Actualité > Le billet
Le billet
Crise en Nouvelle-Calédonie : sur la légalité des détentions subies dans l’Hexagone
Le 22 octobre dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur la légalité des détentions provisoires subies dans l’Hexagone par plusieurs membres de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), dont son leader Christian Tein, soupçonné d’avoir organisé les graves exactions du mois de mai. La chambre criminelle a cassé et annulé l’arrêt de la chambre de l’instruction, mais sans que la validité du mandat de dépôt n’en soit affectée.
S’il est sans doute exagéré de considérer que la montagne a accouché d’une souris (pour l’excès inverse, v. par exemple, « La décision d’incarcérer dans des prisons de la métropole deux militants kanaks a été annulée par la Cour de cassation », Libération, 22 oct. 2024), il n’en demeure pas moins que la souris a bien failli ne pas naître, et qu’elle doit son existence à une erreur – gravement préjudiciable aux droits de la défense, on y reviendra – commise dans l’envoi d’un courriel aux avocats de deux des mis en examen actuellement détenus en métropole (Christian Tein à Mulhouse et Steve Unë à Blois).
Quelques éléments de contexte sont sans doute nécessaires pour celles et ceux pour qui ce dossier est très lointain (il l’est géographiquement de l’Hexagone et il l’est médiatiquement). Ainsi dès le 17 mai 2024, soit trois jours seulement après le début de ce qui peut être qualifié de crise insurrectionnelle, une enquête préliminaire a été diligentée portant sur des faits de vols avec arme et en bande organisée, de destructions de biens par incendie en bande organisée, de complicité par instigation des crimes de meurtre et tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique et de participation à un groupement formé en vue de la préparation d’actes de violences sur les personnes et de destructions de biens. Les investigations ont conduit, le 19 juin, à l’interpellation et au placement en garde à vue de onze commanditaires présumés, membres de la CCAT, cellule rattachée au parti politique indépendantiste de l’Union calédonienne. Le 22 juin, tous furent mis en examen. Sept furent alors placés en détention provisoire et transférés vers la métropole, deux incarcérés à Nouméa, les deux derniers placés sous contrôle judiciaire. Le 5 juillet, la chambre de l’instruction confirma les ordonnances du juge des libertés et de la détention (JLD), estimant notamment que le retour des suspects envoyés en métropole serait de nature à créer de graves troubles à l’ordre public (v. « Nouvelle Calédonie : ce qui est reproché à Christian Tein, chef indépendantiste incarcéré en France métropolitaine », Le Monde, 10 juill. 2024).
Une remarque et un avertissement s’imposent avant d’examiner le pourvoi et la réponse apportée par la Cour de cassation.
La remarque, d’abord, concerne la nature des faits poursuivis : le parquet de Nouméa a estimé que les faits, qui « relèvent d’un mouvement insurrectionnel, sur fond de radicalisation identitaire » (v. interview du procureur de la République Yves Dupas, « Saint Louis, Azerbaïdjan, Ataï : retour sur une activité judiciaire hors normes depuis les émeutes en Nouvelle-Calédonie », Nouvelle-Calédonie la 1er, 5 sept. 2024), constituent des infractions de droit commun commises en bande organisée, et non des infractions terroristes (comme on l’entend pourtant encore de la bouche de certains responsables politiques locaux). Pour rappel, certaines infractions de droit commun, dont la liste est prévue par l’article 421-1 du Code pénal (et qui inclut notamment les atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité physique, ainsi que les vols, les destructions, dégradations et détériorations), deviennent terroristes « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce terrorisme « dérivé » (par opposition au terrorisme autonome, spécialement incriminé tel que le terrorisme écologique ou biologique ou encore l’association de malfaiteurs terroriste) suppose ainsi la caractérisation d’un mobile spécifique (intégré à la définition légale) faisant ici défaut.
L’avertissement, ensuite, concerne la très haute sensibilité du dossier : à l’instar du refus du parquet général de dépayser le dossier, l’exécution de plusieurs détentions provisoires en métropole demeure très controversée devant l’atteinte qui est nécessairement portée aux droits au respect de la vie privée et familiale et à l’assistance d’un défenseur notamment. D’un autre côté, il faut rappeler qu’au 22 juin, la situation (qui a entrainé une déclaration d’état d’urgence puis le maintien d’une série de mesures qui pour certaines – notamment le couvre-feu – sont toujours en vigueur à l’heure actuelle) était très loin d’être apaisée et l’ordre rétabli, outre que le centre pénitentiaire de Nouméa, déjà surpeuplé, se trouvait sous très haute tension, après deux mutineries subies sur la semaine du 13 mai ayant causé la destruction de près de 70 cellules. La contestation des mesures d’éloignement, qui ne sont pas sans rappeler l’histoire coloniale de l’archipel, s’accompagne parfois de l’emploi de l’expression de « prisonniers politiques » (« statut » revendiqué par Christian Tein lui-même ; v. « Nouvelle-Calédonie : "Je suis un prisonnier politique", clame le leader kanak Christian Tein après son incarcération à Mulhouse, Le Monde, 3 juill. 2024). Au regard du droit pénal français – et on s’en tiendra au droit de source nationale – les faits poursuivis constituent bien des infractions de droit commun et non des infractions politiques, la jurisprudence française s’attachant à l’objet politique de l’infraction pour la qualifier de politique – est politique l’infraction qui porte atteinte à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics – et non au but politique poursuivi par son auteur (Crim. 20 août 1932, aff. Gorguloff).
