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[ 20 janvier 2025 ] Imprimer

De l’importance de la précision des offres de reclassement en cas de licenciement pour motif économique

Le contexte économique peu dynamique que nous connaissons conduit à porter une attention renouvelée aux fermetures d’entreprise, aux plans de sauvegarde de l’emploi et aux licenciements pour motif économique en général, qui avaient été quelque peu mis au second plan depuis une dizaine d’années, au profit de discours d’inspiration plus économiques sur la flexibilité de l’emploi.

La Cour de cassation, dans ce contexte, rappelle dans un important arrêt du 8 janvier 2025 (Soc. 8 janv. 2025 n° 22-24.724), la responsabilité propre qui pèse sur les entreprises dans ces licenciements : l’obligation de reclassement, à laquelle le droit donne une place essentielle depuis le célèbre arrêt Expovit du 25 février 1992 (Soc. 25 févr. 1992, n° 89-41.634, Dr. Soc. 1992. 379). On se souviendra que le Code du travail prévoit que le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que si le reclassement ne peut être opéré dans l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient (L. 1233-4 C. Trav.). Pour s’acquitter de cette obligation, l’employeur doit proposer au salarié tout poste disponible pour ce reclassement, au moyen de la proposition d’offres de reclassement précises et écrites (même article). À défaut de respecter cette obligation, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse, sauf à prouver qu’aucun emploi n’est disponible à cet effet. 

La tentation des entreprises peut être de se débarrasser de cette obligation de reclassement en ne la respectant que de façon formelle, en envoyant aux salariés des listes de postes disponibles au reclassement, sans garantie du droit des salariés d’y accéder. L’évolution de la législation peut d’ailleurs se prêter à un abaissement du niveau d’exigence qui pèse sur les entreprises. En effet, alors que la jurisprudence avait insisté sur l’obligation de présenter aux salariés des offres précises, concrètes et non de simples listes de postes disponibles diffusées collectivement, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a entendu faciliter la tâche des entreprises en leur offrant une alternative : soit présenter une offre personnalisée à chaque salarié, soit diffuser la liste des postes disponibles au reclassement (L. 1233-4 al. 4 C. Trav.), sous réserve d’énoncer un ensemble de mentions indiquées à l’article D. 1233-2-1. Cet assouplissement de la manière de présenter les postes disponibles au reclassement était à même de fragiliser considérablement la jurisprudence qui avait progressivement renforcé l’obligation de loyauté dans cette obligation de reclassement, devenue progressivement une obligation de moyen renforcée et sanctionnée par le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement. 

Le pourvoi de l’arrêt du 8 janvier 2025 posait dès lors une question importante à la chambre sociale : quelle sanction appliquer en l’absence de l’une des mentions exigées par l’article D. 1233-2-1, l’indication des critères de départage lorsque plusieurs salariés sont candidats à un même poste offert au reclassement ? On aurait, d’un côté, pu comprendre que la liste des critères n’était énoncée qu’au titre d’une obligation de forme, et que leur non-respect ne peut être sanctionné que par une irrégularité de forme du licenciement. De l’autre, on peut aussi interpréter cette mention comme une condition de la validité du respect de l’obligation de reclassement, à défaut de laquelle le salarié ne peut savoir si ses droits au reclassement sont véritablement respectés, faute de pouvoir contrôler pourquoi sa candidature est écartée. 

La Cour de cassation retient cette seconde interprétation du texte, qui semblait nécessaire pour conserver à l’obligation de reclassement toute sa portée. Par une motivation ferme, elle considère que « l’employeur doit indiquer, dans la liste des postes disponibles mise à disposition des salariés concernés, les critères de départage arrêtés afin de pouvoir identifier le salarié retenu ». Cette interprétation semble avoir été discutée, car l’avocat général Yves Gambert avait rendu un avis en sens inverse : selon lui, l’omission de cette mention ne portait pas atteinte sur le fond à l’obligation de reclassement, et le licenciement n’était pas dépourvu de cause réelle et sérieuse. Grâce à la motivation enrichie, la Cour de cassation explique cependant la raison de sa décision : les critères indiqués permettent de « pouvoir identifier le salarié retenu, sur des bases objectives » ; l’omission de leur indication « ne donne pas les éléments d’information de nature à donner aux salariés les outils de réflexion déterminant leur décision ». 

Cette motivation mêle en réalité deux arguments différents : d’un côté, le respect d’une obligation d’information, qui permet au salarié de choisir de présenter ou non sa candidature ; de l’autre, elle permet de contrôler les raisons qui conduisent à écarter un salarié, la Cour de cassation précisant que ces raisons doivent être « objectives ». 

L’arrêt est important par le niveau élevé d’exigence qu’il fait peser sur les entreprises, dans la lignée de la jurisprudence rendue antérieurement et postérieurement à l’ordonnance du 22 septembre 2017. Les règles concernant l’obligation de reclassement doivent être scrupuleusement respectées, sauf à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Ce fort niveau d’exigence trouve un fondement dans la place particulière qu’occupe le droit au reclassement : celui-ci est protégé par des textes internationaux et reçoit une protection de rang constitutionnel, en tant qu’élément de la garantie du droit à l’emploi.

Toutefois, la motivation retenue rend incertaine la portée du choix opéré : la sanction appliquée ne concerne-t-elle que la mention des critères de sélection des salariés, car il s’agit d’apprécier l’objectivité du choix de l’employeur, ou s’étend-elle à toutes les mentions exigées par l’article D. 1233-2-1 du Code du travail en tant qu’élément nécessaire à l’information du salarié ? 

La question n’est pas véritablement tranchée, et il faut attendre des décisions ultérieures pour le savoir. 

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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