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Le billet
Dans l’attente du projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016
À l’heure où ces lignes sont écrites, le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations n’avait toujours pas fait l’objet d’un dépôt auprès de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
Chacun sait, pourtant, que le dépôt de ce projet de loi est une exigence constitutionnelle. Si d’aventure il n’était pas effectué dans les six mois de la publication de l’ordonnance, celle-ci serait caduque.
Personne ne peut sérieusement imaginer ce cas de figure.
Il n’en reste pas moins que l’approche de la date fatidique fait courir certaines rumeurs. Il se dit en effet que la Chancellerie envisagerait de demander, non pas une ratification en l’état, mais avec des modifications.
Une modification, au moins, est attendue : l’article 1327-1 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, qui traite de la cession de dette, contient une coquille. Il énonce en effet que « Le créancier, s'il a par avance donné son accord à la cession ou n'y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s'en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu'il en a pris acte ».
Le législateur s’est trompé de conjonction de coordination. Ce n’est pas « ou » qu’il fallait employer mais « et ». Lorsque le créancier a donné par avance son accord à la cession de dette, dans le contrat à l’origine de la dette, et qu’il n’est pas intervenu dans l’acte de cession ultérieure, il ne peut se la voir opposée que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu’il en a pris acte.
D’autres demandes de modifications, qui toucheraient par exemple au rôle du juge en matière d’imprévision, seraient à l’examen. Le système de l’ordonnance est en effet incohérent. Le juge, confronté à un prix abusif fixé unilatéralement par l’une des parties, ne peut pas le réviser, mais doit octroyer une indemnité à la victime (C. civ., art. 1164 et 1165). Au contraire, face à un contrat gravement déséquilibré par la survenance d’une circonstance imprévisible au jour de l’échange des consentements, le juge peut, in fine, à la demande d’une seule partie, réviser le contrat et, en particulier, modifier le prix (C. civ., art. 1195).
Pourquoi le juge pourrait-il, d’un côté, agir directement sur la norme contractuelle pour la corriger alors que, de l’autre, il devrait se contenter de prendre acte de son imperfection et de compenser ses effets néfastes ? Était-il si compliqué de coordonner les solutions en autorisant, dans chaque hypothèse, la révision ou, au contraire, en ne donnant au juge que le pouvoir d’indemniser la victime ?
Sans doute pourrait-on dire qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Pourtant, on peut être quelque peu lassé de ces « tripatouillages », effectués en toute opacité. Déjà, entre le projet d’ordonnance de 2015 et la version publiée de nombreuses modifications ont été effectuées sans que toutes, loin s’en faut, n’émanent de contributions rendues publiques. Toutes les modifications n’ont ainsi pas été heureuses. S’agissant toujours des pouvoirs du juge, on se rappellera par exemple que, dans le projet de 2015, le juge pouvait réviser le prix abusif, mais non le contrat en cas d’imprévision. L’incohérence était donc la même que celle qui figure dans l’ordonnance publiée, mais inversée…
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement et le Parlement feraient mieux de faire preuve de retenue ou de se hâter. En effet, si d’aventure la loi de ratification comportait des modifications et était adoptée après le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, il faudrait alors distinguer les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, soumis au droit actuel, les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et la date d’entrée en vigueur des modifications, soumis à l’ordonnance dans son état initial et les contrats conclus après l’entrée en vigueur des modifications, soumis à l’ordonnance modifiée…
Pour éviter cette conséquence désastreuse du point de vue de la sécurité juridique, il se dit que la ratification et son lot de modifications pourraient commencer à être examinés lors de la session parlementaire extraordinaire de juillet. Qui vivra verra...
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