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Décret d’avance du 19 mai 2021 : la fin d’une séquence inédite dans l’histoire de la LOLF
Le Gouvernement s’était engagé à ne plus recourir aux décrets d’avance. Une promesse respectée de 2018 à 2020. Par décret du 19 mai 2021, le Gouvernement y a mis un terme, procédant à l’ouverture de 7,2 milliards d’euros. Cette ouverture de crédits interroge tout à la fois à raison du montant des crédits ouverts et du manque d’anticipation du Gouvernement.
Le décret n° 2021-620 du 19 mai 2021 met fin à une séquence inédite dans l’histoire de la LOLF, durant laquelle le Gouvernement s’était refusé de recourir à des ouvertures de crédits par décret, affirmant sa préférence pour le dépôt de projets de loi de finances rectificatives. C’est Gérald Darmanin, alors ministre de l’action et des comptes publics qui avait, devant le Sénat le 21 novembre 2019, constaté que « le décret d’avance était une mauvaise habitude, relevant soit de l’insincérité budgétaire soit du défaut d’autorisation parlementaire » (Darmanin G., Déclaration sur le projet de loi de finances pour 2020, Sénat, 21 nov. 2019) et affiché clairement, la volonté du Gouvernement, de ne plus y avoir recours.
Deux derniers décrets d’avance avaient toutefois été adoptés en 2017 pour un total de 3,9 Md€, afin de financer, notamment, la recapitalisation d’Areva, des opérations militaires extérieures ainsi que la transformation des contrats aidés au ministère de l’éducation nationale.
Par la suite et donc sur trois années successives (2018-2020), plus aucun décret d’avance n’avait été adopté, pas même durant l’année 2020 pour gérer les conséquences financières de la crise sanitaire. En lieu et place, c’est au moyen de 4 lois de finances rectificatives que le Gouvernement a adapté, cette année, le cadre budgétaire français.
Loin d’être anecdotique, ce dernier décret d’avance est, dans son montant, des plus conséquents : 7,2 Md€ de crédits ouverts aux programmes 356 (prise en charge du chômage partiel et financement des aides d’urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire) et 357 (fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire), gagés par la suppression de crédits ouverts en vue du renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire (prog. 358).
Pour le premier de ces programmes à bénéficier d’une ouverture de crédits supplémentaire (356), il s’agit de financer la reconduction des mesures liées à l’activité partielle et aux aides exceptionnelles aux actifs ayant alterné des périodes d’emploi et de recherche d’emploi.
Pour le second programme (357), l’ouverture vise à financer les besoins du fonds de solidarité alors que les mesures de restriction d’activité ont été prolongées, que les conditions d’accès au fonds ont évolué et que de nouveaux dispositifs visant notamment à prendre en charge certains coûts fixes ou stocks de certaines entreprises, ont été mis en place.
Ces ouvertures de crédit ont été pensées afin de permettre le versement de ces aides dans les délais habituels. Les annulations (358) ont été justifiées par le fait que le renforcement des fonds propres de plusieurs grandes entreprises stratégiques ne s’est pas matérialisé pour certaines d’entre elles, en raison de conditions très favorables d’accès au crédit, grâce aux mécanismes de soutien mis en place par le Gouvernement (en particulier les prêts garantis par l’État) ainsi qu’à l’action des marchés financiers (notamment le dispositif exceptionnel d’achat d’actifs mis en place par la Banque centrale européenne). Si le Gouvernement, dans son exposé du projet, admet que les niveaux d’endettement des entreprises combinés à une reprise d’activité moins précoce que prévu compte tenu de la prolongation des mesures sanitaires, pourrait nécessiter à terme une intervention de l’État, les besoins identifiés pour 2021 apparaissent toutefois plus faibles qu’initialement anticipés et justifient l’annulation de crédits correspondants.
Précisant que bien d’amputé de 7,2 Md€, ce programme conserve 3,9 Md€ de crédits disponibles pour faire face aux besoins susceptibles d’apparaître d’ici la fin de l’année 2021.
Par comparaison, la moyenne des décrets d’avance adoptés sur la période 2012-2016, s’établit à 9,5 Md€ - sur la période 2007-2011, 7,4 Md€.
Ainsi le montant de crédits ouverts par ce décret d’avance (7,2 Md€), atteint le montant des crédits ouverts par la totalité des décrets d’avance adoptés sous Nicolas Sarkozy (7,4 Md€) – et sur la période considérée (2017-2021), ce sont 11,1 Md€ qui ont été ouverts par décrets d’avance.
Les bonnes intentions affichées en début de quinquennat ont disparu. Totalement.
Avec ce dernier décret d’avance, le Gouvernement aura également fait usage du décret d’avance au maximum de ses possibilités. Ces 7,2 Md€ correspondent, en effet, à 0,995 % des crédits ouverts en loi de finances de l’année – le maximum étant fixé à 1 % ainsi que le prévoient les dispositions de l’article 13 LOLF. En valeur absolue, ce montant atteint le maximum autorisé à 35,4 millions d’euros près.
