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Le billet

[ 4 mai 2015 ] Imprimer

De l’inflation législative à l’indigestion notariale !

L’édito sera aujourd’hui un billet d’humeur adressé au législateur français. Pour en débattre, la profession du notariat a été choisie comme révélateur d’un phénomène plus général qui menace l’avenir du Droit et de la Justice sociale qu’il est censé incarner et préserver. Le droit n’est pas en crise. La situation est plus grave encore : il est en mutation. Le droit tel qu’on le connaissait et tel qu’on pouvait l’apprécier est mort. Intuition autrefois, il s’agit d’une conviction aujourd’hui après la lecture du cours dispensé par Alain Supiot au Collège de France : La Gouvernance par les nombres (Fayard, Poids et mesures du monde, 2015). Pour illustrer la pensée profonde de l’auteur, fruit d’une carrière entière de réflexion, le notariat peut servir d’exemple car il concentre tous les effets pervers de ce monstre juridique qui naît sous nos yeux. Avant d’aborder quelques lois rendant compte de cette dérive dangereuse, rappelons très brièvement les grands traits de cette « mutation ».

Le discours est trop célèbre pour s’y attarder mais l’absence de prise de conscience collective oblige à en dénoncer encore et encore les effets catastrophiques sur la condition humaine. Cette mutation se traduit, tout d’abord, par une emprise croissante et constante du modèle du marché. L’économie est un moyen et une fin. Elle se suffit à elle-même. Point de valeurs au-dessus de cette idéologie du marché et de l’argent. Alain Supiot démontre combien la Grundnorm économique est un point commun aux systèmes communistes planifiés et aux systèmes ultralibéraux (A. Supiot, op. cit., p. 169 s.). L’enfant illégitime de cette union hors du commun n’est autre que la Chine qui, au sein même de sa Constitution, déclare, après avoir rappelé qu’elle est une « dictature démocratique » (Constitution de la République populaire de Chine, art. 1er), que « L’État interdit par la loi à toute organisation ou à tout individu de troubler l’ordre économique de la société ». L’utile circonscrit tout. L’argent est la mesure de tout. Le quantitatif devient le référent universel. Le droit, dans ce contexte, subit une double évolution (destruction). Il n’est plus le moyen de gouverner une Cité. Le droit devient une technique, un outil, un « ustensile » au service d’un but unique : l’économie. Pire ! Le droit n’est plus l’incarnation de valeurs multiples au sommet desquelles devrait trôner la Justice ou du moins la dignité de l’homme. Le droit est un simple produit. Il y a un marché du droit, une concurrence entre les systèmes juridiques. Le dogme du marché a ainsi absorbé le droit qui se réduit à en être un objet parmi d’autres. Le discours vertueux est celui qui prône l’efficacité économique, la réalisation des objectifs, la réduction des coûts, la meilleure rentabilité… Le « monde désenchanté » de Max Weber est devenu un monde déshumanisé où l’intérêt public est mis au service des intérêts privés économiques.

Discours pessimiste diront certains, qui relève de la philosophie diront d’autres et ne concernent pas le juriste dogmatique féru de techniques juridiques et de controverses jurisprudentielles. Et pourtant…

Pour en prendre conscience et aborder la question sous un angle plus « technique », référons-nous à une profession qui tous les deux ans en moyenne est montrée du doigt, comme étant responsables de tous les maux. Et si le notariat était en réalité ce petit village gaulois qui résiste à l’empire du marché et à l’idéologie purificatrice des mathématiques et de l’économie ?

L’inflation des lois, signe d’un droit-outil servant l’économie sans réel pouvoir de résistance, entraîne une indigestion notariale. À l’analyse, il s’avère que les lois sont mal faites et mal pensées.

