les demandeurs d’emploi, le contrat d’engagement aurait un contenu comparable à l’actuel PARE (plan d’aide au retour à l’emploi) : il définirait le type d’emploi que le chômeur est tenu de rechercher et les actions de recherche d’emploi. Côté public en insertion, le contrat conduit à déterminer les objectifs d’insertion, et notamment « le niveau d’intensité de l’accompagnement requis auquel correspond une durée hebdomadaire d’activité du demandeur d’emploi d’au moins quinze heures » (C. trav., futur art. L. 5411-6). De son côté, l’organisme s’engagerait sur l’intensité de l’accompagnement, les droits des bénéficiaires et les sanctions applicables.

L’idée d’une contractualisation avait déjà attiré les pouvoirs publics il y a plus de 20 ans, lorsque le patronat avait proposé de rendre plus dynamique le marché du travail en créant un Contrat d’aide au retour à l’emploi, qui suscita la résistance tant des syndicats que des pouvoirs publics, qui finalement s’accordèrent sur la création du PARE, dont le Conseil d’État écarta toute valeur contractuelle. Cela n’empêcha pas de voir dans certains engagements une nature impérative, ce qui suscita d’infinies difficultés lorsqu’il s’agit de déterminer si le Plan pouvait procurer des droits face aux révisions des règles d’indemnisation.

L’emploi du vocabulaire du contrat semble donc sonner le retour de cette illusion contractuelle. Ce contrat a tout d’un contrat forcé. Dès lors qu’il sera l’une des conditions probables du bénéfice d’aides sociales comme le RSA, réservé à des personnes dans un état de besoin constaté, il ne fait guère de doute que la signature sera acquise quel qu’en soit le contenu, et l’on pourra sans difficulté écarter les clauses de ces contrats d’adhésion en raison du « déséquilibre significatif » qu’elles emportent, au sens de l’article 1171 du Code civil. Du côté de son contenu, ce contrat sera à tel point teinté d’unilatéralisme, avec un pouvoir de contrôle, de sanction allant jusqu’à la radiation et la suppression d’une aide sociale comme le RSA, ou encore l’obligation d’actualiser le document dans des conditions non précisées, qu’il ne faudra pas beaucoup de temps pour que les juridictions y voient un pacte léonin. En sens inverse, les pouvoirs publics risquent rapidement de se voir opposer le respect du contenu du contrat contre les changements des règles d’accompagnement et d’indemnisation, ce qui va les priver de la possibilité d’une adaptation rapide des règles aux besoins sociaux ou économiques.

La clarification des droits et des devoirs entre le service public de l’emploi et les publics en recherche d’emploi ou d’insertion n’est pas une mauvaise chose, mais l’application d’une logique contractuelle à ce type de relation ne sera pas d’une grande utilité : elle n’aura ni l’effet incitatif souhaité ni la souplesse recherchée par les pouvoirs publics pour favoriser le retour à l’emploi.

Références :

■ Projet de loi n° 1528 pour le plein emploi, déposé au Sénat le 7 juin 2023 et adopté le 11 juillet 2023 

■ CE 11 juillet 2001, req. n° 228361Dr. soc. 2001. 857, concl. S. Boissard ; RDSS 2001. 867, note C. Willmann.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr