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De l’humour en procès au procès en humour : peut-on rire de tout ?
Le lecteur assidu des chroniques judiciaires des plus grands quotidiens peut observer, depuis quelques années, une recrudescence des actions en justice engagées contre les humoristes. Le juriste curieux peut, également, remarquer que certains juges ne manquent pas d’humour lorsqu’ils entendent faire passer un message souvent inscrit entre les lignes de leur décision de justice. Se pose alors cette question qui remonte à la nuit des temps et qu’un sujet de baccalauréat avait pu remettre à l’honneur : peut-on rire de tout ? À cette question, Pierre Desproges répondait : oui « (…) mais pas avec n’importe qui » (P. Desproges). Cette réponse pleine d’esprit se confirme-t-elle à l’analyse ?
S’agissant du procès de l’humour, chaque humoriste a son propre style qui plaît à certains et déplaît à d’autres : le provocateur, le vulgaire, le cassant, le burlesque, l’engagé, l’intellectuel, le populaire. Tous sont différents mais réunis par un principe : la liberté d’expression. Que l’humoriste s’exprime par le biais de marionnettes, par un dessin, un sketch, une parodie, un édito ou une chronique, il use de sa liberté d’opinion et de sa liberté d’expression. Tant et si bien que lorsque les humoristes s’expriment, le droit veille à les protéger des actions intempestives engagées par ceux qui se sentent visés par leurs propos acides. Ainsi du jeu normal de l’article 1382 du Code civil, évincé et remplacé par l’exigence d’une faute caractérisée lorsqu’il est question d’une œuvre satirique (Ass. plén. 12 juill. 2000). La parodie de marques est aussi protégée, seule une atteinte disproportionnée constitutive d’un abus serait susceptible de venir limiter l’exercice d’une telle liberté (Civ. 2e civ., 19 oct. 2006). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 7 déc. 1976, Handyside c. Royaume-Uni) et les juridictions françaises consacrent ainsi un véritable droit à l’humour, et sont parfois relayées par certaines dispositions législatives (v. par ex. art. L. 122-5, 4° CPI). Le rire n’est pas offense, il est le symbole de la comédie humaine.
Or, ce droit à l’humour pourrait être aujourd’hui menacé par la multiplication des actions judiciaires engagées par des individus ayant une certaine notoriété ou par des associations se faisant un point d’honneur à défendre des Grandes causes ? Les propos des humoristes, bénéficiant de cette caisse de résonance que sont les médias en général et Internet en particulier, ne sont plus aujourd’hui à l’abri d’une assignation en justice. Il suffit de citer, de manière non exhaustive, les affaires Guillon, Zemmour, Timsit, pour ne prendre que les plus récentes. Souvent, heureusement, l’humoriste remporte son procès. Ainsi de la parodie de Tintin, validée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 février 2011. Depuis février 2012, c’est Christophe Alévêque, humoriste de la bande de Ruquier, qui est sous les feux des projecteurs. L’humoriste est poursuivi par Zinedine Zidane pour des propos vulgaires tenus lors de différentes émissions de radio et télévisées, propos par lesquels il dénonçait la dérive commerciale du joueur de football devenu, selon lui, un simple produit.
Indépendamment des cas particuliers où la haine l’emporte sur l’humour, cette dérive contentieuse est dangereuse. Elle constitue une menace pour la démocratie. L’humoriste est « un bouffon de la République ». Il est celui qui ose parler lorsque tout le monde se tait. Cela fut vrai en son temps de Molière et La Fontaine dont les propos enrobés d’humour étaient destinés à contester les abus du Clergé et ceux de la Cour du roi. D’ailleurs, dès qu’un État entend museler la liberté d’expression, ce sont les humoristes qui sont les premières victimes. Le rire est le propre de l’homme disait Aristote, dont les termes ont été repris par Rabelais. L’humoriste fait rire car il rit de l’humain et parfois de son manque d’humanité. Son discours touche en ce sens chacun d’entre nous. Susciter une réaction ou une gêne est le propre du rire. Le rire dédramatise, le rire est un exutoire, le rire est le dernier bastion de résistance lorsqu’une République appartient à une minorité d’esprits dogmatiques et bien pensants. Comme le disait Raymond Devos, « Le rire est une chose sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter ». Les motifs d’une décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 9 janvier 1992 doivent rester dans tous les esprits : le bouffon « remplit une fonction sociale éminente et salutaire qui s'exerce par principe, légitimement, au détriment des puissants, des personnages publics, de ceux dont on parle ou dont les idées sont connues [et] participe, à sa manière, à la défense des libertés ». Pour toutes ces raisons, il faut encourager l’humour de son prochain.
Le mal semble plus profond encore. De nos jours, le handicap de l’humour réside dans le fait qu’il est devenu une affaire bien rentable. L’humour est un business et l’humoriste parfois un homme d’affaires. Tout le monde connaît ce passage du blues du businessman de la comédie musicale Starmania de Luc Palandon : « J’ai perdu le sens de l’humour depuis que j’ai le sens des affaires ». Un homme d’affaires gère et doit plaire à sa clientèle. Cette pression du marché produit un effet pervers sur la fonction sociale de l’humoriste menacé par le plus grand des maux : l’autocensure.
Au-delà de la fonction sociale de l’humour, il peut être pour le juge un instrument thérapeutique et prophylactique des plus utiles. Face à la fièvre contentieuse de certains plaideurs dont la folie a parfaitement été décrite par Racine (J. Racine, Les plaideurs : comédie, 1re éd., 1668), le juge n’hésite pas à faire de l’humour. La fonction du procès est d’apaiser le conflit tout en faisant accepter la décision comme légitime. Un soupçon d’humour peut y contribuer. Quel étudiant n’a pas entendu parler de ce débiteur qui avait inscrit dans sa reconnaissance de dette qu’il rembourserait son créancier à la Saint Glinglin et qui s’est vu prendre à son propre jeu par le juge qui en déduisit que la Toussaint, étant le jour de tous les saints y compris de la Saint Glinglin, devait être considéré comme le terme convenu entre les parties (Civ. 1re, 19 janv. 1983) ? Cette démarche humoristique a récemment été observée par le président du tribunal de grande instance de Paris qui, en référé, a statué le 1er juin 2011 sur une action engagée par un couple de « Secret story 3 » qui se plaignait de la diffusion d’une vidéo filmant leurs ébats amoureux, vidéo qui semble-t-il aurait, en réalité, été monnayé par l’un d’eux. Le juge pour prendre ses distances avec le fond de l’affaire, qu’il considère manifestement comme ridicule, va y mettre les formes. Un extrait suffit à saisir le ton caustique du magistrat : « É. et L. sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de téléréalité intitulé par anti-phrase “ Secret Story ” (saison 3) où il n'y a ni secret ni histoire, mais cependant une observation des faits et gestes des jeunes gens qui y participent sous l'œil des caméras, où le téléspectateur finit par s'attacher aux créatures qu'il contemple, comme l'entomologiste à l'insecte, l'émission ne cessant que lorsque l'ennui l'emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse ». Grâce à l’humour, le magistrat aura fait passer le message et la célébrité de ce couple aura dépassé les frontières d’une presse people en gagnant les nobles pages, parfois moins drôles, de nos plus grandes revues juridiques. N’ont-ils pas, en ce sens, trouvé ce qu’ils étaient venus chercher : une plus grande notoriété ?
Finalement, s’il faut prendre le droit au sérieux, disait R. Dworkin, ce n’est pas sans un doigt d’humour. Le rire est un poumon de la République et de la démocratique et il ne faut pas hésiter parfois à « Châtier les mœurs en riant » (Castigat ridendo mores, Molière).
Références
■ P. Desproges, Les Réquisitoires du Tribunal des Flagrants Délires, Tome 1, Seuil-France-Inter, nov. 2003 : « Réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen, 28 septembre 1982 ».
■ Ass. plén. 12 juill. 2000, Bull. civ. n° 7, D. 2000. 463.
■ Civ. 2e, 19 oct. 2006, n°05-13.489, RLDC 2007. 35 et s., note M. Mekki.
■ CEDH 7 déc. 1976, Handyside c. Royaume-Uni, série A n° 24.
■ Paris 18 févr. 2011, n° 09/19272, SAS Arconsil c. Sté de droit belge Moulinsart SA.
■ TGI Paris, 17e ch., 9 janvier 1992, D. 1994. Somm. 195, obs. C. Bigot.
■ Civ. 1re, 19 janv. 1983, n°81-15.105.
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