C’est dans ce contexte très particulier que la Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer. Par son arrêt, elle conclut à l’irrégularité de la procédure observée devant la chambre de l’instruction, tout en confirmant cependant l’ordonnance du JLD sur le placement en détention. L’analyse de sa décision nous conduit à retenir trois points.
Tout d’abord, l’absence de communication du lieu d’exécution de la mesure n’est pas une cause de nullité du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire. A cet égard, le moyen invoquait une déloyauté et faisait valoir que l’information tenant au lieu d’exécution de la mesure en métropole était de nature à jouer dans l’élaboration de la défense devant le JLD. Il reprochait encore à la chambre de l’instruction de ne pas avoir répondu au grief tiré d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Sur la première branche, la chambre criminelle retient qu’« il ne résulte d'aucune disposition du code de procédure pénale que le juge des libertés et de la détention doive informer la personne mise en examen du lieu de détention où elle pourrait être incarcérée si elle était placée en détention provisoire » et en conclut que « l'absence de débat contradictoire sur cette information ne constitue pas la violation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale ni ne porte atteinte aux droits de la défense au cours dudit débat ». Là où la loi distingue il faut donc distinguer : seul le principe du placement en détention provisoire est soumis au débat contradictoire (de l’article 145 du C. pr. pén.), et non le choix du lieu d’exécution de la mesure (qui relève d’autres dispositions, celles de l’article 145-4-2 du C. pr. pén. qui permettent au détenu de contester, auprès du président de la chambre de l’instruction, les modalités d’exécution de sa détention).
Sur la seconde branche, la Cour de cassation déplore certes l’absence de réponse de la chambre de l’instruction à la violation alléguée de l’article 8, mais elle estime que « l’arrêt n’encourt cependant pas la censure dès lors qu’il n’est pas établi ni même allégué que, à ce stade de sa détention, le demandeur ait formulé auprès du magistrat instructeur une demande de changement d’établissement pénitentiaire ».
Ensuite, la voie de recours offerte par l’article 803-8 du Code de procédure pénale est inopérante dans le cadre du contentieux de la légalité et du bien-fondé de la détention provisoire. La défense entendait ici dénoncer les conditions matérielles du transfèrement opéré vers la métropole, indiquant que le port de menottes et d’entraves avait été imposé pendant tout le trajet, de plus de 24h, vers la métropole. Elle soutenait en outre que cet « exil forcé » vers la métropole allait nécessairement nourrir des troubles psychologiques au cours de la détention. Sur la première branche, la Cour de cassation confirme que les conditions du transfèrement n’avaient pas à être examinées par la chambre de l’instruction, opposant la règle de l’unique objet de l’appel (limité ici à la légalité du placement). Sur la seconde, elle rappelle que le recours préventif de l’article 803-8 du Code de procédure pénale en cas d’indignité des conditions de détention constitue « une voie de recours spécifique [qui] exclut dès lors une demande formée dans le cadre du contentieux de la légalité de la détention provisoire ». C’est donc le JLD que le détenu devrait saisir de ses éventuelles conditions indignes de détention …
Enfin, parce que la personne mise en examen qui comparaît par visioconférence à l'audience de la chambre de l'instruction statuant en matière de détention provisoire doit pouvoir s'entretenir avec son avocat au préalable et confidentiellement par ce même moyen de communication quand ce dernier se trouve auprès de la juridiction, l'irrégularité résultant de l'annonce d’un possible enregistrement de cet entretien fait, à elle seule, nécessairement grief à la personne concernée. C’est sur ce point qu’intervient la censure de la Cour de cassation, qui est pleinement justifiée et fondée sur l’article 6, § 3, b, de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit à tout accusé en matière pénale au sens de l’article 6 relatif au droit à un procès équitable, le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. La chambre de l’instruction, invoquant une erreur (excusable selon elle) de manipulation, avait argué que l’enregistrement n’avait pas été écouté. Mais pour la chambre criminelle, la seule annonce d’un possible enregistrement « affecte irrévocablement les droits de la défense en touchant à la liberté des échanges entre [l’accusé] et son avocat, peu important que l'enregistrement n'ait pas été écouté ni même effectivement réalisé ». Il s’agit d’une cause de nullité dont le grief est présumé tant l’atteinte est grave à l’exercice effectif des droits de la défense.
Le diable se niche dans les détails, on le sait. Et ces détails ont ici éclipsé tous les arguments mis en avant depuis les transfèrements. La chambre de l’instruction de Nouméa, autrement composée devra, de nouveau, apprécier la légalité des détentions en métropole dans les deux dossiers.
Autres Billets
-
[ 12 novembre 2024 ]
Le principe de neutralité du service public face aux collaborations avec des universités israéliennes dans le contexte de la guerre de Gaza et du Liban
-
[ 4 novembre 2024 ]
PLFSS 2025 : l’avenir des droits sociaux en débats
-
[ 21 octobre 2024 ]
Vingt ans déjà, une intégration réussie ?
-
[ 14 octobre 2024 ]
Implants cérébraux : pour une consécration de neuro-droits
-
[ 7 octobre 2024 ]
3,2 billions d’euros de dette publique…
- >> Tous les Billets