Les lois sont mal faites et leurs effets pervers opèrent de manière immédiate sur le quotidien des notaires. Prenons pour exemple la loi « Duflot », dite aussi loi ALUR du 24 mars 2014. Souhaitant notamment lutter contre les « marchands de sommeil » et renforcer la sécurité des opérations immobilières ayant pour objet des lots de copropriété, le législateur n’a rien trouvé de mieux que d’alourdir, avec une absence de réalisme incroyable, les opérations de cession de lots de copropriété, en imposant en annexe un nombre de documents non seulement difficiles à réunir dans un délai raisonnable mais surtout inutiles. Les faiblesses de cette loi sont tellement manifestes que le législateur n’a rien pu faire d’autre que de la modifier neuf mois plus tard et de prévoir une révision plus conséquente encore à l’avenir dans une loi de « simplification » du 20 décembre 2014.

Autre exemple topique : celui de la loi Hamon du 17 mars 2014, source d’interprétations doctrinales controversées. Transposant notamment la directive du 25 octobre 2011, la loi Hamon étend le délai de rétractation à quatorze jours pour tous les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur à distance ou hors établissements. Pour les notaires, notamment, il est fondamental que la notion de contrat hors établissement soit précisée. Or, aucune définition ne figure dans le texte. Il faut lire les travaux préparatoires pour deviner qu’un contrat conclu dans une agence immobilière ou dans une bulle de vente n’est pas hors établissement. Mais alors que faut-il penser des promesses rédigées et donc conclues à l’étude par le notaire. Il est vrai qu’un article de la loi (art. 9), devenu l’article L. 121 -16-1, 7° du Code de la consommation, prévoit expressément que « les contrats rédigés par un officier public » ne sont pas concernés. Il faut relever que cet article n’est pas l’exacte réplique de la directive qui dans son article 3, i dispose que sont exclus les contrats « qui sont établis conformément aux droits des États membres, par un officier public tenu par la loi à l’indépendance et à l’impartialité et devant veiller en fournissant une information juridique complète, à ce que le consommateur ne conclue le contrat qu’après mûre réflexion juridique et en toute connaissance de sa portée juridique ». A priori et sans aucun doute, les actes authentiques ne sont pas concernés par ce droit de rétractation. Mais que faut-il penser des actes sous seing privé qui peuvent être rédigés par un notaire ? En opportunité et en toute cohérence, le notaire reste un officier public quand il rédige un tel acte. Ce faisant, son devoir de conseil et son devoir de garantir l’efficacité juridique des actes doivent suffire à justifier l’éviction du délai de rétractation de quatorze jours. Cependant, il faut relever qu’il n’y a aucune certitude. En effet, la directive qui a été transposée ne semble pas familière avec cette distinction, bien connue en France, du notaire qui authentifie et du notaire qui rédige et prête son concours. 

Ensuite, si le devoir de conseil et le devoir de garantir l’efficacité juridique des actes étaient une spécificité de l’officier public, cela aurait été un argument déterminant pour fonder l’éviction des simples promesses sous seing privé. Or, la tendance est à l’émergence, regrettable certes mais établie, d’une catégorie unique des « rédacteurs d’actes ». Tout rédacteur d’actes « professionnel », expert-comptable, agent immobilier, avocat et notaire, semble désormais tenu d’un devoir de conseil et de garantir l’efficacité juridique des actes. Ces devoirs ne sont plus le monopole des officiers publics que sont les notaires. C’est en raison de cette incertitude et au nom d’un certain principe de précaution qu’il faut conseiller aux notaires de respecter ce délai de quatorze jours ou de rédiger une promesse authentique, en attendant d’avoir plus de précision sur le sens qu’il convient d’accorder à cet article. Tout cela aurait été évité si le législateur avait pris le temps de mieux rédiger sa loi.

Ce que révèlent ces exemples c’est que la vertu des lois résidait autrefois dans leur stabilité. Censées assurer le gouvernement de la Cité, les lois étaient peu nombreuses. On légiférait en tremblant et on appréciait la qualité d’un gouvernement à la relative stabilité de ses lois. Aujourd’hui, la loi, dans une démarche purement quantitative, est un simple coup d’essai. L’étude d’impact ou la réaction a posteriori des professionnels qui l’appliquent permettra de juger de l’opportunité de la modifier. La loi n’est plus là pour construire et mettre en œuvre un projet de société. Elle est simplement destinée à trouver des solutions à des problèmes particuliers. N’est-ce pas confondre la science du Législateur et celle du Magistrat, clairement exposées par Portalis dans son Discours préliminaire ?

