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Le billet

[ 21 janvier 2019 ] Imprimer

Contribution d’un juriste administrativiste au « grand débat »

Le Président de la République l’a dit, il faut que les contributions au « grand débat » soient les plus nombreuses possibles, il ne faut pas qu’il y ait de tabou parmi les sujets offerts à ce débat et puisque dans ces sujets figure la question de la réforme des services publics, et plus largement la question de la réforme de l’État alors, usant de la tribune que m’offre aimablement Dalloz Actu Étudiant, j’en profite pour apporter ma pierre à l’édifice car oui, les administrativistes ont sans doute quelque chose à dire sur la manière dont fonctionne l’État et le droit qui détermine les conditions de ce fonctionnement. Et puisqu’il n’y a pas de tabou, reprenant le vieux slogan de mai 68, soyons réalistes et demandons donc l’impossible. L’impossible en droit administratif français qu’est-ce que c’est ?

Vous allez me dire, l’impossible c’est de mettre fin au mille-feuille territorial qui fait que si vous habitez en région parisienne vous aurez sur un même territoire six niveaux d’administration (pour mémoire : commune, établissement public territorial, Département, Métropole du Grand Paris, Région, État…). Oui c’est vrai, je dois le reconnaître avec vous, y mettre fin à cet empilement paraît aussi impossible. Mais je pense à autre chose.

Les esprits les plus madrés vont alors songer, « Non quand même, il n’envisage de proposer de supprimer le dualisme du Conseil d’État pour nous doter de deux organes bien distincts, d’un côté un conseil pour le Gouvernement et d’un autre côté une cour suprême administrative » ? Oui, c’est vrai, cela aussi est sans doute impossible, mais ce n’est toujours pas à cela que je pense. En réalité je pense à quelque que chose de tout aussi difficile mais de beaucoup plus concret, quelque chose qui relève de notre vie de tous les jours.

Alors voilà. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais notre droit administratif éprouve une appétence certaine pour la création de régimes juridiques fondés sur une autorisation administrative. Combien existe-t-il de régimes de cette nature ? Le décompte est impossible à tenir tant la tâche est immense. Mais on peut en avoir une illustration par l’absurde : examinez l’ensemble des décrets qui en 2014 et 2015 ont posé des dérogations à la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut acceptation (Vous pouvez consulter cette liste ici) et vous constaterez que l’on compte quarante-cinq décrets de cette nature. En les examinant ensuite un à un vous verrez qu’ils contiennent des listes d’exceptions avec parfois des dizaines de lignes, et même parfois des centaines (par exemple, le décret n° 2014-1273 en énumère, d’après mon décompte, 230 !). Si l’on additionne tous ces décrets, il est vraisemblable que la liste des exceptions à ce principe dépasse le millier de régimes d’autorisations ou de dispositifs assimilés. S’il y a plus de 1000 exceptions, on peut imaginer que le nombre global de régimes d’autorisation s’élève un nombre encore bien plus élevé. Est-il de 5000, de 10 000 ? Encore une fois nul ne le sait car la tâche de les compter est bien trop grande. Mais en tous les cas, une chose est certaine c’est un nombre excessif et qui témoigne bien de ces excès de la bureaucratie française.

Ma contribution au grand débat est alors très simple elle consiste à proposer de supprimer 1000 régimes d’autorisation. J’ai bien dit supprimer, pas les remplacer par quelque chose d’autre. Et je voudrais prendre un exemple dans un domaine qui m’est familier, qui est celui du droit de l’urbanisme. Voilà un domaine dans lequel les autorisations sont abondantes, débordantes même sans doute. Et bien je pense que l’on pourrait supprimer la quasi-totalité de ces autorisations et notamment la plus emblématique d’entre elles le permis de construire.

Quoi, me direz-vous, supprimer le permis de construire, mais vous n’y pensez pas cela va être l’anarchie urbanistique la plus absolue !

Que nenni : le permis de construire a été généralisé dans la première moitié du XXe siècle à une époque où les normes d’urbanisme étaient relativement imprécises et où l’autorité administrative disposaient d’un fort pouvoir d’appréciation pour déterminer ce qui devait être autorisé ou ce qui devait être refusé. Aujourd’hui, observez un plan local d’urbanisme et vous constaterez qu’il entre dans un luxe de détails infinis pour les règles de densité, d’implantation, de destination des constructions. Alors pourquoi tout simplement ne pas laisser aux pétitionnaires et à leurs architectes le soin d’appliquer ces règles et de construire en fonction de celles-ci. Sous leur responsabilité, naturellement, et si les méconnaissent ils seront sanctionnés renouant ainsi avec le vieux principe qui gouverne nos libertés publiques : un régime répressif plutôt qu’un régime préventif fondé sur l’autorisation administrative préalable. Il y aurait sans doute des dérives, il y aurait sans doute quelques affaires scandaleuses. Mais il n’est pas certain qu’elle serait beaucoup plus nombreuses que celles qui existent aujourd’hui, de toutes ces constructions réalisées sans permis ou de manière non conforme au permis délivré et dont nos médias préférés ne nous rendent compte que lorsqu’elle concerne telle vedette du cinéma ou de la télévision. En contrepartie de ces risques somme toute minimes se sont des centaines de milliers d’autorisations qui ne seraient plus délivrées chaque année pour des coûts aussi bien à la charge de l’administration que les pétitionnaires qui dépassent de toute évidence le milliard d’euros annuels.

Et plus largement, ce qui est possible en droit de l’urbanisme l’est aussi dans bien d’autres domaines. Remplacer des régimes d’autorisations administratives par des mécanismes d’auto-contrôle ou l’intervention de personnes privées compétentes en matière de qualité simplifierait grandement la vie des entreprises et plus largement celles de tous les habitants.

Alors, Impossible ? L’avenir nous le dira…

 

Auteur :Frédéric Rolin


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