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Le billet

[ 4 février 2013 ] Imprimer

De la majorité sexuelle homosexuelle

Il y a peu de temps un généticien s’est attiré les foudres d’Internet. Il a été accusé par la blogosphère de chercher à cloner un homme de Neandertal… Ce n’était évidemment pas vrai, l’erreur provenant d’une mauvaise traduction en anglais d’une interview qu’il avait donnée à un grand quotidien allemand. Le scientifique mis en cause déplora alors le manque de culture scientifique ambiant qui avait pu permettre la propagation de cette fausse information.

Il en va cependant de la culture scientifique comme de la culture juridique… Il y a quelques jours, l’auteur de ces lignes était affalé dans son canapé, un œil sur sa télévision, un autre sur sa tablette numérique, et le troisième sur un infans irrésistiblement attiré par la magnificence d’une prise électrique. C’est alors, qu’à la télévision, une « voix off », sur un ton sentencieux, énonça que le Code Napoléon de 1804 avait introduit en droit positif une discrimination entre les hétérosexuels et les homosexuels en fixant la majorité sexuelle des premiers à quinze ans, et celle des seconds à dix-huit ans.

Bigre, diantre, fichtre ! Se demandant s’il était victime d’une hallucination auditive provoquée par un excès de débats sur le mariage pour tous, le présent signataire tapa les mots clefs suivants sur sa tablette « majorité sexuelle homosexuelle Code Napoléon », et eut la surprise d’obtenir la « confirmation » de cette hallucination.

Sur nombre de pages Internet, y compris celle d’Amnesty International, est reprise en substance « l’information suivante » :

« Napoléon Bonaparte alors Premier Consul de la République française, qui avait seul l'initiative des lois, charge le 13 août 1800 une commission de quatre membres (Tronchet, Bigot de Preameneu, Portalis et Maleville) de préparer un projet de code. Le code civil du 21 mars 1804 ou "Code Napoléon", inscrit la majorité sexuelle comme source de discrimination : elle est fixée à 15 ans pour les hétérosexuels et à 18 pour les homosexuels ».

Navré de son ignorance, le présent signataire se précipite alors sur son édition originale du Code civil, et le parcourt fébrilement ! Évidemment, nulle trace de la majorité sexuelle en question… Mise à part une confusion, assez grossière, avec l’âge requis pour se marier, fixé à l’époque à quinze ans pour les femmes (dix-huit depuis la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006), et dix-huit ans pour les hommes, on se demande bien d’où peut provenir cette erreur.

Tel Robert Langdon à la recherche du « Da vinci Code », l’auteur de ce maigre billet entreprend alors de rechercher si cette discrimination a bel et bien existé. Si celle-ci ne figure pas dans le Code civil de 1804, peut-être avait-elle été inscrite dans le Code pénal de 1810 ? La consultation de l’édition originale de ce dernier sur le site « ledroitcriminel.free.fr » ne donnera pourtant aucun résultat. L’article 331 du Code pénal de 1810 énonce en effet que « quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion ».

En 1810, point de distinction en fonction des sexes.

Une loi du 28 avril 1832 distinguera ensuite l’attentat à la pudeur commis avec violence sur un individu de l’un ou l’autre sexe, sanctionné sans condition d’âge, et l’attentat à la pudeur commis sans violence sur un enfant de l’un ou l’autre sexe, sanctionné dés lors que l’infraction est commise sur un mineur de onze ans.

L’âge passera ensuite de onze à treize ans à l’occasion d’une loi du 13 mai 1863. Un commentateur salua cette modification au motif qu’il « était évidemment regrettable que les enfants de onze à treize ans ne fussent pas aussi protégés par la loi. À cette époque de la vie, le consentement ne saurait être éclairé. Il y a toujours violence, sinon matérielle, au moins morale, de la part du misérable qui commet l’attentat ».

Autrement dit, à treize ans, un enfant pouvait consentir à des relations sexuelles, sans que soit différenciée la nature des relations, homosexuelles ou hétérosexuelles, et son partenaire n’encourait pas de sanction pénale.

Reste que la discrimination entre homosexuel et hétérosexuel, s’agissant de la majorité sexuelle, a bel et bien existé puisqu’elle a été instaurée par le régime de Vichy. Un acte dit « loi » du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du Code pénal réprima en effet « les actes impudiques ou contre nature [commis] avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans ». Commettait donc une infraction celui qui avait des rapports sexuels avec un mineur de vingt-un ans du même sexe, ou avec un mineur de treize ans de l’autre sexe.

