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[ 18 octobre 2021 ] Imprimer

Conventions collectives : retour en grâce de la branche ?

Un arrêt du Conseil d'État du 7 octobre dernier (n° 433053), en apparence très technique, tranche une question théorique et pratique essentielle du droit du travail : celle de l'articulation des sources du droit en matière salariale. Celle-ci provient traditionnellement de la combinaison entre différentes sources (contrat de travail, accord collectif d'entreprise et de branche), selon la règle dite de faveur, qui garantit l'application de la règle la plus favorable. 

L'ordonnance dite « Macron » du 22 septembre 2017 avait entendu donner plus de liberté aux entreprises, en conférant à l'accord à ce niveau une portée jamais atteinte. Il peut, sur la plupart des thèmes, déroger aux accords de branche, sauf sur un certain nombre de thèmes sur lesquels la branche conserve une autorité, notamment sur les salaires minima définis pour chaque catégorie professionnelle. Même sur ce terrain, la loi conçoit de façon étroite le pouvoir de la branche : l'article L. 2253-3 du Code du travail lui laisse le pouvoir d'imposer uniquement ses « salaires minima ». Le salaire étant traditionnellement entendu de façon étroite, comme la seule rémunération octroyée en contrepartie du travail, la branche semblait ainsi incapable d'imposer ses choix sur les autres éléments de la rémunération, par exemple les primes destinées à rétribuer la productivité. L'administration du travail avait rendu une interprétation particulièrement orthodoxe (si ce n'est servile) du texte, en refusant l'extension d'un article de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, qui avait prévu que la convention de branche s'appliquait, au-delà du salaire minimum hiérarchique, à la rémunération effectivement perçue, quelle qu'en soit la qualification, ce qui permettait de déterminer un minimum mensuel de rémunération auquel les entreprises ne peuvent déroger en jouant sur la qualification des différents éléments qui constituent celle-ci. 

Saisi par différents syndicats, le Conseil d'État annule pour erreur de droit le refus d'étendre ces dispositions. Il estime que ni l'ordonnance si les travaux préparatoires du texte ne se réfèrent à une autorité de l'accord de branche limitée au salaire de base, et que le texte ne saurait dès lors faire obstacle à ce qu'il prenne en considération les différentes modalités de la rémunération appréhendant, quelle qu'en soit la structure, la rémunération effectivement perçue. 

L'arrêt sera appelé à recevoir un très large écho. Les ordonnances du 22 septembre 2017 avaient semblé amorcer un déclin irrémédiable de la branche comme niveau de négociation, en la privant de ses principaux instruments d'influence sur la détermination des salaires en entreprise. L'arrêt du Conseil d'État, en relativisant la portée du texte, met un frein à une telle évolution. S'il est indéniable que les branches ont été affaiblies par les réformes récentes, elles conservent, en matière de rémunération, un rôle essentiel. C'est ainsi autant sur un plan symbolique que pratique que cette décision est appelée à faire date. L'ordonnance était marquée par une perception univoque : hors de l'entreprise, imaginée comme le seul agent économique à même de déterminer le contenu des règles applicables, il n'y aurait plus eu de place pour une régulation de l'activité économique. Le raisonnement du Conseil d'État prend appui non seulement sur la lettre du texte -qui n'exclut en rien la prise en compte des salaires effectifs- mais aussi sur le rôle que le Code du travail confie à la branche. Selon l'article L. 2232-5-1 du Code du travail, elle a pour mission de définir les garanties applicables, et de réguler la concurrence entre les entreprises. Une telle mission ne pourrait être atteinte sans que la branche reçoive la possibilité d'appréhender de façon très concrète la rémunération perçue par les salariés, à tout le moins, qu'elle laisse aux partenaires sociaux la possibilité de s'en saisir. 

Face à l'augmentation du coût de la vie, les questions salariales s'affirment comme une préoccupation majeure des français. La décision du Conseil d'État contient plus qu'une leçon de lecture des textes juridiques. Les juges ont sans doute senti que l'évolution du contexte économique et social appelle à rechercher, au-delà de la rude contrainte concurrentielle subie par les entreprises, une source de régulation qui permette un minimum de solidarité et de prise en compte des besoins des salariés. La branche est le niveau pertinent d'une telle intervention : sans ignorer les contraintes de la pression internationale, les partenaires sociaux peuvent choisir de limiter la concurrence sur les couts salariaux entre les entreprises : le moment était opportun pour rappeler qu'une saine concurrence ne saurait se passer de la quête d'outils empêchant des formes de compétition destructrices. 

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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