Enfin, les lois sont mal pensées. La future loi Macron est un symbole malheureux de cette « Gouvernance par les nombres » où la quantité l’emporte sur la qualité et où l’économie devient une fin en soi. Sans reprendre les détails de ce projet en cours de discussion déjà maintes fois abordés, la future loi « Macron » amène à concevoir le droit comme un produit, une simple marchandise et la prestation des notaires comme une prestation de services comme les autres.  La sécurité juridique conférée par l’intervention du notaire et son acte authentique sont relégués au rang d’obstacles, de freins, de barrières au développement de l’économie et à l’épanouissement des libertés économiques. Rien de plus faux, car la sécurité juridique est un pilier du développement économique. Rien de plus dangereux, car les professionnels du droit deviennent des VRP du droit, des commerciaux dont la valeur du travail fourni est appréciée au regard du seul prix de leur prestation.

Quantifier, programmer, évaluer les coûts, rentabiliser, planifier, libéraliser, flexibiliser, déshumaniser… Autant de verbes sans âme, d’actions sans esprit. Or, une loi sans esprit est une société sans avenir ! Il serait faux de croire que le notariat est le seul concerné. Le notariat était la principale digue qui permettait de lutter contre le tsunami du marché et de l’ultralibéralisme. Il faut en avoir conscience. Alors, avec un zeste de provocation, on pourrait oser la formule suivante : je suis notaire !

Références

■ Code de la consommation

Article L. 121-16-1

« I.- Sont exclus du champ d'application de la présente section :

1° Les contrats portant sur les services sociaux, y compris le logement social, l'aide à l'enfance et aux familles, à l'exception des services à la personne mentionnés à l'article L. 7231-1 du code du travail ;

2° Les contrats portant sur les services de santé fournis par des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé, y compris la prescription, la délivrance et la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux ;

3° Les contrats portant sur les jeux d'argent mentionnés à l'article L. 320-1 du code de la sécurité intérieure, y compris les loteries, les jeux de casino et les transactions portant sur des paris ;

4° Les contrats portant sur les services financiers ;

5° Les contrats portant sur un forfait touristique, au sens de l'article L. 211-2 du code du tourisme ;

6° Les contrats portant sur les contrats d'utilisation de biens à temps partagé, les contrats de produits de vacances à long terme et les contrats de revente et d'échange mentionnés aux articles L. 121-60 et L. 121-61 du présent code ;

7° Les contrats rédigés par un officier public ;

8° Les contrats portant sur la fourniture de denrées alimentaires, de boissons ou d'autres biens ménagers de consommation courante, qui sont livrés physiquement par un professionnel lors de tournées fréquentes et régulières au domicile ou au lieu de résidence ou de travail du consommateur ;

9° Les contrats portant sur les services de transport de passagers, à l'exception des dispositions prévues à l'article L. 121-19-3 ;

10° Les contrats conclus au moyen de distributeurs automatiques ou de sites commerciaux automatisés ;

11° Les contrats conclus avec des opérateurs de télécommunications pour l'utilisation des cabines téléphoniques publiques ou aux fins d'une connexion unique par téléphone, internet ou télécopie, notamment les services et produits à valeur ajoutée accessibles par voie téléphonique ou par message textuel.

II .-Pour les contrats ayant pour objet la construction, l'acquisition ou le transfert de biens immobiliers, ainsi que ceux relatifs à des droits portant sur des biens immobiliers ou à la location de biens à usage d'habitation principale, conclus hors établissement, seules sont applicables les sous-sections 2, 3, 6 et 7.

III. -Les sous-sections 2, 3, 6 et 7, applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. »

■ Directive  2011/83/UEActualitéhttp://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:304:0064:0088:fr:PDF du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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