Contrairement à de nombreux autres, cet acte dit « loi » n’a pas été supprimé lors de la libération au motif que « cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appelé aucune critique ». L’infraction a simplement été déplacée de l’article 334 de l’ancien Code pénal vers l’article 331 dont elle constituait un nouvel alinéa 3.

Ultérieurement, par une ordonnance du 2 juillet 1945, la majorité sexuelle hétérosexuelle passa à quinze ans, tandis que la majorité homosexuelle fut réduite de vingt et un ans à dix-huit ans en 1974, lors de l’abaissement de l’âge de la majorité civile.

Il fallut donc attendre quarante ans, et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, pour qu’une loi du 4 août 1982 fasse cesser cette discrimination, la droite ayant reculé à plusieurs reprises devant « l’obstacle », et s’étant opposée à la dépénalisation au Sénat.

Nous terminerons donc avec les mots de celui qui est, et restera l’une des figures les plus marquantes de la cinquième République, Robert Badinter, mots prononcés à l’occasion du vote de la loi de 1982 par l’Assemblée nationale :

« L'Assemblée sait quel type de société, toujours marquée par l'arbitraire, l'intolérance, le fanatisme ou le racisme a constamment pratiqué la chasse à l'homosexualité. Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d'un grand pays de liberté comme le nôtre. Il n'est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines. La discrimination, la flétrissure qu'implique à leur égard l'existence d'une infraction particulière d'homosexualité les atteint — nous atteint tous — à travers une loi qui exprime l'idéologie, la pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire. Le moment est venu, pour l'Assemblée, d'en finir avec ces discriminations comme avec toutes les autres qui subsistent encore dans notre société, car elles sont indignes de la France ».

Note de l’auteur : « toute ressemblance avec un débat actuel à l’Assemblée nationale serait purement fortuite ».

Références

http://www.amnesty.fr/sites/default/files/fiche%20LGBT.pdf

Code pénal de 1810 dans son édition originale : http://ledroitcriminel.free.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_de_1810.htm

■ Loi du 28 avril 1832, relative aux modifications apportées au Code pénal et au Code d’instruction criminelle, Moniteur Universel, jeudi 3 mai 1832, n° 124, p. 1153 ; http://theses.univ-lyon3.fr/documents/getpart.php?id=lyon3.2009.arbey_p&part=268390

Loi du 13 mai 1863 portant modification de plusieurs articles du code pénal, JORF du 20 août 1944 page 418.

■ A. Pellerin, Commentaire de la loi des 18 avril – 13 mai 1863, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61324646/f8.image

Loi du 6 août 1942 modifiant l'art. 334 du code pénal concernant les peines encourues par l'auteur d'incitation a la débauche, de corruption d'un mineur de moins de 21 ans, JORF du 27 août 1942 page 2922.

B. Durand, J.-P. Le Crom, A. Somma (dir.), Le droit sous vichy, Frankfurt am Main : V. Klostermann, 2006, spé. n° 471 ; partiellement disponible sur Gallica : http://books.google.fr/books?id=Cj_IJByev0QC&pg=PA471&lpg=PA471&dq=cette+r%C3%A9forme+inspir%C3%A9e+par+le+souci+de+pr%C3%A9venir+la+corruption+des+mineurs,+ne+saurait,+en+son+principe,+appel%C3%A9+aucune+critique&source=bl&ots=t7_fKr9c1m&sig=1NOSF_S_ttPkAxny73dqDyG6cAg&hl=fr&sa=X&ei=nq0LUf7POOil0AXmtYBI&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q=cette%20r%C3%A9forme%20inspir%C3%A9e%20par%20le%20souci%20de%20pr%C3%A9venir%20la%20corruption%20des%20mineurs%2C%20ne%20saurait%2C%20en%20son%20principe%2C%20appel%C3%A9%20aucune%20critique&f=false

Ordonnance n° 45-190 du 8 février 1945 complète l'art. 331 du code pénal par un al. 3 concernant la corruption des mineurs de moins de 21 ans punie d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 200 a 50000 frs, JORF du 9 février 1945 page 650.

Ordonnance n° 45-1456 du 2 juillet 1945 abroge et remplace l’art. 331 (al. 1 et 2) du code pénal, modifie par la loi du 13-05-1863, JORF du 3 juillet 1945 page 4010.

Loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogation de l'art. 331 (al. 2) du code pénal, conséquence, les actes impudiques ou contre nature commis avec un mineur du même sexe (homosexualité) ne seront plus punis de peines correctionnelles, JORF du 5 août 1982 page 2502 : http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=19820805&numTexte=&pageDebut=02502&pageFin

Discours de Robert Badinter : à écouter ici : http://www.youtube.com/watch?v=UpcYCgRp0Hg

 

Auteur :Mathias Latina


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