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De l’effet papillon au Luxembourg, ou comment un rapport sénatorial modérément audacieux pourrait contribuer à hâter la réforme de la responsabilité civile
Nul n’ose plus se hasarder aux pronostics sur la refonte du droit français des obligations : la réforme des dispositions du Code civil sur le contrat, maintes fois annoncée, semble marquer le pas, et mis à part quelques « happy few » dans le secret des dieux, peu pourront vous dire à quelle version du projet on doit aujourd’hui se fier. Quant à la responsabilité civile, pensez donc ! Il suffit de se souvenir que la Chancellerie n’envisageait de s’y atteler qu’après en avoir fini avec le contrat…
Quoi que… L’affaire n’est peut-être pas aussi simple : et si le tout était relancé justement, par le rapport d’information (rapport n° 558) rendu cet été par deux sénateurs au nom de la Commission des lois de cette Assemblée, sur la réforme de la responsabilité civile ?
Non pas, disons-le d’emblée, que les conclusions de ce rapport soient à ce point renversantes et stimulantes qu’on puisse y trouver les matériaux d’une réforme prête à l’emploi.
Quelques recommandations audacieuses certes, telles la consécration d’une action collective en responsabilité en cas de faute lucrative, et celle des dommages-intérêts punitifs, dans le même genre de situations, et moyennant une délimitation draconienne de leur domaine d’application.
Mais aussi bien des frilosités ( le refus de consacrer dans le Code civil la notion de « préjudice collectif », sur la base d’une motivation passablement confuse, la fin de non recevoir manifestée à l’égard de toute idée de responsabilité du fait d’autrui à raison de la dépendance économique) voire des réticences irraisonnées ( la répulsion pour une solution pourtant admise de longue date en jurisprudence, la présomption de causalité admise au bénéfice de la victime d’un dommage causé par un membre indéterminé d’un groupe de personnes), une bonne dose de classicisme (sur la distinction des responsabilités délictuelle et contractuelle, la responsabilité du fait des choses, etc.), une certaine prédilection pour les déclarations vertueuses mais dénuées de portée (ainsi du souci de bien articuler le droit commun et les régimes spéciaux) et une fâcheuse tendance à l’approximation (le sort à réserver au conducteur victime dans le droit des accidents de la circulation, évoqué au titre de la causalité…).
Reste, et c’est peut-être là qu’est l’essentiel, le rôle d’aiguillon que pourrait jouer ce rapport, en tant qu’il est censé créer les conditions du dépôt futur d’une proposition de loi. Le bruit court que la Chancellerie redoute par-dessus tout le scénario qui la verrait se faire prendre de vitesse, en matière de réforme du droit des obligations, par une initiative parlementaire.
Où il apparaît qu’un rapport parlementaire dont le contenu — toute révérence gardée pour les honorables sénateurs qui l’ont signé — ne casse pas quatre pattes à un canard pourrait tout de même, d’un bruissement de plume à peine plus audible au Luxembourg que le fameux battement d’aile du papillon, engendrer quelque effet juridique considérable du côté de la place Vendôme. Il n’est pas interdit de rêver…
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