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Contrat de courtage matrimonial d’une personne mariée : ce n’est pas l’intention qui compte !
Un contrat de courtage matrimonial conclu par un homme marié est-il de ce fait nul comme contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ? La Cour de cassation répond par la négative par un arrêt, de large diffusion et déjà polémique, rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation du 4 novembre 2011. Cet arrêt est surtout l’occasion pour les lecteurs de prendre toute la mesure des liens qui unissent le droit et la morale. Effectuer un choix juridique, ce n’est pas uniquement opter pour une technique, c’est souvent opérer un choix politique.
Un contrat de courtage a été conclu le 10 mai 2007 par un homme marié. Cet homme avait coché la case de divorcé alors qu’il était en instance de divorce. Une ordonnance constatant la non-conciliation avait en effet été rendue le 24 avril 2007, mais le divorce n’a été prononcé que le 22 avril 2008. Ce faisant, la cour d’appel a jugé le contrat nul et a condamné le futur ex-mari au paiement de dommages-intérêts aux motifs que ce contrat était pourvu d’une cause immorale, contrariété avec les bonnes mœurs, et illicite, violation de l’ordre public de protection, « un homme encore marié ne pouvant légitimement convoler en une nouvelle union ». Sur pourvoi de l’ex-époux, l’arrêt est cassé pour violation de la loi, au visa de l’article 1133 du Code civil, aux motifs que « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée ».
Le contrat de courtage matrimonial est une convention traditionnellement sous haute surveillance. Aujourd’hui consacré par la loi (art. 6, L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l'information et à la protection des consommateurs ainsi qu'à diverses pratiques commerciales), ce contrat avait souvent été annulé pour son immoralité ou pour son illicéité (Dijon, 1re ch., 2e sect., 22 mars 1996 : à propos d’une femme en instance de divorce ayant conclu un contrat de courtage matrimonial ; Paris, 1er déc. 1999). Changement de cap, désormais, car la Cour de cassation juge au contraire que l’intention n’est pas l’action, la conclusion d’un contrat de courtage matrimonial n’est pas la réalisation d’une relation extraconjugale. En validant ce contrat conclu par une personne mariée, la Cour de cassation opère un surprenant revirement de jurisprudence. Pour quelles raisons ? En jouant de schizophrénie passagère, l’auteur de ces lignes pourrait à l’égard de cette décision tenir un double discours.
Le premier pourrait consister à s’indigner de la mort lente et certaine des bonnes mœurs dont l’arrêt fourni une nouvelle illustration qu’il faut s’empresser de critiquer. L’intention vaut l’action et mériterait comme elle d’être sanctionnée : « Pour le bien, l’action est plus que l’intention ; pour le mal, l’intention est plus que l’action ». Avec ce proverbe espagnol, c’est la morale qui prend le pas sur le droit. En refusant de sanctionner cette mauvaise intention, ce sont le mariage et les devoirs afférents que l’on sacrifie sur l’autel d’un individualisme exacerbé et débridé. Que reste-t-il de l’institution du mariage si une personne mariée peut désormais conclure un contrat de courtage matrimonial dont le but, rappelé par la Cour de cassation et inscrit dans la loi, est de se marier ou de créer une union stable ? Que reste-t-il du devoir de fidélité, déjà malmené par l’œuvre conjuguée de la loi et de la jurisprudence, si une personne mariée peut chercher à s’unir à une autre alors que les liens du mariage ne sont pas encore rompus ? Que reste-t-il du devoir de respect, fraîchement introduit en 2006 dans le Code civil, lorsqu’un mari peut entreprendre de créer un lien avec une autre femme en délaissant sa chère et tendre épouse ? La formule de la Cour de cassation ne trompe pas. Elle ne souhaite plus sonder les cœurs et les reins. Le lien entre cette décision et les arrêts relatifs aux libéralités faites dans le cadre d’une relation adultère est ici évident (Civ. 1re, 3 févr. 1999 ; Ass. plén. 29 oct. 2004). Sauvons ce qu’il reste des bonnes mœurs et faisons en sorte que le droit ne cède pas devant la pression des faits.
Alors que reste-t-il… ? Avec une pointe d’ironie et un soupçon de cynisme et en nous retranchant derrière notre confortable schizophrénie passagère pour aborder ce second discours, on peut répondre : Tout !
Tout, car il ne faut pas trop en faire dire à un arrêt, de large diffusion certes, mais dont les circonstances sont bien singulières. L’homme était en instance de divorce lorsqu’il a conclu ce contrat de courtage matrimonial et aucune relation extraconjugale effective n’a pu être établie. Son crime : avoir anticipé sur le prononcé d’un divorce dont la procédure était bien engagée et l’issue inéluctable. Que restait-il de ce mariage, sinon un divorce en puissance ? Sa faiblesse : avoir eu peur de la solitude et ne pas avoir supporté l’idée de vivre seul, sans pour autant réduire sa future ex-épouse à un simple bien substituable. D’ailleurs, qui sait si ce mariage ne « battait pas de l’aile » depuis plusieurs années déjà, ce qui relativiserait le fait qu’à peine une quinzaine de jours après son ordonnance de non-conciliation il signait le contrat de courtage matrimonial. Sa force, enfin : croire aux liens du mariage en envisageant, devant l’échec du premier, d’y entrer à nouveau. En somme, l’intention est insuffisante à rendre le contrat immoral ou illicite, à moins d’admettre l’hypothèse, quelques rares fois retenue par les juges et un peu datée, d’une « infidélité intellectuelle » (Paris, 13 févr. 1986 ; Civ. 1re, 18 mai 2005).
