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Le billet
Des « affaires » politico-judiciaires en cours à la réforme du Conseil constitutionnel
Non chers lecteurs, contrairement à ce que le titre de cette chronique peut suggérer, il ne sera nullement question dans les lignes qui vont suivre de la fameuse « séparation des pouvoirs » sous l’oriflamme de laquelle bataillent déjà de nombreux juristes !
Je laisse ces questions, bien trop complexes et difficiles pour moi à plus compétents et à plus avisés.
Plus modestement, je voudrais revenir sur une décision de 2013 du Conseil constitutionnel, qu’un mien ami sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la vie, (ce qui ne le fait pas entrer dans le champ de la récente décision de la Cour de cassation sur cette question : Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 16-12.394) m’a signalée. Et plus précisément, au sein de cette décision sur deux petits considérants.
Il s’agit de la décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013 par laquelle le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de la loi organique relative à la transparence de la vie publique. Dans sa version soumise au Conseil, cette loi prévoyait d’interdire aux députés d’exercer une activité de conseil sauf, et il s’agissait de conditions cumulatives si 1°) il l’exerçait avant le début de son mandat et si 2°) il l’exerçait « dans le cadre d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ». Concrètement, hors le domaine médical, cela supposait que l’activité de conseil soit exercée soit dans le cadre de la profession d’avocat ou d’expert-comptable, soit dans le régime moins connu d’expert agricole, foncier ou forestier. L’idée de cette disposition était évidemment d’imposer un cadre déontologique plus strict que celui des activités de conseil non réglementées.
Et bien entendu, suivez mon regard, cela aurait interdit de monter des sociétés de conseil par tel ou tel candidat à l’élection présidentielle redevenu parlementaire. Pour être tout à fait exact, cela aurait interdit une telle pratique dans l’avenir car les discussions actuelles portent sur des faits de 2012, et donc antérieurs à la putative entrée en vigueur de cette disposition.
Or donc, comment le Conseil constitutionnel apprécie-t-il la constitutionnalité de cette disposition ? Voici le motif qu’il énonce :
« Considérant que le législateur a institué des interdictions qui, par leur portée, excèdent manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ; que le paragraphe V de l'article 2 de la loi organique déférée et, par voie de conséquence le paragraphe XI du même article 2 relatif à l'entrée en vigueur des dispositions de ce paragraphe V doivent être déclarés contraires à la Constitution ». (Considérant n° 52)
Et oui chers lecteurs, ne vous frottez pas inutilement les yeux, le Conseil constitutionnel a bien donné une base constitutionnelle au droit pour les parlementaires d’exercer toute activité de conseil de leur choix pendant la période où ils sont en cours de mandat et cela signifie qu’il faudrait donc modifier la Constitution pour pouvoir prononcer désormais une telle interdiction !
Mais la stupeur ne s’arrête pas là : chers lecteurs, participez avec moi à une activité ludique et récréative. Jouons, si vous le voulez bien à « mais où est donc cachée cette coquine de motivation ? ». Ah, je suis désolé, c’est plus un piège qu’un jeu, car de motivation il n’y en a pas.
De norme écrite ou de principe constitutionnel qui empêcherait le législateur organique de prononcer cette interdiction ? Nulle trace, ah si, 10 considérants plus haut : « des exigences découlant de l’article 6 de la Déclaration de 1789 », sans dire évidemment ni lesquelles ni pourquoi elles sont en cause.
Des raisons pour lesquelles cette mesure « excède manifestement ce qui est nécessaire » ? Aucune mention.
Des raisons pour lesquelles la création de société de conseil de toute nature en cours de mandat ne risquerait pas de porter atteinte à l’indépendance de l’élu ? Pas davantage de justification. Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne pouvait pas savoir que cette situation susciterait tant de débats.
Et même notre cher « commentaire officiel » ne se montre pas plus disert.
Et voilà pourquoi ce fragment de décision nous amène de nos affaires politico-judiciaires à la question de la réforme du Conseil constitutionnel : comment peut-on aujourd’hui admettre qu’une juridiction constitutionnelle traite ainsi de manière aussi cavalière des questions qui sont au centre des débats sur la moralisation de la vie publique ? Comment peut-on admettre une décision aussi peu motivée, une censure aussi radicale, à l’heure où la notion d’activité de conseil couvre des activités qui incluent le lobbying et dont la frontière avec le trafic d’influence se fait de plus en plus ténue. Croit-on sérieusement que c’est simplement dans le cadre des pouvoirs du déontologue des assemblées que de telles questions peuvent être résolues ? Alors oui, il nous faut une vraie cour constitutionnelle devant laquelle de telles questions seront sérieusement analysées, discutées évaluées et pas une machine à produire des « considérants » (sans considérants désormais, depuis le 10 mais 2016) sans justifications ni juridiques ni matérielles. Pas une juridiction dont certains des membres qui statuent sur la loi organique ont créé avant leur nomination ou vont créer après la fin de leurs fonctions des structures de conseil non soumises à un statut législatif ou réglementaire…
Références
■ Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 16-12.394 P, D. 2017. 62 ; ibid. 208, entretien P.-Y. Gautier.
■ Cons. const. 9 oct. 2013, n° 2013-675 DC, AJDA 2013. 1942 ; D. 2013. 2483, chron. A. Laude ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; Constitutions 2013. 542, obs. J. Benetti ; ibid. 545, obs. P. Bachschmidt.
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