À ce propos, le Sénat relève que l’ouverture des crédits « semble avoir été calculée moins en fonction d’une estimation précise des besoins que dans le but de retarder le plus possible, (…) la présentation d’un projet de loi de finances rectificative ».
Bien évidemment, la question se pose de l’urgence permettant de recourir à ce type de décret. À ce sujet, le rapport du Sénat constate que le faible niveau des crédits disponibles sur le programme 356, justifiant cette ouverture de crédits supplémentaires, trouve son explication, non pas directement dans des besoins nouveaux liés à la crise sanitaire et à l’application de mesures restrictives de circulation et d’activité, mais dans l’annulation de crédits réalisée par le Gouvernement sur ce même programme par un arrêté de report de crédits en date du 18 mars 2021 (2,33 Md€ avaient ainsi été annulés). Le Sénat y voit une « surprenante imprévision du Gouvernement en matière budgétaire » et s’étonne également de ce que cet arrêté ait permis de reporter des crédits non consommés en 2020 entre programmes ne poursuivant pas les mêmes objectifs (financement de l’activité partielle et compensations des exonérations de cotisations au départ, fonds de solidarité à l’arrivée) sauf à considérer, comme le souligne le rapport du Sénat, que tous relèvent de mesures de soutien aux entreprises ;
Autres motifs d’interrogation : - l’ouverture de crédits, bien que conséquente (7,2 Md€) ne suffira pas à satisfaire les besoins de crédits jusqu’à la fin de l’année ; - le manque d’anticipation du Gouvernement alors que les besoins étaient prévisibles.
La conclusion s’imposait toutefois : aussi contestable soit ce décret d’avance, l’urgence justifiait néanmoins cette ouverture de crédits. En son absence, les paiements auraient été interrompus dès le début du mois de juin.
Avec ce maximum quasiment atteint (0,995 %), le Sénat le relève, le Gouvernement se prive de la possibilité, en cas de nouveaux besoins urgents en cours d’année, de recourir à ce type de décret : « le Gouvernement n’aurait (alors) d’autre choix que de présenter, et sans doute dans des délais d’examen extrêmement contraints, un nouveau projet de loi de finances rectificative ».
Il est néanmoins possible de s’interroger du cas d’un décret d’avance sous condition d’urgence et de nécessité d’urgence qui permet l’ouverture de crédits supplémentaires sans plafond imposé. Cette voie serait la seule option à disposition du Gouvernement, pour réagir en urgence, à une situation donnée. Bien que le Sénat semble écarter cette option, cette dernière n’est pas totalement inenvisageable. Il faut se souvenir que parmi les décrets d’avance adoptés sous condition d’urgence et de nécessité impérieuse, il a été permis d’ouvrir des crédits à la suite de la sécheresse de 1976 (Décret n° 76-849 du 1er sept. 1976) et des inondations dans le sud-ouest en 1977 (Décret n° 77-847 du 27 juil. 1977). Il ne serait pas totalement inenvisageable que la gestion d’une crise sanitaire puisse justifier le recours à ce type de décret d’avance. Un bémol doit toutefois être introduit : il apparaît difficile de justifier de l’imprévision et donc de l’urgence de la situation pour une crise apparue début 2020.
Si le Sénat émet, au terme de son examen du projet de décret, un avis favorable, il relève néanmoins que ces mouvements de crédits (ouvertures, annulations et autres reports concernant ces programmes) « témoignent soit d’une navigation à vue inquiétante, soit d’une volonté de contourner l’autorisation parlementaire ». L’urgence de la situation a toutefois conduit le Sénat à faire l’impasse sur ces facilités « de gestion d’une grande opacité » et le manque d’anticipation du gouvernement.
Le Gouvernement aura ainsi, mis un terme à cette séquence inédite, de la manière la plus contestable qu’il soit. C’est d’autant plus regrettable que l’expérience de l’année 2020 a démontré qu’il était possible, d’adopter rapidement une loi de finances rectificative à l’exemple de loi de finances rectificative du 23 mars 2020, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 18 mars, publiée au JO du 24 mars.
Alors certes, le Parlement a pu avoir le sentiment d’être privé de son pouvoir d’amender le contenu de cette loi, en raison de la brièveté des délais qui lui étaient impartis pour examiner et adopter ce texte. Mais l’exercice en était facilité par le contenu même du texte (7 articles auquel s’ajoute l’article liminaire portant prévision des soldes structurel et effectif des administrations publiques).
Au final, on ne saurait deviner quelles sont les motivations qui ont finalement conduit Bercy à préférer un décret d’avance alors que très vraisemblablement, il était également possible de déposer un projet de loi de finances rectificative. Mais quelles qu’elles soient, elles ne sont pas suffisantes pour justifier une telle déconsidération de l’autorisation parlementaire.
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