Au-delà de toute schizophrénie et dans un moment de lucidité, un autre raisonnement, moins polémique, aurait permis de justifier l’absence de nullité du contrat de courtage matrimonial, raisonnement entièrement fondé sur la contingence des notions d’ordre public et de bonnes mœurs. Les bonnes mœurs doivent s’apprécier au jour où le juge statue. Quant à la contrariété à l’ordre public, en s’inspirant du principe d’actualité du droit international privé (Civ. 1re, 23 nov. 1976, Marret ; v. H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, LGDJ, 1993, n° 364, p. 585), elle devrait également s’apprécier au jour où la décision est rendue. Dans ces conditions, il deviendrait inutile de sanctionner un contrat de courtage matrimonial qui au jour de la décision ne contredirait plus ni l’ordre public ni les bonnes mœurs ! Finalement, par ce raisonnement, ce n’est pas de « libéralisme néo-gauchiste » dont fait preuve, par cet arrêt, la Cour de cassation mais simplement de pragmatisme. Lorsqu’il est question d’ordre public et de bonnes mœurs, ce n’est pas l’intention qui compte….
Références
[Droit civil]
« Profession qui consiste pour celui qui l’exerce à mettre en rapport certaines personnes, moyennant une rémunération, afin de faciliter leur mariage. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Civ. 1re, 4 nov. 2011, n°10-20.114, FS-P+B+I, Dalloz Actu Étudiant 28 nov. 2011.
■ Dijon, 1re ch., 2e sect., 22 mars 1996, RTD civ. 1996. 880, obs. J. Hauser.
■ Paris, 1er déc. 1999, RTD civ. 2000. 296, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 3 févr. 1999, n°96-11.946.
■ Ass. plén. 29 oct. 2004, n° 03-11.238, Bull. Ass. plén., n° 12.
■ Paris, 13 févr. 1986, Gaz. Pal. 1986. 1. Jur. 216.
■ Civ. 1re, 18 mai 2005, n° 04-13.745, Bull. civ. I, n° 213 ; AJ fam. 2005. 403, obs. S. David.
■ Civ. 1re, 23 nov. 1976, Marret, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd., Dalloz, 2006, n° 57.
■ Code civil
Article 212, modifié par la loi n°2006-399 du 4 avril 2006
« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »
■ Article 6, L. n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l'information et à la protection des consommateurs ainsi qu'à diverses pratiques commerciales, D. 1989. 211.
« I. - L'offre de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, proposée par un professionnel, doit faire l'objet d'un contrat écrit, rédigé en caractères lisibles, dont un exemplaire est remis au cocontractant du professionnel au moment de sa conclusion.
Le contrat doit mentionner sous peine de nullité, le nom du professionnel, son adresse ou celle de son siège social, la nature des prestations fournies, ainsi que le montant et les modalités de paiement du prix. Est annexée au contrat l'indication des qualités de la personne recherchée par le cocontractant du professionnel.
Ces contrats sont établis pour une durée déterminée, qui ne peut être supérieure à un an ; ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction. Ils prévoient une faculté de résiliation pour motif légitime au profit des deux parties.
II. - Dans un délai de sept jours à compter de la signature du contrat, le cocontractant du professionnel visé au paragraphe I peut revenir sur son engagement, sans être tenu au paiement d'une indemnité.
Avant l'expiration de ce délai, il ne peut être reçu de paiement ou de dépôt sous quelque forme que ce soit.
III. - Toute annonce personnalisée diffusée par l'intermédiaire d'un professionnel pour proposer des rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable doit comporter son nom, son adresse, ou celle de son siège social, ainsi que son numéro de téléphone. Lorsque plusieurs annonces sont diffusées par le même professionnel, son adresse peut ne figurer qu'une seule fois, à condition d'être parfaitement apparente.
Chaque annonce précise le sexe, l'âge, la situation familiale, le secteur d'activité professionnelle et la région de résidence de la personne concernée, ainsi que les qualités de la personne recherchée par elle.
Le professionnel doit pouvoir justifier de l'existence d'un accord de la personne présentée par l'annonce sur le contenu et la diffusion de celle-ci.
IV. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article, notamment les modalités de restitution des sommes versées en cas de résiliation du contrat.
V. - Sera puni des peines des articles 313-1 à 313-3 du code pénal, le professionnel qui, sous prétexte d'une présentation de candidats au mariage ou à une union stable, aura mis en présence ou fait communiquer des personnes dont l'une est rémunérée par elle, ou se trouve placée, directement ou indirectement, sous son autorité, ou n'a pas effectué de demande en vue du mariage ou d'une union stable. Sera puni des mêmes peines, le professionnel qui promet d'organiser des rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable avec une personne fictive. »
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